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La disposition dont il s'agit n'a pas tardé à produire de bons résultats. Parmi ceux qu'a enregistrés la statistique, nous nous bornerons à citer le suivant: Notre effectif à vapeur au long cours se composait en 1880 de 95 steamers jaugeant 130.302 tonneaux; dès 1888 il a atteint le nombre de 189 steamers jaugeant 309.123 tonneaux. Il s'est donc accru pendant cette période de 94 steamers et de 178.821 tonneaux (1).

En présence des avantages obtenus, le législateur français devait être naturellement conduit à examiner s'il ne convenait pas de proroger l'application du régime des primes à la navigation que la loi de 1881 avait limitée à une période de dix ans expirant le 29 janvier 1891. C'est dans ces conditions que la Chambre des députés a été saisie par l'initiative parlementaire de diverses propositions de lois. Elles tendaient, soit à proroger de dix nouvelles années (2) la loi du 29 janvier 1881, soit à la proroger seulement d'une année (3) ou de onze mois (4). Le gouvernement, de son côté, à la date du 7 juin 1890, déposait à la Chambre des députés un projet de loi qui prorogeait jusqu'au 29 janvier 1892 les articles 9 et 10 de la loi du 29 janvier 1881, mais qui disposait en même temps que les navires de construction étrangère, francisés postérieurement au 29 juillet 1891, n'auraient pas droit à la prime (5). Adopté sans discussion par le Parlement, ce projet est devenu la loi du 31 juillet 1890 (6).

Aux termes de l'article 1er de la loi nouvelle, le régime des primes à la navigation, qui devait cesser le 29 janvier 1891, est prorogé d'une seule année, soit jusqu'au 29 janvier 1892. Ce délai d'un an a été précisément adopté pour réserver l'avenir. En effet, c'est au début de 1892 que viendront à échéance la plupart de nos traités de commerce avec l'étranger. A cette occasion le Parlement devra se prononcer sur l'ensemble de notre politique industrielle et commerciale. Il a dès lors paru naturel d'ajourner la question de savoir s'il y a lieu de maintenir, en totalité ou en partie, les primes à la navigation, jusqu'à l'époque où les bases de notre régime économique auront pu être déterminées assez nettement pour permettre d'apprécier la situation qui en résultera pour notre marine marchande.

(1) Malgré cela, la France ne vient qu'au troisième rang sur le relevé général des navires à vapeur. Pavillon anglais, 5,934 navires; tonnage net, 4.820.077. Pavillon allemand, 670 navires; tonnage net, 552.691. Pavillon français, 518 navires; tonnage net, 492.989. (Chiffres du Bureau Veritas 1889-1890.)

(2) Proposition Chiché. Chambre des députés : doc. 1890, p. 695. (3) Proposition Siegfried. Chambre: doc. 1889 (session extraordinaire), p. 391.

(4) Proposition Raynal. Chambre : ibid., p. 390.

(5) Projet du gouvernement (exposé des motifs et texte). Chambre: doc. 1890, P. 953.

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(6) Chambre Rapport d'ensemble par M. Félix Faure, doc. 1890, p. 1168. Déclaration d'urgence et vote sans discussion, 7 juillet 1890. Sénat Texte transmis, doc. 1890, p. 205. Rapport de M. A. Cochery, ibid., p. 210. Déclaration d'urgence et vote sans discussion, 22 juillet 1890.

L'article 9 de la loi du 29 janvier 1881 accorde la prime de navigation (1) 1o aux bâtiments de construction française; 2° aux bâtiments de construction étrangère francisés avant le 29 janvier 1881; 3° sous réserve d'une réduction de moitié, aux bâtiments de construction étrangère francisés postérieurement à cette date. Même ainsi limitée, cette dernière faveur a paru encore trop grande. On a fait observer, lorsqu'a été préparée la loi nouvelle, que les primes accordées pour la navigation de bâtiments achetés au dehors, pouvaient profiter en fait aux chantiers étrangers, et l'on a demandé en conséquence qu'elles fussent supprimées. Conformément à cette idée, l'article 2 de la loi du 31 juillet 1890 dispose que les navires de construction étrangère, francisés postérieurement au 29 janvier 1891, n'auront pas droit à la prime de navigation pendant l'année de prorogation (2).

En somme, la loi du 31 juillet 1890 n'a pas de caractère définitif. Elle se borne à édicter des mesures conservatoires destinées à garantir les intérêts de notre armement jusqu'au jour prochain où les pouvoirs publics auront été mis à même de statuer d'une façon plus complète.

Art. 1er. Les dispositions des articles 9 et 10 de la loi du 29 janvier 1881, relatives aux primes à la navigation, continueront d'être exécutées jusqu'au 29 janvier 1892, sous réserve de la modification résultant de l'article 2 de la présente loi.

Art. 2. Pendant la durée de la prorogation établie par l'article 1er de la présente loi, les navires de construction étrangère, francisés postérieurement au 29 janvier 1891, n'auront pas droit à la prime établie par l'article 9 de la loi du 29 janvier 1881 (3).

(1) Cette prime est proportionnelle à la distance parcourue, au tonnage et à l'âge du navire.

(2) Le texte de cette disposition indique nettement qu'elle n'a pas d'effet rétroactif. Il est donc bien entendu que les navires francisés du 29 janvier 1881 au 29 janvier 1891 conservent leur droit à la moitié de la prime.

(3) « La mesure que nous vous proposons, dit à cet égard l'exposé des motifs du projet du gouvernement, pourrait donc ne paraitre qu'un nouveau pas dans la voie où déjà étaient entrés les auteurs de la loi de 1881, en restreignant de moitié le taux de la prime pour les achats à effectuer, dans l'avenir, à l'étranger. »

XI

DÉCRET DU 8 AOUT 1890, SUR LE BACCALAURÉAT (1).

Notice par M. Paul ROBIQUET, avocat au conseil d'État et à la cour de cassation, docteur ès lettres.

Il y a peu de questions qui présentent un intérêt plus général que la réglementation du baccalauréat, puisque cet examen donne accès à la plupart des carrières libérales et des fonctions publiques, et forme la transition naturelle entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Peu de matières aussi ont été l'objet de plus fréquents remaniements, qui n'attestent pas une grande fixité dans les vues des gouvernements successifs de notre pays.

Nous voudrions essayer de passer en revue les décrets ou arrêtés qui ont tour à tour organisé et désorganisé le baccalauréat.

Le décret du 17 mars 1808, portant organisation de l'université, a limité à trois les grades conférés par les facultés de l'État, à savoir: le baccalauréat, la licence et le doctorat, et spécifié que ces grades seraient conférés à la suite d'examens et d'actes publics. L'article 19 de ce décret organique posait d'une manière large et simple les conditions nécessaires pour être admis à l'examen du baccalauréat dans les facultés des lettres: 1° être âgé de 16 ans au moins; 2° répondre sur tout ce que l'on enseigne dans les hautes classes des lycées; 3° produire un certificat des professeurs d'un lycée, visé par le proviseur et constatant une assiduité de deux ans.

En exécution de cet article 19, le statut sur les facultés des lettres et des sciences, en date du 16 février 1810, précisait le sens du texte précédent, en déclarant que « les aspirants au baccalauréat dans les facultés des lettres seraient interrogés sur les matières enseignées dans les classes de rhétorique et de philosophie », et admettait à l'examen non seulement ceux qui avaient fait ces deux années de rhétorique et de philosophie dans un lycée, mais encore ceux qui sortaient d'une école où ce double enseignement aurait été fondé. De plus, si l'aspirant habitait la ville même où une faculté était établie, il était tenu de faire à la faculté son année de philosophie, et de suivre « l'un des autres cours de la faculté ». Quant aux candidats au baccalauréat ès sciences, ils

(1) J. Off. du 9 août 1890.

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Les visas du décret sont les suivants : décret du 23 août 1858 et arrêté du 20 janvier 1859, relatifs au baccalauréat ès sciences restreint ; décret du 27 novembre 1864 et arrêté du 25 mars 1865 relatifs au baccalauréat ès sciences; décret et arrêté du 19 juin 1880, relatifs au baccalauréat ès lettres; art. 5 de la loi du 27 février 1880.

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devaient, conformément à l'article 22 du décret de 1808 et à l'article 40 du statut de 1810, avoir obtenu préalablement le grade de bachelier ès lettres, « et répondre sur l'arithmétique, la géométrie, la trigonométrie rectiligne, l'algèbre et l'application de l'algèbre à la géométrie ».

L'arrêté du grand maître de l'université, en date du 26 novembre 1812, complétait cette organisation, en déclarant suffisant pour l'admission à l'examen un certificat qui constaterait «< que l'élève a fait ses études dans une école publique autorisée par l'université, ou qu'il a été élevé par un instituteur, par son père, oncle ou frère ».

L'obligation du certificat fut maintenue dans les mêmes conditions par l'arrêté du 26 septembre 1818. Toutefois, il paraît résulter des documents officiels que le gouvernement de la Restauration n'était pas satisfait du mérite des bacheliers de cette époque, car une circulaire ministérielle du 19 septembre 1820 contient ce jugement sévère: «< Monsieur le recteur, depuis longtemps on se plaignait de la facilité que certaines facultés des lettres mettaient à la réception des bacheliers, et nous devons avouer que nous avons quelquefois reçu des lettres ou des réclamations d'individus pourvus de ce grade par voie d'examen et dont le style et l'orthographe offraient la preuve d'une honteuse ignorance. »

L'ordonnance du 5 juillet 1820 avait cependant renouvelé l'interdiction de se présenter au baccalauréat ès lettres, à moins d'avoir suivi pendant un an un cours de rhétorique, et, pendant une autre année, un cours de philosophie, dans l'un des collèges ou institutions où cet enseignement. aurait été autorisé. Le statut du 13 septembre suivant soumit le certificat d'études au visa du recteur, et le singulier règlement du 13 mars 1821, qui autorise les canditats au baccalauréat ès lettres « à se faire examiner sur les mathématiques et sur les éléments des sciences physiques, s'ils se déclarent capables de répondre », comprenait un article 4 ainsi conçu : « A compter du 1er octobre 1823, l'examen sur la philosophie se fera en latin. » Par une autre conception bizarre, l'arrêté du 15 janvier 1822 permit aux candidats de remplacer la justification d'une année de philosophie dans un collège ou dans une école ecclésiastique par quatre inscriptions au cours de philosophie d'une faculté des lettres avec certificats d'assiduité du professeur.

Le régime de juillet s'empressa d'abroger la plupart des règlements précités l'arrêté du 9 février 1830 imposa aux candidats au baccalauréat ès lettres une composition française, qui pouvait être remplacée par la traduction de quelque passage « d'un auteur classique ». L'examen de philosophie cessa d'être fait en latin (arrêté du 11 septembre 1830); le double certificat de rhétorique et de philosophie redevint exigible (arrêté du 17 juillet 1835) et l'article 1er de l'arrêté du 15 janvier 1822 fut abrogé par l'arrêté du 20 juillet 1838 comme étant en contradiction avec l'ordonnance du 9 août 1836, qui exigea d'une manière absolue le titre de bachelier ès lettres pour « l'inscription dans toute faculté ». Par contre, le gouvernement de 1830 se montra très méfiant envers les instituteurs privés, et nous trouvons dans un avis du conseil royal en date du 7 avril 1838,

cette déclaration que les maîtres de pension ne peuvent délivrer des certificats d'études valables pour subir les épreuves du baccalauréat ès lettres, par ce motif « qu'ils ne peuvent donner d'études complètes » et qu'ils sont hors d'état de comprendre dans leur programme la rhétorique et la philosophie qui sont positivement exigées pour les examens. Un autre avis du même conseil, en date du 17 août 1838, porte que « les certificats d'études délivrés par les directeurs des petits séminaires ne doivent servir que pour l'obtention d'un diplôme spécial du baccalauréat ès lettres, lequel diplôme n'est valable, d'après l'article 5 de l'ordonnance du 5 octobre 1814, que pour parvenir à l'état ecclésiastique ». C'était créer un baccalauréat théologique et faire des élèves des petits séminaires une catégorie à part.

Les résultats de tous ces changements ne paraissent pas avoir été très satisfaisants, à en juger par une circulaire ministérielle du 1er décembre 1839, qui confesse que « les abus les plus fréquents ont lieu dans la collation du baccalauréat ès lettres », et qui donne aux recteurs le droit « d'annuler l'examen, toutes les fois que des épreuves insuffisantes leur paraissent avoir été trop favorablement jugées ». La même circulaire prescrit d'interroger les élèves « non sur un petit nombre de passages connus à l'avance, mais sur des passages choisis inopinément dans des textes complets, tels que ceux qu'on explique dans les rhétoriques des collèges royaux: Virgile, Horace, Tacite, quelques discours de Cicéron ou de Démosthène, quelques vies de Plutarque, quelques tragédies de Sophocle, etc. » Un arrêté du 21 février 1840 dispensa les élèves de philosophie de suivre le cours de mathématiques, mais spécifia, par contre, que nul élève de philosophie ne pourrait se présenter au baccalauréat és lettres s'il n'avait suivi le cours de rhétorique. On reporta sur l'année de philosophie une leçon d'histoire naturelle par semaine et une leçon de chimie (ajoutée aux deux leçons de physique); une conférence spéciale de philosophie, comprenant deux leçons par semaine, fut imposée à tous les élèves de mathématiques élémentaires qui ne suivaient pas le cours ordinaire de philosophie.

C'est un règlement du 14 juillet 1840 qui précisa l'ordre et la nature des épreuves du baccalauréat ès lettres. Elles se divisaient alors en trois séries 1o composition écrite (une version latine de deux heures); 2o explication des auteurs; passages tirés au sort sur une liste d'auteurs annexée au règlement; 3° questions orales, également tirées au sort, sur la philosophie, la littérature, l'histoire, les mathématiques et la physique. Le recteur reçoit encore la prérogative délicate et platonique de refuser son visa au certificat d'aptitude « s'il estime qu'il y a eu défaut de formes ou excès d'indulgence dans la réception des candidats ». Pour remplacer les commissions des lettres organisées par l'ordonnance du 8 janvier 1816 (qui avait supprimé les facultés des lettres d'Amiens, Bordeaux, Bourges, Cahors, Clermont, Douai, Grenoble, Limoges, Lyon, Montpellier, Nancy, Nimes, Orléans, Pau, Poitiers, Rennes, Rouen et les facultés des sciences de Besançon, Lyon et Metz), l'ordonnance du

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