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» des événements: si je prédisais si juste, c'est » qu'il était exalté et moi de sang-froid. Je » lui rends, au reste, une grande justice, >> et j'estime son caractère, à cause de ce » dévouement absolu et de cette religion » qu'il conserve pour les Bourbons. Si cha» cun s'attachait aussi invariablement, on » saurait sur quoi compter dans la vie, et » l'homme ne se déconsidérerait pas en se >> rendant toujours au plus heureux, sans >> autre conviction que son intérêt person» nel. M. Sosthène de Larochefoucauld est » un de ces caractères rares qui restent à la >> bonne comme à la mauvaise fortune; aussi » veux-je tâcher de lui être utile. Il était » mon défenseur il y a quelques mois, je veux » être le sien maintenant, quoiqu'il trouve » trompeur mon air doux, ajouta-t-elle en » riant, et qu'il n'ait pas compris mes idées >> philosophiques. Je veux écrire à madame » Ducayla, qui doit être aussi dans le cha» grin, et par elle ou par l'abbé Duval (1) je sau>> rai en quoi je puis servir M. Sosthène ou sa

(4) M. l'abbé Duval était un saint homme, qui avait un gran talent de prédication, et qui demeurait dans la maison de madame Doudauville, mère de madame de Larochefoucauld.

» charmante femme, qui, seule ici, sans lui, >> doit se trouver bien isolée. »

La Reine s'occupa en effet d'être utile à toutes ces personnes, et madame Ducayla vint chez elle comme autrefois. Je l'y voyais souvent le matin, mais toujours dans le plus grand négligé; elle n'y venait plus le soir : la Reine la trouvait aimable, spirituelle, instruite, et aimait à causer avec elle; d'ailleurs, elle croyait à son attachement.

« Nous avons été élevées ensemble, disait » la Reine; elle pleure les Bourbons, et m'aime » malgré cela : c'est tout naturel. »

III.

Le déjeuner à la Malmaison. MM. Molé et Denon conviés. contrôleur Bazinet. — Le jour de bataille d'un officier de bouche. Importance de l'art culinaire. La Reine ne s'en doute

pas.

Le

Un

juste milieu difficile à saisir. — Une émotion pénible. — Douloureux souvenirs. Une réflexion décourageante.

l'Empereur.

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Préoccupations de

Singuliers regrets. Une

· Le

séance dans la galerie des tableaux. Visite à la ferme suisse. maire de Ruelle et la fontaine accordée. Vive sensibilité de Napoléon. Il veut la cacher. - La lettre dans le Moniteur. Générosité envers le duc d'Angoulême. Une amie d'enfance. Retour à Paris.

Un soir le général Bertrand vint prévenir la Reine que l'Empereur lui faisait demander à déjeuner pour le lendemain matin, à la Malmaison. Il lui donna le nom des personnes qu'il désirait qui fussent invitées; c'étaient M. Molé, M. Denon et les messieurs et les dames qui composaient la maison de la Reine.

A la minute les ordres furent donnés, et

dans cette occasion se déploya le talent de Bazinet, contrôleur chez la Reine. Il était dix heures du soir, et il fallait emporter tout un ménage à la campagne pour donner un déjeuner non-seulement à l'Empereur, mais à sa suite et à son escorte, etc. C'était un jour de bataille pour un maître-d'hôtel; mais cet effort n'était point au-dessus du génie de Bazinet. Son sang-froid à l'annonce d'un événement aussi imprévu, qui allait mettre en œuvre tout son savoir-faire, semblait la garantie du succès; il était dans la position où se trouve un général faisant, la veille, toutes ses dispositions pour l'attaque du lendemain. Il avait besoin de se recueillir, d'en imposer par son assurance, et de commander partout avec énergie et avec promptitude, pour que rien ne périclitât au moment de l'action.

J'avais vu souvent Bazinet, qui était fort attaché à la Reine, trouver pourtant qu'elle ne faisait pas assez de cas de l'art auquel il avait consacré ses premières études, et où il excellait à ordonner.

<< La Reine ne sait pas, disait-il, que l'art cu» linaire exige beaucoup de science et des soins » de tous les moments; elle ne l'estime pas as» sez. Il n'est pas donné à tout le monde d'avoir

» non-seulement le talent, mais le coup d'oeil juste, pour qu'un dîner soit ce qu'il doit être, » selon la quantité des convives et leur ap» pétit; s'il est trop faible, on a faim, et c'est »le dîner d'un avare; s'il est trop fort, cela » dégoûte; il est un juste milieu qui décèle » la bonne compagnie. Et voilà ce que l'expé>>rience seule peut atteindre; et cela ne s'ap

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prend pas en un jour... Pour être bon co>> lonel, il faut avoir été bon capitaine; de » même, il faut avoir été excellent cuisinier » pour devenir bon maître-d'hôtel. »

Voilà avec quelle gravité Bazinet professait son art et le faisait valoir; mais nous allons le voir à l'oeuvre d'une manière bien remarquable.

Pendant qu'il faisait ses dispositions avec calme, et qu'il envoyait chercher les voitures pour transporter tout ce qui était nécessaire pour le déjeuner du lendemain, la Reine, habituée à avoir toute confiance dans son maître d'hôtel, ne s'était pas le moins du monde inquiétée de ce qui composerait ce repas improvisé.

Elle avait fait faire tout de suite les invitations; mais, ce qui la troublait au-delà de toute expression, c'était de se retrouver aux

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