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» noms ont perdu de leur influence, ils ont » encore celle du château sur la chaumière; » et celle des prêtres ne sera pas négligée dans » certaines provinces.

J'ignore si mon souverain voudra traiter » avec l'empereur Napoléon; s'il ne croira » pas avoir été trompé, lui qui, aux yeux » de tous les autres souverains, s'était fait sa » caution. Je vous écrirai, je vous le promets, » si je le trouve bien disposé. »

Boutikim me laissa tout étourdie de ce qu'il venait de me dire: ses craintes gâtaient ma joie, la guerre me paraissait un malheur incalculable. Je finis pourtant par penser qu'il voyait trop en noir; et, pour me remettre, je n'eus besoin que de repasser dans ma mémoire le souvenir que je conservais de cet empereur Alexandre, si parfait, si libéral, qui avait toujours à la bouche les phrases les plus belles, les plus nobles sur le bonheur des peuples et sur les bienfaits de la paix... Je ne pouvais croire qu'une fois instruit du sentiment unanime qui avait replacé Napoléon sur le trône, il ne fût pas le premier à y applaudir; je le supposais assez grand pour reconnaître une erreur. « Je me suis trompé, » dirait-il...

Je me le rappelais chez moi, un soir, riant du dîner qu'il venait de faire chez Louis XVIII. Il me parlait alors de la grandeur de Napoléon, en homme qui n'avait pas cessé de l'admirer; il me semblait l'entendre nous finir ses éloges par ces mots : « C'était pourtant un » grand homme qui habitait là ; » et il me désignait les Tuileries...

Tous ces souvenirs me raffermirent; ils semblaient me prouver que nous n'avions rien à craindre de lui, et que cette paix, après laquelle tout le monde soupirait, allait, sous l'égide de l'empereur Napoléon, assurer le bonheur et la prospérité de la France.

M. Bruce vint aussi peu de jours après prendre congé de moi ; il se chargea de remettre à lady Olseston un petit livre de romances de la Reine, qu'elle lui avait promis.

« Je n'ose rester en France, me dit-il, dans » la crainte de la guerre ; je vais en Suisse, et » de là je retournerai en Angleterre, empor>> tant des souvenirs intéressants de tout ce » que j'ai vu depuis peu de jours. J'ai couru » dans les faubourgs, dans tous les quartiers » de Paris; et maintenant je suis convaincu » que votre cause est la cause nationale. C'est >> décidément vous qui avez raison, et je ne

» le pensais pas avant d'avoir vu par mes >> yeux. Je croyais l'Empereur un tyran dé» testé (1), et je le vois au contraire adoré! >> Le faubourg Saint-Germain est seul mécon» tent, parce que seul il perd quelque chose; » mais ce n'est qu'une très-faible partie de » la nation. Je vous souhaite donc réussite » et bonheur, ainsi qu'à votre excellente

>> reine. >>

Ce fut, de tous les Anglais que je connaissais, le seul qui quitta Paris dans ces premiers moments. Lord Kynaird et beaucoup d'autres de sa nation restèrent pour attendre les événements. Ils n'étaient occupés qu'à chercher les moyens d'apercevoir l'Empereur, soit à la parade, soit lorsqu'à cheval, et suivi d'un seul aidede-camp, il parcourait les boulevards et les faubourgs; alors la foule l'entourait et le forçait à revenir au pas, escorté par la population entière, qui se pressait pour le voir. C'est dans ce même temps que les journaux étrangers disaient qu'il était renfermé aux Tuileries

(1) On m'a assure qu'un Anglais de très-bonne foi, venu en France pendant la première année de la restauration, disait en regardant la place du Carrousel : « C'est pourtant là que Buonaparte faisait fusiller » une ou deux personnes tous les jours, et qu'il s'en donnait le spectacle en regardant par ses fenêtres. »

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>> pays, disait-il, et parce que je suis convaincu » que l'Empereur seul convient à la France, » qu'il peut seul lui conserver sa gloire et lui » donner les constitutions qu'elle désire. Je >> ne m'estimerais pas si j'étais passé à lui par >> entraînement ou par un intérêt quelconque; >> bien au contraire, je perds la fortune que >> les Bourbons rendaient à ma famille; je perds >> peut-être l'affection de ma femme, qui est >> partie avec sa mère, en me reprochant de >> l'avoir oubliée, sacrifiée !!...

» Qu'importe! Au reste, je crois avoir épar»gné à mon pays de grands malheurs, de >> grandes réactions politiques; et si j'ai im.» molé mon bonheur à cette noble cause, je » ne m'en repentirai jamais! >>

En écoutant cet excellent jeune homme, on se sentait l'âme élevée; tant de désintéressement, tant de noblesse, rappelaient les temps héroïques, dont les sentiments se perdent tous les jours; et puis on se sentait attendri, en remarquant un nuage de tristesse répandu sur ce noble visage.

La Reine, voyant cette impression pénible, chercha à la calmer en lui rappelant que la tendresse de sa femme ne pouvait manquer de la ramener bientôt près de lui.

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<< Son reproche est juste, disait ce digne jeune homme ; j'ai sacrifié son intérêt, ce» lui de sa famille si dévouée aux Bourbons, >> aubien de mon pays. Je ne m'en repens pas; >> mais je conçois qu'elle puisse douter main>> tenant de ma tendresse, et il est difficile d'ê>> tre heureux après cela. » Un soupir à demi étouffé laissa voir plus de sensibilité qu'il ne

voulait en montrer.

<< Écrivez tout de suite à votre femme ce que » vous éprouvez, dit vivement la Reine, et » vous verrez si elle ne reviendra pas promp

>>tement.

- » Oui, elle reviendra, dit-il; mais com» ment effacer un premier reproche, motivé » en quelque sorte par l'affection dont on ne >> doutait pas auparavant?

- » Une femme est ramenée facilement, re» prit la Reine, quand elle a réellement ai» mé; votre vie entière, employée à la ren» dre heureuse, lui fera oublier un instant » de chagrin.

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—» A présent, reprit Labédoyère, je n'au» rai plus qu'à m'occuper de son bonheur, » car je ne veux aucun emploi; j'ai refusé » l'Empereur, qui voulait me nommer géné» ral; je lui ai dit que je ne voulais pas de fa

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