Page images
PDF
EPUB

comme ceux qui l'ont admis, ont avoué que le principe étoit opposé aux intérêts dominans de la France, puisque la propriété et l'industrie offrent des ressources si grandes à la population qu'on ne peut y opérer le recrutement de l'armée que par la contrainte. Pour avoir une armée comme on la veut, il faudra attaquer la prospérité intérieure; opération hasardeuse, dans un temps où les armées coûtent prodigieusement, quoiqu'elles ne soient plus mercenaires.

E

CHAPITRE VII.

Légionnaires vétérans ou armée de réserve.

Je l'ai déjà dit, les grandes armées sont une cause de ruine intérieure si elles ne servent pas à faire de grandes spéculations au dehors. Nous avons spéculé sur l'Europe, l'Europe a spéculé sur nous; où cela s'arrêtera-t-il? En tirant de l'argent par les victoires, tous les gouvernemens qui ont fait la guerre se sont cependant endettés. Qui donc s'est enrichi? La réponse à cette question dérangeroit sans doute les partisans de la gloire et de la perfectibilité, en leur prouvant qu'il n'y a de bénéfices dans les chances politiques et militaires que pour ceux qui savent

tirer parti de la république comme de la monarchie, et prêter aux vaincus, à gros intérêt, l'argent qu'ils ont gagné à la suite des vainqueurs. Pour nous, après avoir mangé le fonds de tout service public fondé sur la propriété, notre dette constituée se trouve à la fin de la révolution telle qu'elle étoit lorsqu'on en fit un motif pour commencer la révolution. Notre établissement de paix ne passoit pas alors cent quarante mille hommes ; nous le fixons aujourd'hui à deux cent quarante mille; c'est avouer qu'il nous coûtera deux cent quarante millions. A notre dette fondée, à notre établissement de paix, si on ajoute l'entretien de notre marine, la liste civile, les frais de notre administration intérieure, si onéreuse par la multiplicité des rouages, chargée de plus des dépenses du culte et de l'éducation publique, on conviendra que pour vivre honorablement dans la situation où elle s'est mise, la France doit être très-réservée sur toute mesure qui arrêteroit les progrès de son agriculture et de son industrie. On convient même que, vu l'état de nos affaires, les deux cent quarante mille hommes demandés et accordés pour maintenir nos relations amicales en Europe, ne seront d'abord levés que sur le papier, à peu près comme les propriétaires maintenant établissent leurs re

venus.

Nous voici donc constitués pour la paix. Quelles

ressources réservons-nous pour la guerre ? Cette difficulté est grande, et le projet nouveau l'avoit singulièrement augmentée en voulant organiser une armée de réserve qui ne coûteroit rien. On peut dire que cette armée auroit été et n'auroit pas été; dans cet état cependant, il étoit impossible de ne pas prévoir que, dès la première année, on l'auroit fait entrer pour quelque chose dans le budget. Avec quels hommes d'ailleurs composer cette armée de réserve, dès qu'on libéroit chaque classe aussitôt qu'elle avoit fourni le contingent nécessaire à l'armée active? Cette nouvelle difficulté paroissoit insurmontable pendant six ans, à partir de l'exécution de la loi de recrutement, puisqu'on ne peut faire passer dans l'armée de réserve que ceux qui auront accompli leur temps d'activité dans l'armée de paix. M. le ministre de la guerre a cru qu'il existoit en France d'autres militaires que ceux qui sont sous les drapeaux, et il a proposé de former, dans chaque canton, une compagnie de légionnairesvétérans, composés de sous-officiers et soldats rentrés dans leurs foyers par suite des congés absolus qui leur ont été délivrés au nom du Roi. On sentoit bien que c'étoit retirer une parole donnée et reçue, revenir sur un acte accompli; et c'étoit pour ne pas l'avouer qu'on prononçoit des discours superbes en faveur d'anciens guerriers que personne ne songeoit à attaquer, et

qu'on s'étendoit sur le danger de reconnoître deux armées dans une nation où on compteroit deux nations. Cette discussion avoit cela de singulier, , que ceux auxquels on reprochoit de repousser nos anciens soldats, réclamoient le maintien des conditions de leur libération, et que ceux qui les exaltoient, rompoient ces conditions; de sorte qu'on auroit dit que tous les militaires, rentrés dans leurs foyers avec des congés, vouloient absolument reprendre du service, et que les royalistes seuls s'y opposoient, tandis qu'il est très-probable que ces militaires, auxquels les rangs dans l'armée royale ont toujours été ouverts, et qui cependant sont restés chez eux, se croient sérieusement libérés, et n'étoient défendus contre un appel forcé que par les royalistes. On ne doit pas s'étonner de la fatigue que le public a montrée à la fin de cette discussion; on se perdoit dans les détails; les discours manquoient de çet ensemble de doctrines et de pensées qui rendent les débats de tribunes si intéressans dans les gouvernemens représentatifs.

La commission de la Chambre des Députés avoit proposé, dans son rapport, de modifier le titre applicable aux légionnaires-vétérans ; le ministre étoit monté à la tribune pour soutenir l'ensemble de son projet; mais la commission persista; et M. le comte d'Ambrugeac, rapporteur, s'expliqua en ces termes :

« Nous n'ajouterons rien aux observations que nous avons présentées dans notre rapport, re>> lativement aux soldats qui ont obtenu des congés » absolus. Nous vous prions seulement de vous >> rappeler qu'en 1815, le Roi libéra et dégagea » de tout service les militaires qui étoient sous » les drapeaux depuis plus de huit ans; la loi >> actuelle ne les frappera que pour un an ou dix>> huit mois; mais elle atteindra la totalité de ceux » qui ont été déclarés les indispensables soutiens » de leur famille; ils leur avoient été arrachés >> par la violence et les abus de la conscription; » ils ont donc été libérés, non seulement par » ordonnance du Roi, mais encore par l'art. 12 » de la Charte. Ne croyez pas, Messieurs, que » ce service territorial n'imposera aucune obli»gation, et qu'il ne sera qu'un léger fardeau » pour ces anciens militaires, si les articles du >> projet de loi sont adoptés, et si, au sein de la

paix, dans des circonstances extraordinaires, >> ils peuvent être assujétis à un service dans l'in>> rieur du département. Dans ce cas, l'organi»sation sur les contrôles sera immédiate. Ces » légionnaires-vétérans seront-ils obligés d'avoir >> recours aux autorités militaires pour avoir des » passeports? Si leur industrie, si le besoin de se » procurer leur subsistance les forcent à de fré» quens déplacemens, pourront-ils le faire sans > permission? La désorganisation des compa

[ocr errors]
« PreviousContinue »