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Nous aurions encore bien des choses curieuses à dire sur les principes de M. Simon relatifs à l'imputation morale 1, 'et sur les quelques pages qu'il consacre au détail de nos obligations 2; on serait, je le pense, fort édifié de la force de logique de M. Simon, et assez récréé par la légèreté de ses appréciations. Mais il nous faut finir un travail déjà bien trop long. Aussi bien il nous faudrait un volume pour relever les vices de logique, les paralogismes, les propositions hazardées, les erreurs de détail qui fourmillent dans l'ouvrage de M. Simon. Nous ne le ferons pas. Nous aimons mieux rendre justice au talent de l'écrivain et à son éloquence vraie, nerveuse, quelquefois un peu rude, mais toujours véhémente, quoique nous ne puissions nous empêcher de faire remarquer les faiblesses, les méprises, les fautes souvent inconcevables du penseur.

Tel est donc l'ouvrage que l'Académie française a couronné. A-telle prétendu couronner l'écrivain ou le penseur, le style ou la philosophie? Si l'Académie n'a voulu rendre hommage qu'à l'écrivain, nous n'avons rien à dire, si non que nous regrettons qu'elle n'ait pas fait choix d'un ouvrage où le fond eût répondu à la forme. Si elle a entendu récompenser le penseur, nous en sommes profondément affligés et pour l'Académie, dont le choix honore peu la science philosophique, et pour la France, qu'une telle récompense humilie, et pour la morale, gravement compromise par le succès d'un ouvrage plein de paradoxes, où la morale ne repose que sur une abstraction, où le socialisme et les principes révolutionnaires sont enseignés, du moins en germe, où la logique et la raison sont à chaque pas compromises, où le Déisme est protégé, le Rationalisme consacré, les mœurs publiques et privées mises en péril par le peu de solidité des principes, l'intuition directe de Dieu enseignée directement, et le Panthéisme déposé imprudemment dans des théories dangereuses.

1 Le Devoir, p. 332 à 350. Ibid., p. 350 à 404.

L'abbé BIDARD,

Vicaire à l'Épinay-le-Comte (Orne(.

Polémique catholique.

PREUVES DU

DANGER DU SYÈME SOUTENU

PAR LA CIVILTA CATTOLICA

QUE LA PAROLE N'EST PAS NÉCESSAIRE POUR LE PREMIER DÉVELOPPEMENT DES IDÉES RELIGIEUSES ET MORALES,

IT DÉMONSTRATION QUE CE SONT SES DOCTRINES, ET NON CELLES DES TRADITIONALISTES, QUI S'APPROCHENT DU GIOBERTISME.

(4° article'.)

Jusqu'à présent la Civiltà a attaqué les Giobertistes, le système de son confrère le P. Romain, et les Traditionalistes exagérés, qui se cachent si bien qu'elle n'a pu citer aucune de leurs paroles; dans ce nouveau paragraphe elle va réfuter les Traditionalistes modérés, c'est ce qui fait que nous devons prêter une grande attention à ses paroles. Et d'abord il ne doit pas y avoir de malentendu, elle a exposé elle-même les prétentions des Traditionalistes modérés, en nous faisant l'honneur de citer de nous les paroles suivantes :

« Quand nous avons dit que la philosophie ne doit pas recher» cher la vérité, par le mot vérité nous avons entendu seule» ment les vérités de dogme et de morale nécessaires à croire et » à pratiquer, enseignées en philosophie, c'est-à-dire les vérités » suivantes : Dieu et ses attributs, l'homme, son origine, sa fin, ses » devoirs, les règles de la société civile et de la société domestique; » voilà les vérités que nous ne croyons pas que la philosophie ait » trouvées ou inventées sans le secours de la tradition et de l'ensei» gnement; mais nous n'avons nullement voulu comprendre le » grand nombre de vérités qui sont en dehors du dogme et de la

1 Voir le 3o article, au no de décembre dernier, t. x, p. 437.

» morale obligatoires pour l'homme, ou qui en dérivent par voie de conséquence, de raisonnement, etc. '.»>

Ainsi voilà la question nettement posée, nous savons ce que l'on doit entendre par les idées religieuses et morales qui peuvent se développer sans le secours de l'enseignement extérieur, ce sont celles qu'elle a elle-même énoncées en citant notre texte. La chose est bien entendue.

Or, nous allons voir que la Civiltà ne répond rien de direct à nos questions, elle prend le change et le fait prendre à ses lecteurs, en transformant nos questions toutes pratiques en une recherche de pure psychologie, comme elle l'a déjà fait, avec les traditionalistes exagérés, pour aboutir à un infini, ou Dieu vague, et à une idée morale indéfinie. Que nos lecteurs veuillent bien nous accorder leur attention; il s'agit d'une question immense, il s'agit de la base même de toutes les croyances. Toutes les Revues catholiques s'en occupent plus ou moins. Voici comment s'exprime sur l'œuvre des anti-traditionalistes, un prêtre distingué, M. l'abbé Bensa, dans la Revue de l'Enseignement chrétien :

« Or, que fait-elle, au contraire, l'école semi-rationaliste? En » chargeant le Traditionalisme de toutes les objections qu'on peut » faire contre les opinions de M. de Bonald, elle travaille très-acti>>vement à rendre le traditionalisme et la tradition odieux, absur» des, ridicules aux yeux de tout le monde. On connaît la puis»sance du ridicule et la magie des mots qu'un usage fréquent et » passionné a convertis en symbole de toute une doctrine. La tac»tique des semi-rationalistes tend donc directement à changer les » noms de traditionalisme et de tradition en symbole de l'absur» dité, du fanatisme, de la barbarie. C'est le plus grand service » qu'on puisse rendre au double rationalisme protestant et philoso» phique; car le Catholicisme et le Christianisme sont tout entiers » dans le mot tradition 2. »

Ce reproche est grave et il est mérité. — Citons maintenant avec une religieuse exactitude les théories étranges des pères jésuites de la Civiltà cattolica.

1 Annales de philosophie, t. VIII, p. 374 (4a série).

Revue de l'enseignement chrétien, t. 1, p. 165 (2o année).

16.-1er principe rationaliste de la Civiltà: on ne peut accorder à l'homme le droit de commencer à réfléchir et à penser ou d'acquérir des idées seul et sans enseignement, dans le domaine des choses matérielles et sensibles, sans lui accorder la même puis sance dans l'ordre des choses religieuses et morales, Voici le texte de la Civiltà :

IL EST FAUX QUE LA PAROLE SOIT NÉCESSAIRE POUR LE PREMIER DÉVELoppement des idées reliGIEUSES ET MORALES.

L'opinion des ontologistes et des traditionalistes du parti modéré est, sous divers aspects, plus ou moins déraisonnable que la précédente. Je dis qu'elle est moins déraisonnable, parce que, en accordant à l'esprit humain de pouvoir, sans le secours de l'enseignement extérieur, connaître le vrai tant qu'il reste dans la sphère des choses matérielles, on lui laisse au moins quelque énergie, quelque puissance (efficacia), on ne l'anéantit pas absolument, et on se met de cette manière en mesure d'expliquer comment l'enseignement peut ensuite nous faire acquérir la connaissance des vérités d'un ordre supérieur. Car la personne enseignante se servirait en ce cas des concepts d'ordre inférieur qu'il trouverait développés d'avance dans la personne enseignée pour amener graduellement cette dernière en vertu de négations et d'analogies à concevoir des notions plus hautes, celles d'objets élevés au-dessus des sens. Mais dans un autre sens, cette opinion est plus déraisonnable que la première, en tant que celle-ci dans son erreur est plus conséquente à elle-même, et que celle-là renferme plus de contradictions. Et certes, quand on vous dit que l'homme ne peut en aucune manière commencer à réfléchir et à penser, à moins qu'un autre ne l'instruise, vous pouvez réfuter cette opinion comme fausse et destructive de la Raison, mais vous ne pouvez pas l'accuser d'être contradictoire à elle-même. Au lieu qu'accorder à l'esprit humain la puissance d'acquérir des idées dans le domaine des choses matérielles et sensibles, en lui refusant en même tems la même puissance dans l'ordre des choses religieuses et morales, c'est non-seulement un acte arbitraire, mais de plus ne contradiction évidente dans les principes qu'on établit.

Nous avons relu plusieurs fois ces lignes, tant nous sommes étonnés de les trouver sous la plume d'un philosophe chrétien, d'un théologien et d'un religieux. Quoi! parce que nous soutenons que l'on peut avoir, sans enseignement, l'idée d'un objet matériel qui frappe nos yeux, il faut encore soutenir que l'on peut aussi avoir, sans enseignement, l'idée des choses religieuses et morales, qui ne frappent pas nos yeux? Il n'y a donc aucune différence entre une chose qui frappe les regards, et celle qui échappe aux regards? et

c'est un philosophe qui dit cela? De plus, parce que l'homme en ouvrant les yeux est en possession de tous les objets matériels qui sont du domaine et à la portée de ses yeux, il doit être également en possession de l'ordre des choses religieuses et morales, qui ne sont pas du domaine des yeux? et c'est un théologien qui dit cela? mais c'est plus que le Rationalisme? jamais Cousin, jamais un éclectique n'a confondu ces deux ordres d'idées.

Comment la Civiltà ne voit-elle pas qu'elle accorde à la Raison humaine plus que tous les philosophes déistes? Ceux-ci en effet, pour la plupart platonistes, disent: « Dieu a mis dans l'âme » humaine les idées innées, types de toutes les vérités dogmati»ques et morales; l'homme n'a qu'à descendre en lui-même, et il » y verra ces vérités qui ne sont pas lui, qu'il ne fait pas, qui

» sont divines. >>

D'après la Civiltà Cattolica, Dieu et les idées innées sont mis de côté. Elle dit hardiment: « Puisque l'homme peut voir les objets » matériels sans enseignement, sans révélation, c'est une chose » absurde de lui refuser la puissance d'acquérir, sans enseignement » extérieur, les choses religieuses et morales nécessaires à son » salut. » Car, notons bien qu'il s'agit de ces vérités-là en ce moment; ce sont les termes mêmes des traditionnalistes modérés, tels que la Civiltà les a posés, c'est elle-même qui les a acceptés. Et ceux qui n'accordent pas cette puissance à la raison humaine seule, elle les accuse d'être plus déraisonnables que ceux qui croient que l'homme ne peut recevoir une idée, une impression matérielle quelconque, sans qu'elle lui soit donnée par la parole!!

Nous le répétons, maintenant même que nous lisons ces paroles de la Civiltà, nous ne pouvons en croire nos yeux.

Ah! mes révérends pères, le moment approche où vous serez cruellement punis de ces assertions; ce moment est celui où vos paroles étant connues de tous les ennemis de la révélation, elles seront acceptées par eux avec empressement; et avec ces principes, ils battront facilement en ruine toute la révélation. Continuons

l'exposition de ces affligeants principes :

17.-2 principe rationaliste de la Civiltà: il en est des êtres humains comme dans la formation d'une plante; ils gravitent sans enseignement, graduelle

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