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nationaux. Il m'a paru bon, en conséquence, de rendre applicable à notre colonie, sauf certaines modifications de détail, le principe même du décret qui régit la métropole et de soumettre les étrangers immigrants à une déclaration analogue à celle exigée des étrangers résidant en France. Exception toutefois est faite à cette règle pour les hiverneurs étrangers que leurs plaisirs ou le soin de leur santé appellent momentanément sur le territoire algérien, pour les étrangers musulmans arrivant par les frontières de terre et munis de permis réguliers, enfin pour les étrangers résidant depuis trois années au moins dans la colonie. >>

Art. 1er.

Tout étranger arrivant en Algérie devra, dans un délai de trois jours à partir de son arrivée, faire à la mairie de la commune où il séjournera une déclaration énonçant :

1° Ses nom et prénoms et ceux de ses père et mère;

2o Sa nationalité;

3o Le lieu et la date de sa naissance;

4o Le lieu de son dernier domicile;

5° Sa profession ou ses moyens d'existence;

6o Le nom, l'âge et la nationalité de sa femme et de ses enfants mineurs, lorsqu'il sera accompagné par eux.

Il devra produire toutes les pièces justificatives à l'appui de sa déclaration. S'il n'est pas porteur de ces pièces, le maire pourra, avec l'approbation du préfet du département, lui accorder un délai pour se les procurer.

Un récépissé de sa déclaration sera délivré gratuitement à l'intéressé et devra être représenté par lui à première réquisition tant qu'il résidera en Algérie.

Seront dispensés de cette formalité les étrangers venant hiverner en Algérie. Pour ces derniers, il suffira de la déclaration qui sera faite sur leur compte par les aubergistes, hôteliers, logeurs ou loueurs de maisons garnies, conformément aux lois et règlements.

Art. 2. Les étrangers résidant actuellement en Algérie, mais qui n'y sont pas fixés depuis au moins trois ans, seront tenus de faire la même déclaration dans un délai d'un mois, à partir de la promulgation du présent décret.

-

Art. 3. Dans chaque commune, le maire établira tous les huit jours un état récapitulatif des étrangers ayant fait l'objet des déclarations prévues aux articles 1 et 2; ces états seront de suite transmis au sous-préfet ou au préfet. Tous les mois, le préfet adressera au gouverneur général une liste d'ensemble pour son département.

Art. 4. Ces dispositions ne sont pas applicables aux étrangers

musulmans arrivant par les frontières de terre et munis de permis réguliers.

Art. 5. Toute contravention aux dispositions du présent décret sera punie des peines de simple police, sans préjudice de l'expulsion qui pourra être prononcée par le gouverneur général ou par les préfets, en vertu de la loi du 3 décembre 1849.

II

LOI DU 25 JUIN 1890, AYANT POUR OBJET DE MAINTENIR, PENDANT SEPT

ANS, AUX ADMINISTRATEURS DES COMMUNES MIXTES, EN TERRITOIRE CIVIL, LE DROIT DE RÉPRESSION, PAR VOIE Disciplinaire, DES INFRACTIONS SPÉCIALES A L'INDIGÉNAT (1).

Notice et notes par M. Jules CHALLAMEL, avocat à la cour d'appel de Paris, docteur en droit.

En attribuant aux administrateurs des communes mixtes des pouvoirs disciplinaires destinés à asseoir leur autorité, le législateur de 1881 avait eu pour but de faciliter la transition entre le régime militaire et le régime civil. Les populations indigènes, disait-on, sont habituées à voir entre les mains de ceux qui les administrent des pouvoirs très considérables et d'une application immédiate; il serait dangereux de les supprimer du jour au lendemain et de laisser les administrateurs civils dans une position trop marquée d'infériorité par rapport aux administrateurs militaires.

En même temps, le législateur exprimait le vœu que l'organisation judiciaire de l'Algérie fût complétée et qu'il y eût bientôt un nombre suffisant de tribunaux et de justices de paix pour rendre inutile l'exercice du pouvoir exceptionnel accordé aux administrateurs.

Mais il est dans la nature des choses que le provisoire se perpétue au delà des prévisions de ceux qui l'ont établi, surtout lorsqu'il est fondé sur l'arbitraire, et que les fonctionnaires investis d'une certaine autorité résistent à toute tentative d'amoindrissement de leur puissance.

(1) J. Off. du 26 juin 1890. Travaux préparatoires. Chambre exposé des motifs, doc. 1890, p. 112; rapport, p. 512; 1re délibération, 29 mars; 2o délibération, 12 mai 1890.- Sénat : texte transmis, doc. 1890, p. 99; rapport, p. 117; rapport supplémentaire, p. 137; déclaration d'urgence et discussion, 12, 13 et 16 juin 1890. - Chambre, texte transmis, doc. 1890, p. 1194; lecture du rapport en séance publique et adoption, 24 juin 1890.

Les dispositions de la loi du 28 juin 1881, prorogées déjà pour deux ans en 1888 (1), ont donc fait l'objet d'une nouvelle prorogation de sept années.

Il pourrait paraître inutile d'analyser les discussions parlementaires qui ont préparé ce résultat; car la question qui s'est posée de nouveau devant les Chambres est exactement la même qu'en 1888. Cependant il n'est pas sans intérêt de signaler par quelle déviation singulière du point de départ on en est arrivé à justifier, non pas seulement pour un temps, mais à tout jamais, cette réunion dans les mains d'un seul fonctionnaire des pouvoirs d'administrateur et de juge.

En effet, tandis que le gouvernement se bornait à réclamer la prorogation de la loi pour sept années, la commission sénatoriale conclut à la pérennité de ses dispositions. « Les infractions spéciales à l'indigénat, dit le rapport, et leur répression par les administrateurs des communes mixtes ne sont pas de simples expédients destinés à répondre à des besoins transitoires; ce sont des mesures logiques, raisonnées, conformes aux exigences permanentes d'un état de choses dont il est difficile de prévoir les transformations. » Et, répondant aux objections qui lui étaient adressées, l'auteur de ce rapport, M. Trarieux, s'écriait : « Croyezvous donc que les Arabes puissent comprendre l'importance que nous attachons à ces nuances raffinées de droit politique, à ces questions de séparation des pouvoirs que nous jugeons d'un si grand intérêt pour la garantie de nos libertés publiques, mais qui sont si éloignées de leur état social? Non seulement les indigènes de nos communes mixtes ne nous comprendraient pas s'ils assistaient à nos débats, mais j'ose assurer qu'ils n'auraient que le plus parfait dédain pour des idées contre lesquelles leurs traditions et leur éducation protestent. Voyons les choses sous leur vrai jour. Ce que nos indigènes connaissent et ce qu'ils respectent avant tout, c'est la force, la force s'exerçant avec humanité, avec justice sans doute, mais la force sachant se faire obéir. Il faut ne jamais oublier cela, et, si nous exigions de nos administrateurs des ménagements excessifs, nous ferions croire à leur faiblesse et nous les réduirions à l'impuissance.

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A l'encontre de ces conclusions, des amis sincères de l'Algérie (2) s'attachèrent à montrer combien il était utile d'appeler périodiquement l'attention des pouvoirs publics sur le régime spécial imposé aux indigènes. Sans doute les lois sont toujours revisables, même lorsqu'elles ont une durée indéterminée; mais, en fait, il faut des sollicitations bien pressantes pour qu'on y apporte quelque modification. Les administrateurs s'endorment volontiers sur les dispositions qui leur apportent de semblables pouvoirs; il est bon qu'ils soient tenus en éveil par l'échéance d'un délai légal. Il est juste aussi que les indigènes conservent l'espoir de voir disparaître un jour ce régime de discipline sévère, d'autres ont dit d'escla

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(1) V. Annuaire 1889, p. 100. V. aussi la communication de M. Julien de Lassalle, dans le Bulletin 1889, p. 386, et celle de M. Prévot-Leygonie, dans la Revue algérienne et tunisienne, 1890, p. 81.

(2) M. Isaac, M. le général Robert et M. Le Breton, sénateurs.

vage, dont les obligations leur paraissent vexatoires dans bien des cas; jusqu'à présent ils n'ont aucun représentant qui puisse élever la voix et faire entendre leurs doléances; leur seule sauvegarde est la sollicitude désintéressée que le Parlement leur témoigne. Le congrès colonial qui s'est réuni à Paris en 1889 avait émis le vœu que les pouvoirs disciplinaires des administrateurs soient supprimés, qu'il soit procédé à une refonte du code de l'indigénat, l'application de ce code devant être confiée désormais aux juges de paix, comme cela a lieu déjà dans les communes de plein exercice, et que le nombre des juges de paix soit augmenté. Si cette réforme ne peut être immédiatement réalisée, à cause de l'insuffisance de notre organisation judiciaire, du moins ne faut-il pas y renoncer pour l'avenir; nous ne devons pas nous lasser, au contraire, de demander au gouvernement les moyens nécessaires pour l'accomplir.

Ainsi donc, ce qui était en discussion devant le Sénat c'était le caractère provisoire ou définitif du pouvoir disciplinaire conféré aux adminis

trateurs.

Malgré l'insistance de la commission, la nature tout exceptionnelle de ce pouvoir fut de nouveau reconnue et consacrée, et la prorogation ne fut volée que pour sept années.

Il est nécessaire encore, à un autre point de vue, d'appeler l'attention sur la loi du 25 juin 1890.

En effet, des modifications de détails ont été apportées à l'énumération des infractions punissables. L'article 2 de cette liste visant les actes irrespectueux ou propos offensants vis-à-vis d'un représentant ou d'un agent de l'autorité, avait été particulièrement critiqué comme pouvant prêter à des abus d'autorité; la loi nouvelle le fait disparaître. Quelques autres dispositions, dont la rédaction était conçue en termes équivoques, ont été précisées; celles qui pouvaient constituer une gêne pour la liberté de la circulation et du commerce ont été atténuées (1).

Enfin certaines garanties ont été données aux indigènes : - les administrateurs seront tenus désormais d'inscrire sur un registre ad hoc la nature et la quotité des peines infligées, avec la mention sommaire du motif; pareille indication sera portée sur un volant, détaché d'un registre à souche et délivré à l'intéressé, de manière que le jugement reçoive une sorte de publicité (2). De plus, l'indigène puni pourra appeler, devant le préfet ou le sous-préfet, de la décision qui le frappe.

Un arrêté du gouverneur général du 28 juin 1890, rendue en exé

(4) V. infrà, p. 201, note 1.

(2) « Il nous a été dit que souvent les décisions se prononçaient, en tête à tête, dans le cabinet de l'administrateur, dans le bordj. Nous avons pensé qu'il n'était pas mauvais que la justice disciplinaire fût publique, comme toutes les autres, et, dans l'intérêt même de nos administrateurs chargés de la rendre et pour mieux les défendre contre tout soupçon, nous demandons que leurs jugements soient instruits et prononcés à portes ouvertes, au jour de l'audience. » Discours de M. Trarieux, 12 juin 1890, p. 582.

cution de l'article 7 de la loi, détermine les conditions de publicité des décisions disciplinaires ainsi que les délais et formes de l'appel (1).

Art. 1er. Pendant sept ans, à partir de la promulgation de la présente loi, les pouvoirs de répression, par voie disciplinaire, pour infractions spéciales à l'indigénat, sont maintenus aux administrateurs des communes mixtes en territoire civil.

Les infractions spéciales auxquelles les administrateurs appliqueront les peines de simple police sont énumérées au tableau annexé à la présente loi.

Art. 2. L'administrateur inscrira sur un registre à souche, coté et paraphé, la décision qu'il aura prise avec indication sommaire des motifs.

Extrait dudit registre sera transmis chaque semaine par la voie hiérarchique au gouverneur général.

Un volant détaché du registre à souche, et portant les indications nécessaires, sera remis sur-le-champ à l'indigène puni.

Art. 3. Les décisions des administrateurs pourront être attaquées par la voie de l'appel devant le préfet pour l'arrondissement du chef-lieu, et devant le sous-préfet pour les autres arrondissements, lorsqu'elles prononceront un emprisonnement de plus de vingt-quatre heures, ou une amende de plus de 5 francs (2).

L'appel produira un effet suspensif (3).

L'appelant sera toujours admis à présenter en personne sa défense devant les préfets ou sous-préfets (4).

Art. 4. Le préfet ou le sous-préfet pourra, si l'appel est fondé, substituer l'amende à l'emprisonnement, réduire et même supprimer la peine.

Sa décision, notifiée à l'administrateur, devra être transcrite sur le registre à souche en marge de la décision infirmée.

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(1) V. infrà, p. 200, note 2. V. aussi la circulaire adressée aux préfets, le 12 juillet 1890: Revue algérienne et tunisienne, 1890, p. 90.

(2) M. Isaac avait demandé que l'appel fût porté devant les tribunaux correctionnels. Cet amendement a été repoussé par le Sénat.

(3) Le texte proposé d'abord par le gouvernement et voté par la Chambre des députés ne reconnaissait pas le caractère suspensif de l'appel dans les cas prévus aux paragraphes 2, 16, 17 et 18 de l'annexe. Il s'agit ici, disait-on, d'infractions graves, intéressant l'ordre public, et pouvant compromettre la sécurité du pays; il importe que des mesures immédiates puissent être prises. Le Sénat pensa au contraire que l'appel devait toujours avoir un effet suspensif ou qu'il ne serait qu'une parodie. Le texte ainsi modifié fut adopté finalement par la Chambre, mais non sans protestation: séance du 24 juin.

(4) Le projet portait ces mots: L'appelant pourra toujours être admis....... La nouvelle rédaction, proposée par M. Franck-Chauveau, établit avec plus de netteté que l'on ne peut refuser à l'intéressé le droit d'être entendu personnellement. Sénat, séance du 13 juin.

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