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TUNISIE

(PAYS DE PROTECTORAT)

L'événement le plus marquant de l'année est l'adoption par les cham bres françaises d'une loi du 19 juillet 1890, modifiant le tarif général des douanes en faveur des produits tunisiens (V. infrà, p. 208).

Nous donnons aussi le texte d'un décret du bey, du 4 avril 1890, relatif

à la délimitation et à l'immatriculation des forêts de l'État (V. ci-dessous);

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et celui d'un décret du 28 mai 1890, relatif à l'interdiction de l'esclavage (infrà, p. 207).

Enfin nous signalerons :

1° Deux déclarations du 26 juin 1890 qui étendent à la Tunisie les dispositions de la convention franco-belge du 15 août 1874, et de la convention franco-anglaise du 14 août 1876, relatives à l'arrestation des malfaiteurs (1);

2o Un décret du bey, du 23 septembre 1890, supprimant tous droits d'exportation sur les animaux (2);

3o Un décret du bey, du 25 septembre 1890, supprimant la direction du service des antiquités et des arts et créant une inspection de ce service (3).

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DÉCRET DE S. A. LE BEY, DU 4 AVRIL 1890, RELATIF A LA DÉLIMITATION ET A L'IMMATRICULATION DES FORÊTS DE L'ÉTAT (4).

La conservation des forêts domaniales de la Régence est nécessaire à l'intérêt général, tant au point de vue du climat qu'au point de vue de la régularisation du régime des eaux et du maintien des sources. On a donc pensé qu'il y avait lieu de procéder à leur délimitation, et, dans ce

(1) Revue algérienne et tunisienne, 1890, p. 69.

(2) Ibid., p. 107.

(3) Ibid., p. 108. (4) Ibid., p. 29.

but, de les faire passer sous le régime de la loi foncière du 1er juillet 1885. Mais, à raison de l'étendue considérable du domaine forestier et du caractère administratif que présente l'opération de délimitation de ce domaine, on a dû apporter quelques modifications à la procédure suivie en matière d'immatriculation, notamment en ce qui concerne les délais.

-

Art. 1er. Le domaine de l'État comprend les bois et forêts sous la réserve des droits de propriété et d'usage régulièrement acquis avant la promulgation de la présente loi. — Des décrets ultérieurs détermineront le mode d'exercice des droits d'usage.

Art. 2. Est déclarée nulle et sans effet toute aliénation du sol forestier domanial, de sa superficie ou de ses usages qui n'aura pas été préalablement autorisée par un décret rendu sur la proposition concertée du directeur général des travaux publics et du directeur des finances.

Art. 3. Par dérogation aux dispositions du décret du 13 djoumadi-el-aoual 1303 (17 février 1886), le directeur général des travaux publics exercera, tant en demandant qu'en défendant, les actions intéressant le domaine forestier de l'État. Toutefois, les instances actuellement engagées continueront à être suivies au nom de l'État par le directeur des finances.

Art. 4. Il sera procédé, dans le plus bref délai possible, à l'immatriculation du domaine forestier au nom de l'État, à la diligence et sur la réquisition du directeur général des travaux publics. Les formalités de l'immatriculation seront remplies conformément à la loi du 1er juillet 1885 sur la propriété foncière, sauf en ce qui concerne les dérogations spécifiées ci-après.

Art. 5. Le bornage provisoire de chaque groupe forestier faisant l'objet d'une réquisition distincte aura lieu dans les trois mois qui suivront les publications de la réquisition relative à ce groupe. Le juge de paix ne fixera la date de cette opération qu'après entente avec le chef de la circonscription forestière. Dans le cas où diverses parties d'un groupe forestier d'un seul tenant se trouveraient comprises dans des circonscriptions de justices de paix différentes, les publications prévues par les articles 25 et 26 de la loi foncière seraient faites dans toutes les circonscriptions, mais le bornage serait exécuté par le juge de paix dont la circonscription comprend la partie la plus étendue de la forêt à immatriculer.

Art. 6. Par dérogation aux articles 27 et 29 de la loi du 1er juillet 1885, le délai imparti aux oppositions est porté à trois mois au lieu de deux. Le délai de remise des plans à la conser

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vation foncière sera fixé par le tribunal mixte sur l'avis du directeur général des travaux publics.

Art. 7. Par dégation à l'article 41 de la loi du 1er juillet 1885, le greffier du tribunal mixte remettra au requérant, dans le mois qui suivra l'expiration des délais impartis aux opposants par le paragraphe 2 dudit article, un dossier comprenant copie authentique des pièces énumérées ci-après:

1° Procès-verbal de bornage provisoire;

2. Procès-verbaux d'opposition;

3° Requêtes introductives d'instance;

4° Pièces produites à l'appui desdites requêtes.

Quatre mois après cette remise, le président du tribunal mixte, après avoir entendu les observations du requérant, fixe le délai définitif de dépôt des conclusions de celui-ci.

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DÉCRET DE S. A. LE BEY, DU 28 MAI 1890, RELATIF A L'INTERDICTION DE L'ESCLAVAGE DANS LA RÉGENCE (1).

Un décret de Sidi Ahmed-Bey, du 25 moharrem 1262 (23 janvier 1846) proclamait que, par les plus hautes considérations de religion, d'humanité et de politique, l'esclavage ne serait plus reconnu dans la Régence. D'expresses recommandations de ses successeurs ont supprimé les marchés d'esclaves, ordonné que tous ceux qui étaient venus dans la Régence en cette qualité y seraient affranchis, et décidé que les caïds devraient, sous les peines les plus sévères, signaler au gouvernement les actes d'esclavage qui arriveraient à leur connaissance. On peut rappeler notamment la récente circulaire du 5 redjeb 1304 (29 juin 1887), adressée aux caïds et renouvelant ces prescriptions.

Le décret ci-dessous a pour objet de réunir en une seule les diverses réglementations existantes qui interdisent et punissent l'esclavage.

Art. 1er. L'esclavage n'existe pas et est interdit dans la Régence; toutes créatures humaines, sans distinction de nationalités ou de couleurs, y sont libres et peuvent également recourir, si elles se croient lésées, aux lois et aux magistrats.

Art. 2. Dans un délai de trois mois à partir de la promulgation du présent décret, tous ceux qui emploieront en domesticité

(1) Revue algérienne et tunisienne, 1890, p. 34.

dans nos États des nègres ou des négresses devront, s'ils ne l'ont déjà fait, remettre à chacun d'eux un acte notarié visé par le cadi ou, à son défaut, par le caïd ou son représentant, établi aux frais du maître et attestant que le serviteur ou la servante est en état de liberté.

Art. 3. Les contraventions à l'article précédent seront punies par les tribunaux français ou indigènes, selon la nationalité du délinquant, d'une amende de 200 à 2.000 piastres.

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Art. 4. Ceux qui seront convaincus d'avoir acheté, vendu ou retenu comme esclave une créature humaine seront punis d'un emprisonnement de trois mois à trois ans.

Art. 5. L'article 463 du code pénal français sera applicable aux délits et contraventions prévus par le présent décret. L'article 58 du même code sera applicable en cas de récidive.

III

LOI DU 19 JUILLET 1890, PORTANT MODIFICATION DU TARIF GÉNÉRAL DES DOUANES EN FAVEUR DE CERTAINS PRODUITS ORIGINAIRES DE LA

TUNISIE (1).

Notice et notes par M. Daniel POIGNARD, docteur en droit,
avocat à la cour d'appel de Paris.

Cette loi, sollicitée par l'opinion publique, a été votée à une immense majorité par la Chambre des députés (479 voix contre 24) et par le Sénat (244 voix contre 1), car elle répondait à une nécessité pratique dont il était impossible de ne pas tenir compte.

Jusque-là, le régime douanier, appliqué aux produits de la Tunisie à leur entrée en France était celui du tarif général. Antérieur à l'établissement du protectorat, il avait survécu à l'indépendance du bey. Il en résultait cette étrange anomalie, qu'un pays occupé par nos armes, gouverné par nos administrateurs, cultivé par nos colons, fécondé par nos capitaux, était moins bien traité que les nations liées avec nous par des conventions commerciales.

(1) J. Off. du 20 juillet 1890.

Travaux préparatoires: - Chambre: exposé des motifs, déposé le 13 mars 1890, doc. 1890, p. 472; rapport de M. Jonnart, au nom de la commission des douanes, p. 1321; déclaration d'urgence et adoption, 4 juillet 1890. Sénat texte transmis, le 8 juillet, doc. 1890, p. 190; rapport de M. Charles Ferry, p. 205; discussion, 17 juillet 1890.

Cette situation offrait les plus graves inconvénients. Les Français, au nombre de plus de 6.000, qui avaient acquis environ 400.000 hectares de terre, et dépensé plus de cinquante millions de francs, qui avaient donné à la culture une vigoureuse impulsion, ne pouvaient plus persévérer dans leurs efforts à cause de la difficulté que le pays éprouvait à écouler le surplus de sa production. Les exportations en France étaient rendues très difficiles. Ainsi, les huiles, étant frappées à leur entrée dans notre pays d'un droit de 4 fr. 50, ne pouvaient lutter avec celles de provenance italienne et espagnole, qui n'acquittaient qu'un impôt de 3 francs; les vins, à cause des différences de droit, ne pouvaient plus lutter avec les vins d'Espagne sur le marché français; et sur place, à cause de leur qualité inférieure, ils ne pouvaient supporter la concurrence des gros vins de Sicile que l'Italie exporte en Tunisie. Un droit de cinq francs empêchait les blés durs d'entrer en France. Ils étaient alors achetés par l'Italie pour la fabrication des pâtes alimentaires, et ils ne pénétraient chez nous que sous forme de pâtes, après avoir fourni à la main-d'œuvre italienne un fructueux emploi.

Une telle situation était contraire aux intérêts français et désastreuse pour les colons installés en Tunisie. Le résident général à Tunis, M. Cambon, n'avait cessé de demander une modification de la législation; les chambres de commerce de Lyon, Bordeaux et Paris, et d'autres encore, firent également appel au gouvernement. La loi actuelle a pour but de porter remède, dans une mesure légitime, à cet état de choses; elle aurait dû être votée bien plus tôt, mais diverses tentatives faites dans ce but avaient échoué devant la résistance de certains intérêts particuliers (1).

Voici maintenant l'économie de cette loi: elle accorde aux produits tunisiens entrant en France, un régime exceptionnel, intermédiaire entre la franchise de droit et le tarif conventionnel.

Ainsi, franchise pour les céréales en grain, les huiles, les animaux vivants, les volailles, le gibier; droit de 0,60 par hectolitre de vin (2). Quant aux autres produits non dénommés dans la loi, ils paieront à l'entrée en France les droits les plus favorables, perçus sur les produits similaires étrangers par la douane française. Cette loi permettra donc à la Tunisie de vivre, de prospérer, de nouer avec la France des relations fructueuses.

Aucune critique sérieuse ne saurait être dirigée contre elle. Il suffit, pour le démontrer, de passer en revue d'un mot les diverses objections qui ont été formulées lors de la discussion.

On a cherché à exciter la méfiance de ceux qui produisent en France des blés et des vins; mais la concurrence des blés de la Régence n'est point à craindre pour les nôtres, ce ne sont que des blés turcs propres surtout à la fabrication des pâtes alimentaires, et qui ne sont point ré

(1) V. rapport de M. Ch. Ferry au Sénat, le 11 juillet 1890, J. Off., annexe n° 138, p. 206.

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