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morale, d'indifférence et d'apathie, que l'exaltation de passions fortes et puissamment déterminées. Et si quelque phrénologiste habile veut bien se donner la peine d'examiner en détail les protubérances cranologiques de nos prisonniers, je suis très-convaincu d'avance qu'il n'oserait affirmer ensuite quelle est, pour chacun d'eux, la nature du penchant qui le domine le plus spécialement.

Supposons qu'il en vint à bout. Pourra-t-il classer ces divers penchants en catégories tellement identiques entre elles, qu'on n'ait plus qu'à déterminer le genre d'industrie qui leur est propre? ce moyen, tout illusoire qu'il soit, serait cependant encore mille fois plus rationnel que la classification des convicts, suivant leur degré de culpabilité, opération dont le corollaire serait, dans une foule de circonstances, une preuve de l'impossibilité dans laquelle se trouvent les juges d'appliquer la peine suivant le for intérieur du prévenu, et de la nécessité légale où ils sont constamment de n'apprécier que l'étendue et le mode de l'infraction commise; ce qui ne prouve rien du tout, quant au caractère cranologique de l'individu condamné.

I

Je ne parle ici que des masses en général ; de celles dont tous les philantropes ont dit avec autant de justesse que de vérité, « qu'elles n'offraient pas deux culpabi»lités parfaitement semblables: » et c'est dans cette hypothèse que vous voudriez appliquer à tous vos condamnés indistinctement une classification d'après le système de Gall?

2

« Le taux de la peine ne donne qu'une mesure bien douteuse du degré de dépravation. » Mittermaier. Voyez Julius, v. 2, p. 325.

Eh bien, moi, je veux faire par exception ce que vous demandez comme règle. Par ce moyen, aucune manifestation énergique, soit en bien, soit en mal, n'échappera à la direction qu'il convient de lui donner pour le mieux moral de l'individu chez lequel elle se développera. Et c'est tout ce que l'humanité peut raisonnablement exiger de l'intervention de l'administration locale dans l'étude habituelle qu'elle fait du caractère des condamnés.

Mais ce n'est pas en ce qui concerne directement l'enseignement industriel, qu'on doit en prison s'occuper de toucher au doigt pour ainsi dire, les facultés affectives, perceptives ou réflectives de ceux qu'on veut éduquer. Que vous importe que vos écoliers dans l'art du Tissage, de la Serrurerie, de l'Ebénisterie ou de tout autre, aient du penchant à la philogéniture, à l'approbativité, à la constructivité, à l'éventualité ou à la causalité?' Aucune de ces affections n'empêche de prendre tout à-la-fois intérêt et plaisir aux enseignemens industriels : : car tous les arts se lient les uns aux autres par quelque point nécessaire de contact et d'analogie, et ces rapports attachent l'esprit et commandent l'attention. Or, ce qu'il faut par-dessus tout s'efforcer d'obtenir des prisonniers, c'est d'occuper leur esprit pour détruire leurs passions; et vous en arriverez à ce point fondamental de tout bon système pénitentiaire si vous combinez toutes vos heures de manière à ne pas leur en laisser une seule d'inoccupée, soit au travail manuel par la pratique, soit au travail

'Journal phrénol., p. 39 et 40. Je me sers de ces barbarismes puisqu'ils ont été reçus phrénologiquement parlant.

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de l'imagination par le besoin insurmontable que tous éprouveront de ne pas paraître dépourvus d'intelligence et de conception, aux yeux de leurs camarades.

Mais cette puissance motrice de toutes les actions humaines, L'AMOUR-PROPRE, ne peut se produire qu'au milieu des masses, et c'est d'elle seule que peut naître dans l'âme du coupable infâmée par le crime, le sentiment de sa sainte origine et de sa noble destination. C'est à ce sentiment commun aux animaux comme à l'homme, que vous devez demander la régénération morale de vos réclusionnaires; parce que c'est à ce sentiment seul que tiennent en eux, par celui inextinguible du juste et de l'injuste, et le regret du passé qui les invite au repentir, et l'opprobre de l'avenir qui les en éloigne.

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Toutes ces choses sont difficiles, j'en tombe d'accord; mais au moins on en conçoit la possibilité d'exécution; et c'est assez pour ne pas rejeter mon système sans le mettre à l'essai, cela coûtera si peu.

Résumons-nous, et disons: L'instruction religieuse, morale et industrielle est l'un des élémens les plus indispensables à la régénération des convicts: elle devra leur étre donnée simultanément suivant la méthode et d'après les indications que nous venons de développer.

1 On a eu raison de dire que « la vertu la plus héroïque n'est pas autre chose que la plus haute façon de s'aimer soi-même. »

Morale privée: journal des Connaissances utiles. Novembre 1833, page 295.

CINQUIÈME DIVISION.

DU

TRAVAIL. ET DE SES PRODUITS.

Là, tout à refaire.

On n'a peut-être pas oublié dans quels détails je suis entré à cet égard dans ma première partie.

J'ai démontré comment, nulle part, le système du travail n'avait été considéré sous un même point de vue, et dans quel vague et quelle incertitude nous demeurions encore sur la solution de cette importante question.

Il est donc inutile que je revienne sur ce que j'ai dit précédemment, et je vais entrer, sans autre préambule, dans l'exposition du système que je crois le meilleur, et que j'étaierai par des exemples et des calculs positifs.

Voici mes bases:

1o Le travail est utile, conséquemment d'obligation; 2o Les produits de main-d'œuvre appartiennent légalement à l'Etat ;

3° Tout travail mérite salaire, et l'ouvrier doit percevoir une indemnité quelconque ;

4° Il doit être donné par entreprise.

LE TRAVAIL EST UTILE IT CONSÉQUEMMENT d'obligation.

Nous ne croyons pas devoir répéter ce que tout le monde a pensé, dit ou écrit sur cette question.

Le travail est utile au prisonnier, non comme aggravation de peine, mais comme puissance infaillible de réaction des bonnes sur les mauvaises habitudes; c'est un lénitif contre l'invasion des vices qui l'assiègent incessamment ; c'est un germe qui soigneusement cultivé par des mains habiles, servira de contrepoison à toutes les corruptions de son âme, et dont le développement lui fournira, pour l'avenir, un refuge certain contre les blandices contagieuses qui l'attendent au jour de la liberté ! Enfin, le travail est obligatoire pour le prisonnier, d'abord, parce qu'il est d'institution divine pour tous les êtres vivans par la pensée et le raisonnement; puis, parce qu'ayant forfait par son libre arbitre aux conditions synallagmatiques du contrat social, il doit indemniser l'Etat qui le loge, le vêtit et le nourrit, des préjudices que lui occasionne l'impossibilité dans laquelle lui, coupable, s'est mis de subvenir par lui-même à son logement, à son vêtement et à sa nourriture. De là cette incontestable conséquence:

LES PRODUITS DE MAIN-D'OEUVRE APPARTIENNENT LÉGALEMENT A L'ETAT.

Je ne pense pas que cet axiôme tout à-la-fois religieux, politique et moral, puisse être victorieusement

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