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sorte la noble et belle intention de cette intéressante femme.

M. Decazes, qui était alors préfet de police, la fit arrêter à l'instant; la somme accusatrice se trouvait encore sur elle. On l'amena devant lui comme une criminelle, sans égards pour son sexe, pour sa jeunesse et sa position. M. Decazes, superbe de dignité et d'insolence, la reçut lestement, et poussa l'impudeur jusqu'à lui faire, d'un ton goguenard, les questions les plus sottes et les plus déplácées dans la bouche d'un magistrat qui se respecte, sur les sentiments qui l'avaient portée à faire en faveur de son cousin une démarche aussi téméraire, et qui pouvait avoir des conséquences aussi fâcheuses pour elle. Malheur aux hommes par qui de pareils sentiments ne sont pas compris! malheur aux temps où ils sont imputés à crime!...

Madame la marquise de Lavalette, emprisonnée d'abord, obtint par la suite d'être conduite dans une maison de santé, où elle passa plusieurs mois rendue à la liberté, elle eut le malheur de perdre son mari, qui succomba plus tard à des souffrances, suites de sa longue détention. Avec lui madame de Lavalette perdait, non-seulement tout son bon

heur, mais encore ses moyens d'existence. Elle restait avec ses jeunes enfants, et à peu de chose près sans ressource. Au comble de l'infortune, elle reçut les preuves les plus touchantes de dévouement de la part de sa femme de chambre qui idolâtrait ses vertus; nonseulement cette fille la servait pour rien, mais elle partageait avec elle et ses enfants le produit de son travail et de ses petites économies. Le courage de madame la marquise de Lavalette ne l'abandonna pas: seule, sans appui, sans soutien, elle partit pour l'Amérique, dans l'espoir de recueillir quelques débris de son ancienne fortune; mais elle y mourut bientôt, loin de tout ce qui lui était cher.

Le mari et la femme avaient été fort attachés à la Reine, qui avait donné à M. de Lavalette la place de receveur de ses bois, dans un temps où il était fort mal à l'aise. Au premier retour des Bourbons, son titre de marquis lui valut une recette dans une petite ville du Midi, et il y était lorsque l'Empereur débarqua au golfe Juan. Le souvenir que M. de Lavalette conservait des bontés de la

Reine le porta alors à se prononcer pour le retour de l'île d'Elbe; de là toutes les persécutions qu'il eut à essuyer, lors de la seconde

restauration, persécutions qui amenèrent sa triste fin, et par suite celle bien prématurée de son intéressante compagne.

III.

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femme et sa mère aux pieds de Louis XVIII. Insensibilité de ce vieillard. - Illusion de madame de Labédoyère au sujet du meilleur des rois. Sa trompeuse sécurité. Lettre de madame de Labédoyère à sa tante, madame de Souza.-L'anneau donné.-Le testament de Labédoyère. Les saturnales des Tuileries.

Affreuse impunité.
Agonie de Trestaillon.

- TresUne con

Soins

taillon et la chasse aux invalides. damnation capitale pour rire. touchants que lui prodiguent un comte et une marquise. — MadameMère et le cardinal Fesch à Rome. Qu'est devenu Murat? La Reine incertaine sur son sort. M. de Voyna lui écrit. curieusement mystique de madame de Krudner.

-

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Lettre

Le 17 août, le vaisseau qui emportait l'Empereur mettait à la voile pour Sainte-Hélène, et le grand homme disparaissait de l'Europe pour n'y plus revenir.

Le 19, Labédoyère périssait victime de son dévouement à la cause impériale... Il tombait criblé de balles dans la plaine de Grenelle. Pendant ce temps, sa mère et sa femme faisaient d'infructueux efforts pour le sau

ver. Au moment où le Roi sortait de ses appartements, madame de Labédoyère s'élança et tomba à ses pieds, en criant: Grâce, grâce! Mais, en entendant un refus qu'elle était loin de prévoir, elle s'évanouit. On la transporta chez elle sans connaissance, pendant que la mère de Labédoyère tentait encore un effort désespéré : elle parvint, hon gré malgré, à se placer sur le passage du Roi, comme il rentrait chez lui; mais S. M. voyant une femme vêtue de noir, et reconnaissant madame de Labédoyère, donna l'ordre qu'on l'éloignât de lui, disant que toutes ces émotions lui faisaient mal?... Dans ce temps de triste mémoire, le droit de grâce, le plus bel apanage de la royauté, paraissait exilé de la terre.

Madame de Labédoyère la jeune, élevée dans une famille toute devouée aux Bourbons, nourrissait les mêmes sentiments. Lorsqu'elle sut son mari arrêté, elle se crut certaine que, quel que fût le jugement, il lui serait facile d'obtenir sa grâce, car elle ne pouvait mettre en doute la clémence du meilleur des Rois, ainsi que journellement elle l'entendait désigner dans la société. Elle pensa que ce procès, une fois terminé, n'aurait d'autre conséquence que d'éloigner à jamais son mari de s'occuper de politique, et qu'elle n'en serait que plus

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