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Les officiers attachés à sa maison discutèrent entre eux s'ils devaient, ou non, aller signer cet acte, et, d'un commun accord, il fut convenu qu'ils iraient. Le bon abbé Bertrand me consulta en me disant : «Quoique je n'aie de ma vie signé aucun acte politique, je crois cependant de mon devoir de le faire dans cette circonstance, comme étant attaché à une princesse de la famille impériale, qui me comble de ses bontés. » J'approuvai l'abbé, tout en me promettant bien de lui faire payer mon conseil par mille plaisanteries. Je mis une sorte d'enfantillage à le tourmenter depuis constamment sur ce sujet. Un jour je lui disais que son nom avait été remarqué; que je savais que le parti bourbonniste le faisait suivre pour lui jouer quelque mauvais tour; une autre fois, qu'il était signalé comme un ecclésiastique à qui le clergé ne pardonnerait pas d'avoir donné un si mauvais exemple à tous les prêtres, en se prononçant ainsi dans un parti qui n'était pas le leur. Enfin j'étais rieuse, et l'abbé était si bon, que je me permettais souvent de m'égayer à ses dépens, en lui inspirant quelque effroi.

Un des premiers actes de l'Empereur avait été d'ordonner qu'on mît sous le séquestre les

biens des hommes qui avaient livré la France à l'étranger; il disait : « Ceux qui m'ont aban» donné, je leur pardonne; mais je suis in>> flexible pour qui a trahi la patrie. >>

»

Ce ne fut encore qu'un cri de désapprobation. Le prince de Talleyrand était toujours au congrès de Vienne, travaillant les esprits pour entraîner les alliés contre la France; et l'on voulait qu'il pût à son aise toucher les revenus de sa terre de Valençay et autres. L'Empereur, qui pensait autrement, était, disait-on, incorrigible: on ne peut plus compter sur rien, ajoutait - on, s'il rétablit le séquestre.

M. Sosthène de La Rochefoucauld était sur la liste des traîtres, pour avoir, avant l'abdication, et en face de l'étranger, concouru un des premiers à faire proclamer les Bourbons; le duc de Raguse, M. de Vitrolles et deux ou trois autres personnes y étaient inscrits pour les mêmes motifs.

Quant aux injures et aux sottises dont l'Empereur avait été accablé pendant son absence, il était rempli d'indulgence; il en donnait la preuve en recevant tous les jours M. Benjamin Constant.

La première fois que l'Empereur, revit le

maréchal Soult, qui était ministre de la guerre lors de son débarquement à Cannes et qui l'avait si maltraité dans sa proclamation à l'armée, il lui dit : « Duc de Dalma» tie, savez-vous que vous avez tiré sur » moi à mitraille? - Il est vrai, sire; » mais c'est un coup de canon qui ne pou» vait vous atteindre. » Et l'Empereur le nomma major-général de l'armée, place qui avait toujours été occupée par Berthier. On assurait que l'Empereur avait dit : « Pour

quoi le prince de Neuchâtel a-t-il quitté la >> France? pourquoi ne s'est-il pas présenté >> aux Tuileries? Je ne lui aurais infligé qu'une >> seule punition, c'eût été de paraître la pre>> mière fois devant moi en grand uniforme » de capitaine des gardes du corps de Louis » XVIII. >>

M. de Lascours était revenu sans avoir pu rejoindre le roi; il me rapporta la lettre de la Reine, que je lui avais confiée et qu'il devait remettre à Louis XVIII. « Pourquoi n'avez» vous pas fait cette commission, lui dis-je? » —Je n'ai pu atteindre le roi, qui allait très» vite en poste. J'ai voyagé avec M. Sosthène » de Larochefoucauld, auquel je voulais re» mettre la lettre pour le roi, puisqu'il ne me

>> cachait pas son dessein de quitter la France, » et de suivre le sort de la famille royale; » mais j'ai été arrêté quand j'ai vu son exal>>tation contre la Reine. Il est parfaitement » convaincu que c'est une conspiration qui » ramène l'Empereur; que c'est par les intri» gues de la Reine et celles de quelques indi>> vidus que s'est opéré le merveilleux débar» quement, et il m'a dit : Concevez-vous à quel » point elle est dissimulée! je ne m'en serais » jamais douté, moi qui la voyais assez sou» vent, et qui la croyais heureuse de sa vie » tranquille. Peut-on tromper ainsi avec un » air si doux? - Vous jugez bien, ajouta » M. de Lascours, qu'après cette opinion pro» noncée d'une manière si véhémente, je n'ai » pas cru devoir le charger de la commission » de la Reine.

- >>Vous avez très-bien fait, »lui dis-je, en reprenant la lettre avec vivacité, et je la rapportai à la Reine, ainsi que la conversation. m'avait répétée M. de Lascours.

que

« Je devine, dit la Reine en riant, ce » qui a donné cette idée à M. Sosthène; il » faut si peu de chose pour fixer l'opinion >> des hommes: c'est qu'en venant prendre » congé de moi pour aller à Bordeaux, il m'a

» dit avec attendrissement: Madame la du» chesse d'Angoulême m'a permis de l'accom» pagner, et je vais jouir de l'enthousiasme » qui l'attend à Bordeaux. Il s'étendait avec » tant de plaisir sur cet enthousiasme, il en paraissait si ému d'avance, que je n'ai pu » m'empêcher d'en sourire, et je lui ai dit : >> Que vous me paraissez jeune de faire tant » de cas d'acclamations qu'un rien change; >> il faut tout faire pour les mériter, mais il » ne faut pas y attacher trop de prix; j'en ai » entendu, tant entendu de ces acclamations! » A l'air dont M. Sosthène accueillait mes pa» roles, je devinai sa pensée. Vous croyez peut» être, lui dis-je, que les joies dont j'ai été le té>> moin n'étaient pas de bon aloi? Détrompez» vous, jamais il n'en fut de plus vives et de » plus sincères; mais telle est la mobilité >> humaine, que la plus petite circonstance, » un échec, un mécontentement, que sais-je? » un rien, vous prouverait que cet enthou»siasme que vous allez chercher n'est pas plus » solide que celui qui nous entoura si long» temps.

>> Je ne doute pas, continua la Reine, que >> M. de Larochefoucauld, en se rappelant ces » réflexions, ne m'ait crue instruite d'avance

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