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l'Assemblée se sépara (elle fut dissoute) sans avoir examiné le projet de loi.

M. Germain Casse reprit son projet en 1878 et peu après, en 1880, un autre député, M. de Janzé, déposa un projet analogue, mais plus complet, sur les conditions dans lesquelles il serait loisible aux compagnies de chemins de fer de congédier leurs employés. Ces deux projets furent repoussés. Enfin, en 1882, MM. Raynal et Waldeck-Rousseau reprirent le projet repoussé en 1880 et en même temps, MM. Delattre, de Janzé et plusieurs de leurs collègues déposaient un projet analogue. Ces projets furent pris en considération par la Chambre, et la commission chargée de les examiner fit des deux un seul texte qui a servi de fonds à la loi actuelle. Le projet rédigé par la commission tendait à 1° prévenir le renvoi arbitraire des agents; 2o règler par voie administrative les mesures disciplinaires auxquelles ces mêmes agents pourraient être soumis; 3° faire approuver par le ministre les statuts des caisses de retraite librement rédigés jusqu'alors; 4° instituer une juridiction spéciale pour trancher les différends pouvant s'élever entre les compagnies et leurs agents.

Dans les exposés des motifs comme dans les débats qui eurent lieu au parlement, soit devant la Chambre des députés, soit au Sénat, les auteurs et les partisans du projet alléguèrent d'abord l'arbitraire des compagnies qui congédient leurs agents pour de très futiles motifs, sans avoir égard ni à leurs services antérieurs, ni aux versements faits par eux (par voie de retenues obligatoires) aux caisses de retraite, et ces versements sont perdus pour ceux qui, volontairement ou non, quittent avant d'être arrivés à l'âge de la retraite. Il n'est pas admissible que ces employés qui font leur carrière du service dans les compagnies de chemins de fer, qui par suite trouveraient difficilement à s'occuper ailleurs après quinze ou vingt ans passés dans la même occupation, puissent être renvoyés au gré d'un directeur ou d'un agent supérieur des compagnies. Cela est d'autant moins admissible que la considération d'une pension de retraite a été pour beaucoup dans les motifs qui leur ont fait choisir le service de la compagnie et que cette même considération leur a fait accepter un salaire relativement minime, que les retenues en vue de la pension diminuent encore. Ces agents sont nombreux en France, leurs réclamations méritent d'être considérées. Il les ont faites jusqu'ici avec une parfaite mesure, mais on doit craindre que voyant leurs équitables demandes rejetées par le parlement, ils n'emploient les moyens violents et ne donnent le spectacle de ces grèves des voies ferrées dont on sait par l'exemple des États-Unis d'Amérique quelles perturbations elles jettent dans la vie et dans les affaires et combien de pertes elles font subir à l'industrie et au com

merce.

Opposait-on que c'était là une loi spéciale et qu'il n'y avait nulle raison pour traiter les compagnies de chemins de fer autrement que toute autre industrie, ni pour intervenir entre elles et leurs employés? C'était oublier la situation toute spéciale de ces compagnies. N'existaient

elles pas par concession de l'Etat qui leur avait consenti un monopole et qui, par suite, avait qualité pour veiller à l'usage qu'elles en faisaient et pour prendre garde à ce que ce monopole ne devint ni nuisible, ni oppressif? Il ne s'agissait pas d'ailleurs de faire une loi pour tous ceux que ces compagnies occupent à un titre quelconque, mais pour les seuls agents commissionnés, c'est-à-dire pour ceux seulement que les compagnies investissent d'un titre spécial leur conférant des fonctions particulières et plus difficiles. N'est-il point juste que ce titre comporte quelque garantie et ne puisse, non plus que celui des officiers de terre et de mer, être retiré arbitrairement?

On répondit, car la question fut longuement débattue et à la Chambre des députés et au Sénat que l'État, en concédant les voies ferrées, n'avait jamais entendu intervenir dans les rapports entre les compagnies exploitantes et leurs agents. Le contrôle de l'État s'exerce pour assurer la sécurité des voyageurs et le transport exact et dans un temps fixé des marchandises; il s'exerce encore en matière de tarifs, mais il a toujours été entendu que les compagnies, parce qu'on les tient pour responsables de tout accident et de tout retard, enfin de tout manquement à la sécurité ou à l'exactitude, seraient libres de choisir ceux qu'elles emploient. Le service que font leurs agents commissionnés exige des qualités particulières, physiques et techniques, il importe donc qu'elles puissent non seulement les choisir, mais écarter tous ceux qui ne remplissent pas ou ne remplissent plus les conditions voulues. C'est seulement par une constante sélection que l'on parvient à avoir ce personnel d'élite indispensable pour le service et sans lequel la sécurité des personnes et des choses transportées serait compromise.

Il faut encore que ce personnel soit soumis à une exacte discipline; or elle sera détruite du jour où un renvoi, conséquence même du refus d'exécuter un ordre, pourra être contesté devant une juridiction à la fois spéciale et incompétente. Ainsi on laissera aux compagnies la responsabilité de leurs actes tout en leur retirant les moyens d'en assurer la bonne exécution.

Les agents des compagnies étaient-ils si désireux de voir prendre les mesures proposées en leur nom et ne prenait-on pas pour le vœu de tous les désirs de quelques turbulents? La commission que vous avez nommée, disait au Sénat M. Cuvinot, son rapporteur, a entendu un grand nombre d'agents commissionnés des chemins de fer et a constaté que leurs réclamations portaient toutes sur la question des caisses de retraites. Il est toujours facile de citer quelques faits de renvois injustes ou supposés tels (l'argument avait été fort employé à la Chambre), mais les renvois sont en somme bien peu nombreux (de 1/2 à 1 pour cent du personnel) et ils sont bien au-dessous du chiffre des démissions volontaires. Les compagnies que l'on incrimine tant font, pour accroître le bien-être de leurs employés et leur sécurité dans leur vieillesse des sacrifices volontaires qui, à la compagnie du chemin de fer d'Orléans par exemple, ne s'élèvent pas à moins de 20 p. 100 du chiffre des salaires. Aussi cette

situation «< intolérable » d'employé de chemin de fer, cette condition de << serf des voies ferrées » est recherchée avec ardeur par de très nombreux postulants qui épuisent pour faire aboutir leurs démarches toutes les sollicitations et toutes les protections.

Nombre d'entre eux sont des fils d'employés retraités ou en exercice et ceux-ci assurément connaissent la position qu'ils recherchent pour leurs enfants.

Le Sénat écarta toute idée d'une loi spéciale aux employés de chemins de fer et comme les principales réclamations portaient sur l'incertitude de la jurisprudence qui ne reconnaît pas d'une manière assurée aux salariés congédiés même sans motif le droit à une indemnité, il résolut de faire une disposition générale sous forme d'un amendement à l'article 1780 du code civil sur le louage d'ouvrage.

Cet article dispose seulement que l'on ne peut engager ses services à perpétuité. On y ajouta cette disposition, depuis longtemps admise par la jurisprudence, que le louage fait sans durée fixe, peut toujours cesser par la volonté de l'une des parties, et cette autre, douteuse en jurisprudence, ou non admise au moins d'une façon suivie et bien assurée, que la rupture du contrat par la volonté de l'un des contractants donnerait lieu, au profit de l'autre, à des dommages intérêts. Un amendement qui portait « résiliation du contrat sans motif légitime» fut écarté après de longs débats comme inutile, puisqu'on ne saurait condamner celui qui use de son droit et que c'est seulement au cas contraire qu'une indemnité peut être due.

Ainsi les projets de lois proposés à l'origine en faveur des seuls mécaniciens et chauffeurs des compagnies de chemins de fer, avaient été ensuite étendus à tous les agents commissionnés de ces mêmes compagnies, c'est-à-dire à plus de la moitié de leurs nombreux employés; ils devenaient enfin une disposition générale applicable à tous les salariés et prenaient place dans le code civil.

Les députés n'acceptèrent pas sans résistance un tel changement aux dispositions qu'ils avaient votées. Une première fois ils maintinrent la rédaction d'abord adoptée, spéciale aux agents de chemins de fer et donnant à l'administration un pouvoir étendu d'intervention dans les rapports entre ces agents et les compagnies qui les emploient; puis le Sénat ayant maintenu, mais avec quelques modifications de détail, sa rédaction première, ils cédèrent enfin pour terminer un si long débat, se réservant de reprendre dans une loi spéciale les propositions écartées par le Sénat.

Il resta toutefois du projet primitif une disposition spéciale aux agents de chemins de fer et qui est devenue l'article 2 de la loi. Elle a trait aux caisses de retraites que toutes les compagnies ont spontanément établies en faveur de leur personnel, mais qui sont alimentées à la fois par une retenue sur les salaires et par un versement des compagnies toujours supérieur (sauf dans les chemins de fer de l'État et il a été entendu que la loi leur serait applicable) aux retenues

On avait fort réclamé contre une disposition des statuts de ces caisses portant que tout employé sortant, soit volontairement, soit par renvoi, perdait tout droit aux versements par lui faits, et bien qu'il eût été porté à la connaissance des chambres que, de 1881 à 1882, cette disposition avait partout disparu par la volonté même des compagnies et que les agents sortants recevaient le montant de leur avoir aux caisses de retraites, on crut devoir prendre à l'encontre des compagnies la précaution qui se trouve écrite dans l'article 2.

Un sénateur avait cependant émis une crainte à ce sujet : c'est que le ministre n'usât de son droit pour refréner la générosité des compagnies puisque cette générosité pouvait conduire à un accroissement de la garantie d'intérêts due par l'État. Le ministre des travaux publics assura le Sénat que ce ne serait point en ce sens qu'il exercerait le droit que lui voulaient conférer les législateurs, et l'article 2 fut voté (1).

Art. 1er. L'article 1780 du code civil est complété comme il suit : «Le louage de service, fait sans détermination de durée, peut toujours cesser par la volonté d'une des parties contractantes.

<< Néanmoins, la résiliation du contrat par la volonté d'un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-intérêts.

<< Pour la fixation de l'indemnité à allouer, le cas échéant, il est tenu compte des usages, de la nature des services engagés, du temps écoulé, des retenues opérées et des versements effectués en vue d'une pension de retraite, et en général, de toutes les circonstances qui peuvent justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice causé.

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« Les parties ne peuvent renoncer à l'avance au droit éventuel de demander des dommages-intérêts en vertu des dispositions cidessus.

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Les contestations auxquelles pourra donner lieu l'application des paragraphes précédents, lorsqu'elles seront portées devant les tribunaux civils et devant les cours d'appel (2), seront instruites comme affaires sommaires et jugées d'urgence. »

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Art. 2. Dans le délai d'une année, les compagnies et administrations de chemins de fer devront soumettre à l'homologation ministérielle les statuts et règlements de leurs caisses de retraites et de secours.

(1) A titre de commentaire, nous signalerons l'Étude sur le nouvel article 1780 du code civil, publiée par M. Marc Sauzet dans les Annales de droit commercial, 1891, 2e partie, p. 49.

(2) Les constatations en matière de congé de louage d'ouvrage sont du ressort des tribunaux de prud'hommes, mais on sait qu'il n'en existe qu'en certains endroits, ce qui explique la disposition de l'article 1er.

XV

DÉCRET DU 30 DÉCEMBRE 1890, PORTANT RÈGLEMENT D'ADMINISTRATION PUBLIQUE SUR LA TAXE MILITAIRE, EN EXÉCUTION DE L'ARTICLE 35 DE LA LOI DU 15 JUIllet 1889 sur le RECRUTEMENT DE L'ARMÉE (1).

CHAPITRE Ier

De l'assiette de la taxe.

Art. 1er. La taxe militaire est due à partir du 1er janvier qui suit l'appel à l'activité de la classe à laquelle appartient l'assujetti. Elle est établie à raison des faits existant au 1er janvier.

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Art. 2. L'homme présent sous les drapeaux au 1er janvier, comme incorporé dans l'armée active, n'est pas imposable à la taxe militaire. Art. 3. La taxe militaire annuelle calculée conformément aux dispositions du troisième paragraphe de l'article 35 de la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée est réduite, par application des dispositions du quatrième paragraphe du même article, d'un trentesixième pour chaque mois de service accompli par l'assujetti, alors même que la durée de son service ne constituerait pas une période ininterrompue. Il n'est pas tenu compte des fractions de mois.

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Art. 4. Pour l'application des dispositions qui précèdent, il n'est pas fait état au profit de l'intéressé de tout service accompli à titre d'exercices ou manoeuvres et de tout service accompli, en temps de paix, au titre de la réserve de l'armée active, de l'armée territoriale ou de la réserve de l'armée territoriale.

Art. 5. Ne sont pas imposables à la taxe militaire les hommes qui ont accompli dans l'armée active la durée de service fixée par les articles 37 et 40 de la loi sur le recrutement, alors même que, par application des dispositions de ce dernier article, ils auraient été incorporés postérieurement au 1er novembre ou renvoyés dans leurs foyers antérieurement au 31 octobre.

Art. 6. Dans le cas prévu au troisième alinéa du paragraphe 3 de l'article 35 de la loi sur le recrutement, l'augmentation à faire subir à la cole de l'assujetti est déterminée en divisant la cote personnelle mobilière en principal de l'ascendant du second degré par le nombre des enfants vivants ou représentés dudit ascendant et en subdivisant le quotient ainsi obtenu par le nombre des enfants vivants ou représentés de l'ascendant du premier degré.

(1) J. Off. du 31 décembre 1890.

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