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fuyards gagnaient déjà Bruxelles; toute retraite en ordre devenait impossible, et l'armée entière allait être perdue. Depuis une demi-heure la situation des Français était bien changée: l'ennemi n'était menaçant nulle part: nous étions, maîtres d'une partie de son champ de bataille, en position offensive sur son centre. Nous étions victorieux non-seulement de l'armée anglohollandaise de quatre-vingt cinq mille hommes, mais encore du corps de Bulow de trente mille Prussiens. Nous n'avions pas de nouvelles de Grouchy. Ainsi soixantecinq à soixante-huit mille Français avaient battu cent quinze mille Anglais, Belges, Prussiens, &c. A sept heures et demie on entendit enfin la canonnade du Maréchal Grouchy on la jugea à deux lieues et demie sur notre droite. L'Empereur pensa que le moment était venu de faire une attaque décisive, et de terminer la journée. Il rappela à cet effet divers bataillons et batteries de la garde qui avaient été détachés vers Planchenoit. En ce même moment l'armée ennemie fut informée de l'arrivée du Maréchal Blucher, et du premier corps prussien qui avait quitté Wavres le matin, et venait, par Ohain, se joindre à la gauche de l'armée anglo-hollandaise. Ce n'était pas le seul renfort; deux brigades de cavalerie anglaise,

forte de six régimens, qui avaient été placées en réserve sur cette route, rendues disponibles par l'arrivée des troupes prussiennes, venaient de rentrer en ligne. Ces nouvelles remontèrent le moral de l'armée anglohollandaise: elle reprit courage, et réassit sa position.

Dans ces circonstances critiques, trois bataillons d'infanterie de la deuxième ligne de notre droite se mirent en retraite en bon ordre jusqu'auprès de la garde impériale, que l'Empereur réunissait. Ce mouvement, dont on ne sait comment expliquer les motifs, dégarnissait notre ligne: l'Empereur courut au devant d'eux pour en savoir la cause: les soldats dirent qu'ils n'avaient pas été forcés, mais que cette marche rétrograde avait été ordonnée. L'Empereur les harangua, et ils retournèrent à leur poste.

La cavalerie, qui du plateau où elle était, appercevait tout le champ de bataille, en avant, sur sa droite, et sur ses derrières, vit ce mouvement rétrograde des trois bataillons; en même tems elle apperçut le premier corps de Blucher qui arrivait à la hauteur du village de la Haye, et les deux brigades de cavalerie fraiches, qui se disposaient à charger: elle craignit d'être coupée; plusieurs régimens firent un mouve

ment en arrière.

L'Empereur formait alors sa garde en colonnes, pour faire l'attaque méditée; mais appercevant l'hésitation où était la cavalerie, il jugea que les circonstances le maîtrisaient, et que sans attendre que toutes les colonnes fussent formées, il fallait à l'instant même soutenir la cavalerie, et faire un mouvement qui calma les imaginations, et arrêta l'indécision où les troupes étaient de battre en retraite. Il se porta' avec les quatre premiers bataillons sur la gauche de la Haie Sainte, et envoya au Général Reille l'ordre de réunir tout son corps sur son extrême gauche, et de le former en colonnes d'attaque. Arrivé à la Haie Sainte, l'Empereur rencontra une partie des troupes de Ney qui se retiraient: i envoya son aide-de-camp Labeydoyère leur dire, pour relever leur moral, que le corps du Maréchal Grouchy arrivait.' En même tems il remit, au Maréchal Ney, les quatre bataillons de la garde qu'il conduisait, et lui donna l'ordre de se porter en avant, afin de conserver la position du plateau. Cela produisit l'effet que l'Empereur désirait tout s'arrêta et retourna à la position. Un quart-d'heure après, les huit autres bataillons arrivèrent au bord du ravin; l'Empereur les fit se former ainsi un bataillon en bataille, en ayant deux en colonnes serrées sur ses

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flancs, formation qui réunissait les avantages de l'ordre mince et de l'ordre profond. Deux de ces brigades, ainsi formées, et marchant à distance de bataillon, faisaient une première ligne, derrière laquelle était en réserve la troisième brigade. Les batteries étaient placées dans les intervales. De son côté, le Général Reille réunit tout son corps vers Hougoumont, traversa le ravin, et aborda la position ennemie.

Cependant les quatre bataillons de la moyenne garde étaient aux prises; ils repoussaient tout ce qui se trouvait devant eux, et restaient inébranlables sous le feu d'une ligne ennemie bien considérable. Le Général Friant, commandant l'infanterie de la garde, blessé à la main, vint dire à l'Empereur que tout allait bien sur le plateau, et qu'à l'arrivée de la vieille garde on aurait tout le champ de bataille. Il était de sept heures et demie à huit heures: un cri d'alarme se fit entendre à la droite. Blucher, avec tout le corps de Ziéthen, aborda le village de la Haye, qui fut aussitôt enlevé. Un mouvement général d'étonnement s'en suivit dans toute notre droite; par là, nous nous trouvions coupés du corps du Comte de Lobau. Les traitres ét les malveillans qui se trouvaient dans l'armée, et ceux qui avaient déserté, pro

fitèrent habillement de cette occasion pour augmenter le désordre, qui se propagea aussitôt avec la plus grande rapidité sur toute la ligne. Les huit bataillons de la garde, parmi lesquels étaient ceux de la vieille garde, au lieu de se porter en avant pour soutenir les quatre bataillons engagés, durent faire un mouvement sur la droite, pour servir de réserve et rallier les troupes qui venaient d'être chassées de la Haie: ils barrèrent tout ce champ de bataille, en se formant en carré en carré par, bataillon, Toute l'extrémité de notre droite pouvait encore se rallier derrière eux. Le soleil

était couché : rien n'était désespéré ; lorsque les deux brigades de cavalerie ennemie, qui n'avaient pas encore donné, pénétrèrent entre la Haie Sainte et le corps du Général Reille. Elles auraient pu être arrêtées par les huit carrés de la garde; mais voyant le grand désordre qui régnait à la droite, elles les tournèrent. Ces trois mille chevaux frais empêchèrent tout ralliement. L'Empereur ordonna à ses quatre escadrons de service de les charger. Ces escadrons étaient trop peu nombreux: il aurait fallu là toute la division de cavalerie de réserve de la garde; mais par un malheur qui tenait à la fatalité de ce jour, cette division de deux mille grenadiers à cheval et dra

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