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membres de l'Institut, y compris ceux qui n'étaient pas à Genève. La question resterait à l'ordre du jour de la prochaine session. Je donne ces détails, parce qu'ils montrent quel sérieux l'Institut met à ses travaux. Le rapporteur s'est placé sur le terrain de la réalité. Partant de ce fait qu'il n'existe pas, jusqu'à présent, de règles juridiques généralement admises pour la formation de tribunaux arbitraux internationaux, ni pour la procédure en ces tribunaux, le projet est destiné à préparer la réception de règles de cette espèce, et à servir éventuellement de loi subsidiaire pour les cas douteux. Le projet suppose toujours qu'un compromis a été volontairement et librement conclu par les états contestants, et que la contestation est une contestation juridique, dont la nature admet un jugement selon les règles du droit. En effet il est difficile de supposer que des États souverains, et surtout des grandes puissances consentent jamais à se soumettre, d'avance et pour toutes les contestations possibles, aux sentences d'un tribunal arbitral. Les contestations politiques de nature complexe, où des questions de nationalité, d'égalité de droits, de suprématie, constituent soit le fond même, soit la cause latente, mais réelle du différend, ces contestations, disonsnous, qui par leur nature même sont moins des questions de droit que de pouvoir, se soustrairont toujours à un mode pareil de réglement. Jamais des États possédant quelque force de résistance ne s'inclineront devant un juge, lorsqu'il s'agira de leurs intérêts suprêmes ou réputés tels. Les efforts les mieux intentionnés viendront forcément échouer contre ces intérêts et les passions qu'ils suscitent. Aucun tribunal arbitral n'aurait pu prévenir les luttes séculaires entre l'Angleterre et la France, au sujet des prétentions anglaises sur des parties du territoire français, ni les luttes entre la France et la maison d'Autriche et l'Espagne pour la prépondérance en Italie, ni

celles des Hollandais et des Espagnols, ni la guerre de Trente Ans, ni les guerres entre l'Autriche et l'Italie, l'Autriche et la Prusse, l'Allemagne et la France, ni la grande guerre d'Amérique. Ni Louis XIV, ni Napoléon Ier n'auraient consenti jamais à soumettre à des arbitres leurs prétentions à la domination du monde. Et si l'on examine les exemples recueillis avec soin d'arbitrages internationaux à diverses époques, on verra qu'il s'agit de contestations qualifiées pour une sentence judiciaire, parce que le point litigieux était délimité avec précision et susceptible d'être décidé par les principes du droit. Tel est le cas, en particulier, dans les importants compromis anglo-américains sur les affaires de l'Alabama et de San-Juan. Dans aucun de ces cas des intérêts vitaux des nations n'étaient en jeu. (1).

D

Tout le monde n'est pas aussi sage que M. Goldschmidt; quelques personnes paraissent croire qu'on peut aller plus loin que lui et faire plus large, sur différents points, la part de l'arbitrage international. Cependant l'opinion modérée de l'éminent rapporteur est bien celle de la majorité de l'Institut.

La deuxième matière à l'ordre du jour était l'examen des trois règles proposées dans le traité de Washington. Chacun des membres de la commission, MM. Calvo, Hautefeuille, Lorimer, Rolin et Woolsey, avait fait son travail personnel et indépendant sur cette matière délicate. Le rapporteur, qui était M. Bluntschli, après un exposé analytique et critique de ces divers travaux, a proposé une résolution en quatre points qui a soulevé de vifs et très intéressants débats. Une nouvelle rédaction, en cinq points, arrêtée par une commission ad hoc, n'a été adoptée qu'avec l'addition d'un sixième, à formuler, comme tout le reste, pour la session de 1875. On a

(1) Rapport de M Goldschmidt, Revue de droit international, T. VI, pp. 421 et ss.

constaté, en substance, que les trois règles de Washington ne sont que l'application de principes juridiques reconnus, mais qu'afin d'éviter des controverses sur leur interprétation, une révision de leur rédaction est désirable. On a déclaré que le simple fait matériel d'un acte d'hostilité commis sur territoire neutre ne suffit pas pour rendre responsable l'État sur le territoire duquel cet acte a été commis, mais qu'il faut, pour établir cette responsabilité, fournir la preuve que cet État s'est rendu coupable de faute ou de dol. La question des dommages-intérêts à payer par l'État responsable doit être tranchée par le tribunal arbitral ex bono et æquo. Ce n'est que dans les cas graves, et seulement durant la guerre, que la puissance lésée est autorisée à considérer la neutralité comme rompue, et à se défendre par les armes contre l'État coupable; dans les cas sans gravité, ou la guerre terminée, le différend est du ressort exclusif de la procédure arbitrale.

Le troisième sujet à l'ordre du jour était : Utilité de rendre obligatoires pour tous les États, sous la forme d'un ou de plusieurs traités internationaux, un certain nombre de règles générales du droit international privé, pour assurer la décision uniforme des conflits entre les différentes législations civiles et criminelles. MM. Mancini et Asser ont présenté un rapport étendu, imprimé trop tard pour qu'il fût possible de l'examiner avec tout le soin nécessaire. L'Institut s'est donc borné à donner sa sanction à quelques principes généraux, réservant l'examen des points spéciaux pour les sessions suivantes (1).

A côté et à la suite de ces travaux de longue haleine, qui formaient le gros du programme, il y a eu quelques travaux accessoires qui ne sont pas sans importance et méritent d'être mentionnés.

(1) V. les rapports de MM. Mancini et Asser, et les conclusions adoptées à Genève. Revue, t. VII, pp. 329 el ss., 361 et ss. Bulletin de La Haye, pp. 1 et ss., 36 et ss.

M. de Parieu a lu une note sur la question monétaire. M. de Holtzendorff a donné quelques détails biographiques sur le regretté M. Ahrens. M. Mancini a montré les progrès pratiques faits par la cause de l'arbitrage international depuis l'année précédente. M. Bluntschli, qui était l'un des délégués de l'empire allemand au Congrès de Bruxelles pour la réforme des lois et usages de la guerre, a fait une communication intéressante, malgré la réserve obligée, sur cette importante réunion diplomatique. MM. Pierantoni et Martens ont fourni d'utiles renseignements sur les publications de droit international qui ont vu le jour, dans les derniers temps, en Italie et en Russie; on a décidé de généraliser et de régulalariser ce genre de communications, de telle sorte que chaque année les membres de l'Institut rendront compte de l'état de la littérature et de la science du droit des gens dans leurs pays respectifs.

L'ordre du jour épuisé, le président a résumé dans une improvisation rapide, chaleureuse, brillante, les résultats de la session et, en général, de la première année d'existence de l'Institut. Il a manifesté l'espoir que les actes et les travaux accomplis ne seront pas stériles, mais qu'au contraire ils produiront de bons fruits pour la justice et pour la paix. Puis, on s'est séparé pour retourner aux quatre coins de l'Europe et de l'Amérique, en se donnant rendez-vous à La Haye le 25 août 1875 après la ville natale de Burlamaqui et de JeanJacques Rousseau, on ne pouvait choisir de terre plus noble que la patrie de Grotius.

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Ainsi s'est terminée cette session, la première de l'Institut constitué, celle qui devait donner, touchant sa raison d'être et ses chances de succès, la réponse positive d'où dépend en grande partie son avenir. Cette réponse a été favorable. L'Institut a prouvé qu'il est né viable, et que le travail collectif

n'est pas moins fécond dans le domaine du droit international que dans les autres domaines où se manifeste l'activité de l'esprit humain.

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Documents relatifs à la session de La Haye
(25-31 Août 1875).

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20 Élection d'un président, de deux vice-présidents, d'un trésorier et d'une commission de surveillance.

3o Election, s'il y a lieu, de nouveaux membres, effectifs ou auxiliaires.

4o Rapport du secrétaire-général sur les travaux de l'Institut. 3o Communication d'une notice sur feu M. Hautefeuille, membre effectif de l'Institut, par M. le secrétaire A. Rivier.

6o Rapport sur la situation financière de l'Institut.

7° Discussion en commission, rapports et examen en assemblée générale des objets suivants :

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Commission d'étude MM. ASSER, DE BAR, BLUNTSCHLI, BROCHER, ESPERSON, P. FIORE, B. LAWRENCE, LAURENT, MANCINI, MASSE, WESTLAKE.

Rapporteurs MM. ASSER et Mancini.

2. Procédure arbitrale internationale.

projet révisé.)

(Second vote sur le

Commission d'étude MM. DUDLEY FIELD, GOLDSCHMIDT, DR

LAVELEYE, PIERANTONI.

Rapporteur : M. GOLDSCHMIDT.

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