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Nos adversaires nous accordent eux-mêmes que la parole peut fort bien être supplée, et est supplée souvent en effet par les hieroglyphes, les mythes, les paraboles, vu leur analogie avec les objets qu'il s'agit de faire comprendre (cogli obbietti da rendere intelligibili). Or pourquoi les objets de la nature, perçus par les sens, ne pourraient-ils pas rendre par eux-mêmes le même service? n'ont-ils pas une très-grande analogie avec les conceptions mentales? Le monde sensible n'est-il pas en harmonie avec le monde supra-sensible? L'ordre physique n'a-t-il pas des rapports avec l'ordre moral? L'un n'est-il pas comme un reflet et une représentation matérielle de l'autre ? Pourquoi donc la représentation sensible de l'univers ne pourrait-elle pas être ce livre même dans lequel l'intelligence lirait et comprendrait les vérités que Dieu y a écrites, et qu'il a donné à l'esprit humain le pouvoir de lire et de comprendre, en répandant en lui un rayon de sa divine lumière?

Mais, répliquera t-on peut-être, la tradition et la parole ne seront donc d'aucun usage pour le développement intellectuel de l'homme? La réponse à cette question sera la matière d'un autre article, celui-ci ayant non-seulement atteint, mais dépassé les bornes marquées. (Traduit par M. l'abbé Peltier.)

Bien! on n'a qu'à ouvrir les yeux, et immédiatement ces formes arrivent à un homme caoutchouc, homme n'ayant rien appris de l'enseignement, existant, se développant tout seul, dans le cerveau de l'auteur, qui nous conte ce conte, mais non dans la société!· Notre auteur oublie même ici sa théorie scholastique dont l'axiome est que l'intellect agent n'écrit dans l'intellect possible que les choses qui lui ont été fournies par les phantasmes extérieurs. C'est à ne pas y croire.

Nous ne répondrons à ce raisonnement qu'en donnant ici 1° le programme de M. Cousin pour la constitution de la morale (sans Dieu extérieur); 2° en ajoutant le développement qu'en donne M. Cousin lui-même. On verra comment l'une et l'autre méthode se passent de Dieu révélateur, du Christ et de l'Église, pour établir l'existence de Dieu et tous les dogmes philosophiques:

28. PROGRAMME DU COURS DE PHILOSOPHIE DE M. Cousin, Donné à l'École normale et à la Faculté des Lettres pendant l'année 1817. Morale.

...

On ne va donc point de la religion à la morale, mais de la morale à la religion; car si la religion est le complément et la conséquence nécessaire de la morale, la morale est la base, le principe nécessaire de la religion.

La science du subjectif moral actuel et primitif est la psychologie morale,

qui s'appelle aussi phénoméno-logie morale, parce qu'elle se borne à constater et à décrire des faits de conscience, des phénomènes intérieurs.

La science de l'objectif moral, s'occupant d'existences réelles, est la partie morale de l'ontologio. Tout objectif surpassant l'observation est appelé transcendant, et l'appréciation de la légitimité des principes moraux avec lesquels nous atteignons l'objectif moral, est la logique transcendante de la morale.

La science entière porte le nom de philosophie morale. (Frag., t. 1, p. 275.) SYSTÈME OBJECTIF MORAL OU SYSTÈME religieux.

Logique transcendante.

... En métaphysique, les principes absolus de Causalité, d'intentionnalité, de substance et d'unité, nous ont conduit à la connaissance de Dieu comme cause intentionnelle, unique et substantielle; quatre principes absolus nous ont donné l'être absolu, Dieu.....

Mais non-seulement je suis une cause intentionnelle et substantielle, je suis encore un élre moral: ce nouveau caractère, aperçu par moi, me force de transporter dans l'Auteur suprême de mon étre un nouveau caractère que je n'avais pu encore y découvrir. Dieu n'est plus sculement pour moi le créateur du monde physique, mais le père du monde moral. L'auteur d'un être juste ne peut être injuste; ce n'est donc pas la loi divine qui révèle la loi du devoir, mais la loi du devoir qui me révèle la justice de la volonté divine.....

Le principe de justice, transporté de MOI à Dieu, fait luire la justice sur le monde extérieur; le jugement du mérite et du démérite, transporté de MOI à Dieu, me fournit de nouvelles lumières. Le jugement du mérite porté par la personne morale PRONONCE que la vertu est digne du bonheur. Ce jugement, étant absolu, a une valeur absolue et transcendante. Or, une fois que Dieu est conçu, par MOI, comme un être moral souverainement juste, je ne puis pas ne pas concevoir que le principe absolu du mérite et du démérite ne soumette Dieu lui-même à son empire; car Dieu est une nature morale, et le jugement du mérite et du démérite atteint toutes les natures morales.

Le principe du mérite et du démérite ainsi transporté de MOI au Dieu juste, j'IMPOSE à ce Dieujuste et tout-puissant, l'obligation de rétablir l'harmonie légitime du bonheur et de la vertu, troublée ici-bas par la causalité externe. Dieu peut la rétablir s'il le veut, et il ne peut pas ne pas le vouloir, puisqu'il est souverainement juste, et que lui aussi juge absolument que la vertu mérite le bonheur. Conception de l'autre vie.....

La Religion est de croyance; la Morale d'observation. La morale est psy

chologique, la religion est transcendante; la Morale est d'aperception, la Religion est de révélation. J'ai foi aux existences qui me sont révélées par les principes moraux, j'aperçois les principes eux-mêmes. (Ibid., p. 283-288.)

Tel est le programme de M. Cousin, programme qu'il a imposé pendant trente ans, au nom du gouvernement, à tous les colléges de la France, et comme c'est celui qu'il a développé lui-même dans toutes ses leçons de philosophie, nous allons encore en exposer une, afin qu'on puisse faire une comparaison complète entre sa théorie et son application, avec la théorie de la Civiltà.

INTRODUCTION A L'HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE,

SIXIÈME LEÇON.

Nous avons fait bien du chemin dans la dernière leçon. Partis de la Raison humaine, nous nous sommes élevés jusqu'à Dieu pour descendre à la nature, et de là arriver à l'humanité. C'est le cercle des choses: c'est celui de la philosophie. Nous avons parcouru toutes les parties de la philosophie, rapidement il est vrai, mais régulièrement, et dans l'enchaînement sévère et l'ordre même de la nécessité.

Il fallait bien, Messieurs, partir de la Raison humaine; c'était là le point de départ légitime, puisque c'était là le seul point de départ possible. C'est avec la Raison humaine que nous faisons tout, que nous comprenons, rejetong ou admettons toutes choses; ainsi c'était d'elle qu'il fallait partir. Dans la Raison humaine nous avons trouvé trois idées, qu'elle ne constitue pas, mais qui la dominent et la gouvernent dans toutes ses applications. De ces idées à Dieu le passage n'était pas difficile, car ces idées sont Dieu même. Pour aller de la Raison à Dieu, il n'est pas besoin d'un long circuit et d'intermédiaires étrangers; l'unique intermédiaire est la Vérité; la vérité qui, ne venant pas de l'homme, se rapporte d'elle-même à une source plus élevée. Il était impossible de s'arrêter là. Dieu étant une cause et une force, en même tems qu'il est une substance et une intelligence, ne pouvait pas ne pas se manifester. La manifestation de Dieu est impliquée dans l'idée même de Dieu; et de Dieu au monde, le passage était nécessaire encore. Dans le monde, dans l'effet, nous avons reconnu la cause; nous avons reconnu, dans l'harmonie qui est le caractère éminent de ce monde, le rapport de la variété à l'unité, c'est-à-dire le cortége entier des idées. Le mouvement intérieur des forces du monde, dans son développement nécessaire, produit de degré en degré, de règne en règne, cet être merveilleux dont l'attribut fondamental est la conscience; et dans cette conscience nous avons rencontré précisément les mêmes éléments que sous des conditions différentes nous avions déjà trouvés dans la nature, les mêmes éléments que nous avions reconnus dans Dieu lui-même.

Le fait fondamental de la conscience est un phénomène complexe, composé de trois termes, savoir le moi et le non-moi, bornés, limités, finis; de plus, l'idée de quelque autre chose, de l'unité, de l'infini, etc.; et de plus encore, l'idée du rapport du moi et du non-moi, c'est-à-dire du fini à l'infini qui le contient et qui l'explique; ce sont là les trois termes dont se compose le fait fondamental de conscience. Or, ce fait, transporté de l'individu dans l'espèce et dans l'histoire, est la base de tous les développements ultérieurs de l'humanité 1.

29. Comparaison de la doctrine philosophique de la Civiltà avec celle du Concile d'Amiens.

Nous venons de mettre en présence la doctrine philosophique de la Civiltà et celle de M. Cousin, le chef des rationalistes. Nos lecteurs ont pu eux-mêmes voir les similitudes qui existent entre elles. Il nous reste un dernier devoir à remplir ici, c'est de mettre aussi sous leurs yeux quelques fragments des Doctrines philophiques du concile d'Amiens. Nous savons que la Civiltà, qui affecte de faire de la philosophie, n'a pas voulu publier cette partie des actes de ce concile, quoique l'approbation, vraiment romaine, donnée par le souverain Pontife, garantisse l'utilité et la sécurité de la doctrine qui y est professée.

Mais nous croyons qu'en cela la Civiltà a manqué à son devoir à l'égard de ses lecteurs. Elle le devait d'autant plus que le P. Chastel, dont plusieurs rédacteurs de la Civiltà ont approuvé les principes philosophiques, a fait un livre qui, imprimé d'abord dans le Correspondant, avec le titre de : La philosophie et les Conciles en France, a été depuis publié à part, avec le titre nouveau : L'Eglise et les systèmes de philosophie moderne. Dans ce livre, le P. Chastel était forcé d'avouer que sur quatre conciles publiés à cette époque deux seulement avaient, selon lui-même, parlé des traditionnalistes, mais sans les nommer.

Les (deux) conciles, disait-il, n'ont point signalé par son nom le traditionalisme, comme ils ont fait pour le rationalisme, mais on verra que leurs paroles ne peuvent s'adresser qu'à lui 2.

On a vu plutôt que le P. Chastel se trompait complètement, et en

1 Cours de l'Hist. de la Philos. Introduction (éditée en 1828); nouvelle édit., 1841, p. 161-163.

2 L'Église et les systèmes, etc., p. 126.

imposait à ses lecteurs; le vénérable président du concile de Rennes lui a donné sur cela, un démenti public et complet, dont, il faut le dire, le P. Chastel n'a jamais parlé dans ses ouvrages subséquents, laissant ainsi subsister une assertion évidemment fausse. Eh bien, cela ne l'empêchait pas de lancer des objurgations trèsdures contre les traditionnalistes, comme s'ils avaient voulu cacher une condamnation portée contre eux :

Mais ce qu'il y a de vraiment surprenant, c'est la conduite des auteurs mêmes et des partisans de ces doctrines condamnées. Ils ne peuvent s'empêcher, quels qu'ils soient et quels que soient leurs sentiments, du reste bien divers, d'attacher au moins quelque valeur aux décisions d'un concile: ce n'est point là une parole que l'on puisse simplement mépriser. Eh bien, ils n'ont pas l'air de s'en émouvoir le moins du monde, et semblent ignorer que les conciles ont parlé d'eux. Ils continuent du même ton leur enseignement, leurs journaux et leurs revues. Ils débitent les mêmes erreurs, les mêmes énormités, avec le même calme apparent et avec la même assurance; comme s'ils n'avaient rien entendu. Ils ne parlent même pas de ces conciles, et paraissent adopter contre eux la conspiration du silence, ravis peut-être qu'on vînt à les oublier et à les regarder comme non avenus. (L'Église, etc., p. 58.)

Voilà comment le P. Chastel reprochait aux traditionnalistes de ne pas faire connaître à leurs lecteurs de prétendues condamnations de conciles qui n'avaient pas parlé de traditionalisme. Mais lorsqu'il y a eu un concile, qui a, ex professo, parlé de philosophie, et condamné ses opinions; alors c'est lui-même, ce sont ses amis, c'est la Civiltà qui a appliqué contre ce concile la Conspiration du silence, comme il le dit lui-même; il importe donc de placer ici les textes de ce concile, approuvé par l'Eglise, en face des théories de la Civiltà et de celles de Cousin.

Voici donc un extrait de ces actes du concile :

DOCTRINE PHilosophique du concile D'AMIENS 2.

« Quant à la Philosophie, il y a sans doute, dans les écoles catholiques, plusieurs éléments que les forces de l'esprit humain ont fournis même aux philosophes païens ; mais il y en a d'autres qui ne dérivent pas de cette unique

1 Voir ce démenti dans les Annales, t. v, p. 293 (4a série).

Voir les actes complets du concile d'Amiens, avec le texte, dans nos Anmales, t. viii, p. 88, 89, 90 (4a série).

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