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fertile que l'Autriche. Les Moraves sont étonnés de voir au milieu de leurs immenses plaines, les peuples de l'Ukraine, du Kamtschatka, de la Grande-Tartarie, et les Normands, les Gascons, les Bretons et les Bourguignons, en venir aux mains et s'égorger, sans cependant que leur pays ait rien de commun, ou qu'il y ait entr'eux aucun intérêt politique immédiat; et ils ont assez de bon sens pour dire dans leur mauvais bohémien, que le sang humain est devenu une marchandise dans les mains des Anglais. Un gros fermier morave disait dernièrement à un officier français, en parlant de l'empereur Joseph II, que c'était l'empereur des paysans, et que, s'il avait continué à vivre, il les aurait affranchis des droits féodaux qu'ils payent aux couvens de religieuses.

Nous avons trouvé à Brünn 60 pièces de canon 300 milliers de poudre, une grande quantité de blé et de farine et des magasins d'habillement très

considérables.

L'empereur d'Allemagne s'est retiré à Olmutz. Nos postes sont à une marche de cette place.

XXVIIIe BULLETIN.

Brünn, le 30 brumaire an 14 (21 novembre).

L'EMPEREUR est entré à Brünn le du matin.

29,
à dix heures

Une députation des Etats de Moravie, à la tête de laquelle se trouvait l'évêque, est venue à sa rencontre. L'Empereur est allé visiter les fortifications, et a ordonné qu'on armât la citadelle, dans laquelle on a trouvé plus de 6 mille fusils, une grande quantité de munitions de guerre de toute espèce, et entre autres 400 milliers de poudre.

Les Russes avaient réuni toute leur cavalerie, qui formait un corps d'environ 6 mille hommes, et voulaient défendre la jonction des routes de Brünn et d'Olmutz. Le général Walther les contint toute la journée, et par différentes charges les obligea à abandonner du terrain. Le prince Murat fit marcher la division de cuirassiers du général d'Hautpoult et quatre escadrons de la garde impériale.

Quoique nos chevaux fussent fatigués, l'ennemi fut chargé et mis en déroute. Il laissa plus de deux' cents hommes, cuirassiers ou dragons d'élite, sur le champ de bataille. Cent chevaux sont restés dans nos

mains.

Le maréchal Bessières, commandant la garde impériale, a fait, à la tête des quatre escadrons de la garde, une brillante charge qui a dérouté et culbuté l'ennemi. Rien ne contrastait comme le silence de la garde et des cuirassiers, et les hurlemens des Russes.

Cette cavalerie russe est bien montée, bien équipée : elle a montré de l'intrépidité et de la résolution; mais les hommes ne paraissent pas savoir se servir de leurs sabres; et, à cet égard, notre cavalerie a un grand avantage. Nous avons eu quelques hommes tués et une soixantaine de blessés, parmi lesquels se trouvent le colonel Durosnel, du 16e de chasseurs, et le colonel Bourdon, du 11e de dragons.

L'ennemi s'est retiré de plusieurs lieues.

XXIXe BULLETIN.

Brünn, 2 frimaire an 14 (23 novembre).

Le maréchal Ney a fait occuper Brixen, après avoir fait beaucoup de prisonniers à l'ennemi. Il a trouvé dans les hôpitaux un grand nombre de malades et de blessés autrichiens. Le 26 brumaire il s'est emparé de Clauzen et de Botzen.

Le général Jellachich, qui défendait le Voralberg, était coupé.

Le maréchal Bernadotte occupe Iglau. Ses partis

sont entrés en Bohême.

1

Le général Wreden, commandant les Bavarois, a pris une compagnie d'artillerie autrichienne, cent chevaux de troupe, 5o cuirassiers et plusieurs offi

ciers.

Il s'est emparé d'un magasin considérable d'avoine et autres grains, et d'un grand nombre de chariots attelés, chargés du bagage de plusieurs régimens et officiers autrichiens.

L'adjudant-commandant Maison a fait prisonniers, sur la route d'Iglau à Brünn, 200 hommes des dragons de la Tour, et des cuirassiers de Hohenlohe. Il a chargé un autre détachement de 200 hommes, et a fait 150 prisonniers.

Des reconnaissances ont été portées jusqu'à Olmutz. La cour a évacué cette place, et s'est retirée en Pologne.

La saison commence à devenir rigoureuse. L'armée française a pris position. Sa tête est appuyée par la place de Brünn, qui est très-bonne, et qu'on s'occupe à armer et à mettre dans le meilleur état de défense.

Vienne, 2 frimaire an 14 (23 novembre).

Le quartier-impérial était encore hier à Brünn. S. M., malgré ses fatigues et les rigueurs de la saison, jouit de la meilleure santé.

L'armée française a pris position.

L'armée russe se retire en Pologne.

On travaille à armer et à approvisionner la citadelle de Brünn, qui sera une très-bonne place, et dans laquelle on découvre chaque jour de nouveaux magasins de munitions, d'artillerie et d'effets d'habillement.

XXX BULLETIN.

Austerlitz, 12 frimaire an 14 ( 2 décembre ).

LE 6 frimaire, l'Empereur, en recevant la communication des pleins-pouvoirs de MM. de Stadion et de Giulay, offrit préalablement un armistice, afin d'épargner le sang, si l'on avait effectivement envie de s'arranger et d'en venir à un accommodement définitif.

Mais il fut facile à l'Empereur de s'apercevoir qu'on avait d'autres projets; et comme l'espoir du succès ne pouvait venir à l'ennemi que du côté de l'armée russe, il conjectura aisément que les 2e et 3e armées étaient arrivées, ou sur le point d'arriver à Olmutz, et que les négociations n'étaient plus qu'une ruse de guerre pour endormir sa vigilance.

Le 7,

à neuf heures du matin, une nuée de Cosaques, soutenue par la cavalerie russe, fit plier les avant-postes du prince Murat, cerna Vischau, et y prit 50 hommes à pied du 6e régiment de dragons.

Dans la journée, l'empereur de Russie se rendit à Vischau, et toute l'armée russe prit position derrière cette ville.

L'Empereur avait envoyé son aide-de-camp, le général Savary, pour complimenter l'empereur de Russie, dès qu'il avait su ce prince arrivé à l'armée. Le général Savary revint au moment où l'Empereur faisait la reconnaissance des feux de bivouac ennemis placés à Vischau. Il se loua beaucoup du bon accueil, des graces et des bons sentimens personnels de l'empereur de Russie, et même du grand-duc Constantin, qui eut pour lui toute espèce de soins et d'attention; mais il lui fut facile de comprendre, par la suite des conversations qu'il eut pendant trois jours avec une trentaine de freluquets qui, sous différens titres, environnent l'empereur de Russie, que les présomptions, l'imprudence et l'inconsidération régneraient dans les décisions du cabinet militaire, comme elles avaient régné dans celles du cabinet politique.

Une armée ainsi conduite, ne pouvait tarder à faire des fautes. Le plan de l'Empereur fut, dès ce moment, de les attendre, et d'épier l'instant d'en profiter. Il donna sur-le-champ l'ordre de retraite à son armée, se retira de nuit, comme s'il eût essuyé une défaite, prit une bonne position à trois lieues en arrière, fit travailler avec beaucoup d'ostentation à la fortifier et à y établir des batteries.

Il fit proposer une entrevue à l'empereur de Russie, qui lui envoya son aide-de-camp, le prince Dolgorouki. Cet aide-de-camp put remarquer que tout respirait, dans la contenance de l'armée française, la réserve et la timidité; le placement des grand'gardes, les fortifications que l'on faisait en toute hâte, tout laissait voir à l'officier russe une armée à demi-battue.

Contre l'usage de l'Empereur, qui ne reçoit jamais avec tant de circonspection les parlementaires à son

quartier

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