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tranchera en faveur de la validité de l'acte, c'est moins interpréter qu'éluder l'interprétation; Que la véritable règle a été magistralement exprimée en ces termes par la Cour de cassation : « L'ambiguïté d'une clause qui présente au premier abord deux sens différents n'autorise le juge à admettre l'interprétation favorable à la validité de l'acte qu'autant que le doute résultant de cette ambiguïté est invincible et résiste à tous les efforts de l'interprétation » ;

Attendu, dès lors, que la première condition d'une bonne interprétation est de prendre la clause dans son texte sans en rien retrancher, mais aussi sans y rien ajouter, pour s'attacher ensuite au sens naturel des mots; - Que cette phrase dont s'est servi le testateur « la propriété que je laisse à Salvador, après sa mort, sa femme en aura la jouissance » implique la survie du légataire Salvador au de cujus et le prédécès de ce légataire par rapport à sa femme; Que ce sens, qui découle si naturellement des mots eux-mêmes, est, en outre, d'accord avec une prévision qui était dans la nature des choses, puisque le légataire était beaucoup plus jeune que le testateur; Qu'on voit même dans les premières lignes du testament le testateur préoccupé de la pensée d'une mort imminente qui pourrait le surprendre au cours d'un rapide voyage qu'il va entreprendre; - Que les expressions qui suivent sont plus claires encore, et que la clause examinée dans son ensemble apparaît comme une manifestation de volonté parfaitement nette et précise; - Qu'il est facile de reconnaître que le testateur a successivement envisagé diverses éventualités toutes postérieures à son propre décès et qu'il règle par avance; Qu'il a d'abord songé à la survie du légataire et qu'il lègue la pleine propriété de la ferme; Qu'il a prévu ensuite, d'après le cours normal des choses, le décès de Salvador, et qu'il ne lègue que l'usufruit de la ferme; Qu'enfin pour le cas ou le mari et la femme décéderaient tous les deux avant l'événement de la majorité du plus jeune de leurs enfants, il prend des dispositions spéciales;

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Attendu, dès lors, que la clause précitée, sainement interprétée, contient non des institutions directes faites à divers légataires, appelés à défaut les uns des autres, en cas de prédécès de quelques-uns avant le testateur, mais des institutions graduelles avec ordre successif; - Attendu que Salvador, premier légataire, étant décédé avant le testateur, le legs est devenu caduc aux termes de l'article 1039 du Code civil, et qu'ainsi la chaîne qui reliait les legs graduels au premier s'est trouvée rompue sans pouvoir être renouée;

Attendu que vainement, en appel, la veuve Gilly oppose à Marceron de prétendus faits d'exécution; Qu'en admettant que ces faits aient le caractère que l'intimée leur donne, ils ne sauraient élever une fin de non recevoir contre l'action de Marceron, puisqu'ils constituaient dans tous les cas une erreur réparable, surtout avant la délivrance du legs;

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Infirme;

-

Par ces motifs : Dit que le legs fait en faveur de Gilly Salvador, dans le testament du 9 août 1875, a été frappé de caducité par le prédécès du légataire et la survie du testateur, etc.

Sur le pourvoi en cassation formé par la veuve Gilly pour violation el fausse application des articles 1039 et 896 du Code civil, la chambre civile a rendu l'arrêt suivant:

Sur le moyen unique du pourvoi :- Attendu qu'en décidant, d'après les termes de la disposition testamentaire qui servait de fondement à la demande. de la veuve Salvador Gilly, rapprochés des différentes autres clauses du testament, que, dans l'intention du testateur, le legs d'usufruit fait à ladite femme Salvador Gilly était subordonné à l'exécution du legs fait à son mari et que la caducité de ce dernier legs, par suite de la survie du testateur au légataire, avait eu pour effet de faire tomber le legs d'usufruit fait à la femme,

la Cour d'appel d'Alger a fait usage de son droit souverain d'appréciation, et n'a violé ni les articles invoqués par le pourvoi ni aucune disposition de loi;

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MM. MANAU, cons. rapp.; DESJARDINS, av. gén. (concl. conf.).

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D'après un usage constamment observé, la clause d'une charte-partie portant que le solde du fret sera payé dans un lieu déterminé par une traite sur les affrêteurs, après le débarquement de l'entière cargaison, doit être entendue en ce sens que la traite est à la charge de l'agent des affrêteurs; autrement, le capitaine serait exposé à perdre son privilège sur les marchandises transportées.

Le chargeur qui a retardé le départ du navire, soit en exigeant le déchargement de marchandises qu'il prétendait, à tort, faire partie du transport, soit en retardant le chargement de marchandises qui lui avaient été commandées pour le retour du navire, encourt la responsabilité du préjudice qu'il a ainsi

causé.

DURAND C. LEBRETON.

Sur la question de payement du solde du fret: - Attendu qu'il résulte de la charte-partie qu'après le payement du tiers du fret au moment du connaissement, et l'avance au port de déchargement de la somme nécessaire pour les besoins du navire, le solde serait payé à Londres par une traite sur les affrêteurs à trois mois de date, sur la production d'un certificat de débarquement de l'entière cargaison; - Que, s'il n'est pas clairement expliqué par qui cette traite serait délivrée, on ne saurait cependant comprendre cette clause autrement qu'en mettant cette traite à la charge de l'agent des affrêteurs après le complet déchargement; qu'autrement ce serait exposer le capitaine à perdre son privilège sur les marchandises transportées; que cet usage a été constamment observé et que c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné Durand, agent des affrêteurs, à payer le solde, soit en espèces, soit en une traite au 7 février 1884 sur les affrêteurs à Londres;

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Sur laquestion des surestaries: - Attendu qu'il est constant que Durand a eu tort de se plaindre de la lenteur avec laquelle s'opéraient les déchargements, et a voulu mettre ceite lenteur à la charge du capitaine, ce dernier ayant mis à la disposition de Durand pour activer le débarquement plus d'appareils et d'outils que ne lui prescrivaient ses instructions; que c'est à tort, aussi, que Durand a prétendu un moment que Lebreton s'était engagé à ne pas demander de surestaries, rien ne venant justifier ce fait; qu'au contraire c'est lui qui a retardé le départ du navire, soit en exigeant le déchargement d'une soixantaine de tonnes de charbon qu'il prétendait faire partie du transport, mais qui, en réalité, appartenaient au navire pour les besoins de la route, soit en retardant le complément des 40 tonnes de charbon qui lui avaient été commandées pour le retour du navire; qu'il est donc responsable du préjudice causé au navire par un retard de 27 heures; Attendu qu'il n'a pas justifié que les frais de prise en cale et de débarquement n'aient pas atteint la somme de 125 francs;

Par ces motifs : - Confirme le jugement déféré pour être exécuté selon sa forme et teneur; Condamne Durand à l'amende et à tous les dépens.

M. MARSAN, subst, du proc. gén. Mes JOUYNE et CHÉRONNET, av.

COUR D'APPEL D'ALGER Ch..

Présidence de M. SAUZÈDE, Conseiller.

28 octobre 1884.

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Propriété. Algérie. Terres arch ou sabega.
Qualité.

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L'action en délaissement d'une terre, exercée par un indigène musulman contre un autre indigène qui détient cette terre comme melk lui appartenant, alors même que le demandeur fonderait cette action sur un trouble de la jouissance qui en aurait été attribuée à sa famille, s'il ne justifie pas d'ailleurs de cette attribution, n'est en réalité qu'une action en revendication d'une terre faisant partie du sol de la collectivité de la tribu, et ne saurait, par suite, appartenir qu'aux représentants de cette collectivité.

EL HABIB BOU DIA C. MOHAMED OULD ALI.

Attendu que El Habib bou Dia est appelant d'un jugement du tribunal d'Oran du 29 décembre 1880, qui l'a déclaré non recevable dans sa demande contre Mohamed ould Ali en délaissement de diverses parcelles de terres dépendant du territoire de la tribu des Ouled Brahim, terres qu'aurait usurpées l'intimé, qui lui-même est propriétaire d'un melk limitrophe;

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— Que la non-recevabilité repose sur ce que, ces parcelles étant reconnues terres sabega, l'appelant était sans qualité pour agir en son nom personnel; Attendu en fait que le caractère sabega de ces parcelles n'est pas dénié par l'appelant; qu'à la vérité ce n'est pas à titre de revendiquant d'un sol sabega que El Habib bou Dia agit dans l'espèce, mais comme attributaire de ces parcelles, et aux termes de la jouissance qui depuis longues années en aurait été dévolue à sa famille; que c'est dans les limites d'un détenteur troublé dans sa jouissance qu'il prétend, au moins dans ses conclusions d'appel, renfermer son action;

Mais attendu que l'appelant ne justifie pas de cette attribution prétendue; qu'il est constant, d'autre part, que les parcelles dont s'agit, et qui d'après Mohamed ould Ali feraient partie de son melk, sont dans tous les cas possédées et cultivées par l'intimé depuis une époque qui n'a pas été précisée, mais qui ne remonterait pas aujourd'hui à moins de dix-huit ans ; que, dans ces conditions, il ne saurait s'agir d'un trouble porté à la jouissance d'un attributaire, mais bien de la revendication d'une terre faisant partie du sol de la collectivité de la tribu et que Mohamed ould Ali détient comme terre melk lui appartenant; que c'est à bon droit, par suite, que le tribunal a déclaré l'appelant sans qualité pour exercer en son nom personnel une action qui ne saurait appartenir qu'aux représentants de la collectivité;

Par ces motifs et ceux exprimés au jugement dont est appel :- Confirme purement et simplement le jugement dont est appel; Condamne l'appelant aux dépens.

M. MARSAN, subst. du proc. gén. Me GARAU, av.

COUR D'APPEL D'ALGER (Ch. des app. musulm.).

Présidence de M. PUECH, Président.

6 octobre 1884.

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Exclusion des filles. Réserve d'un droit de jouissance.

Lorsqu'un habous a été constitué au profit exclusif des enfants mâles en réservant un droit de jouissance au profit des filles veuves ou sans ressources, les bénéficiaires de ce droit de jouissance peuvent réclamer les revenus afférents à la part des biens habousés qui leur est ainsi dévolue et ne sont nullement obligés de jouir de cette part sur place, au lieu de la situation de l'hérédité.

EL HOUSSINE C. LALLAHOUM.

Attendu qu'il résulte des constatations du dossier et des déclarations faites à l'audience de ce jour par les parties que Amar ben Ahmed est mort il y

a quinze ou vingt ans à la survivance d'El Houssine et Lallahoum, après avoir frappé de habous tous ses biens en faveur des mâles, à l'exclusion des filles, qui devaient garder seulement un droit de jouissance au cas où elles seraient veuves ou sans ressources; Que Lallahoum est veuve depuis un temps qui excède quinze années; que, depuis la mort du père commun, El Houssine a détenu toute son hérédité et en a perçu tous les fruits;

Attendu que Lallahoum réclame les revenus afférents à la part des biens qui lui est dévolue par la loi depuis la mort de son père et prétend que ces revenus s'élèvent, pour chaque année, à une somme considérable; que, de son côté, El Houssine élève la prétention qu'il ne doit rien à sa sœur pour le temps écoulé depuis la mort de leur père, et qu'il est seulement tenu de la laisser jouir sur place de sa part du patrimoine commun;

Sur la première difficulté: - Attendu qu'il est manifeste qu'en réservant à sa fille la jouissance de sa part héréditaire dans les biens frappés de habous, si elle se trouvait sans ressource et sans appui, Amar ben Ahmed n'a pas eu la pensée de l'obliger à vivre au lieu même de la situation de l'hérédité; Qu'en lui assurant la jouissance de son patrimoine il a eu la volonté de lui donner les moyens de vivre et de retirer les fruits de la manière qui lui paraîtrait la plus avantageuse pour assurer son existence et élever sa famille; - Que la prétention d'El Houssine porterait directement atteinte aux droits de sa sœur en l'obligeant à se transporter dans un milieu où elle ne trouverait plus les ressources nécessaires et à diriger une exploitation pour laquelle elle n'a ni la capacité, ni les forces exigées; Que cette prétention est d'autant plus inadmissible qu'elle est sans intérêt pour El Houssine, à qui il importe peu que les revenus affectés à sa sœur soient perçus et dépensés en un lieu plutôt qu'en un autre ;

En ce qui touche la seconde difficulté; Attendu que Lallahoum prétend que les revenus de sa part héréditaire excèdent notablement la somme de 40 francs par an allouée par le premier juge; mais qu'elle ne le justifie pas; qu'il suffira de lui réserver, pour l'avenir, la faculté de faire élever cette prestation, si elle établit que le revenu de 40 francs est inférieur à la réalité;

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Par ces motifs : Confirme le jugement rendu par le bach adel de Tablat, le 28 mai 1884; - Dit qu'El Houssine devra payer à Lallahoum, sa sœur, une somme de 600 francs représentant les 15 annuités déjà écoulées depuis la mort de leur père; - Dit que Lallahoum aura le droit, à l'avenir, de jouir des revenus afférents à sa part héréditaire sans être tenue de les consommer sur place ni d'habiter au lieu de la situation des biens; Dit qu'elle conserve la faculté de faire arbitrer le chiffre réel des revenus et d'en faire modifier le montant pour les annuités à venir, sans répétition nouvelle pour le temps écoulé; Dit que les quinze annuités allouées pour le passé prendront fin le 28 mai 1884, date du jugement dont est appel; — Dit, en conséquence, que la première annuité a régler commencera à courir le 29 mai 1884; Condamne El Houssine en tous les dépens.

MM. Ducos, cons. rapp.; VIALLA, subst. du proc. gén.

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