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Je répète d'ailleurs ici qu'au sein de la commission viennoise de 1857, les délégués de Bavière et du Wurtemberg, et les commissaires des principautés vassales de la Porte se sont tout d'abord prononcés pour la liberté du cabotage fluvial autant qu'elle serait restreinte aux pavillons maritimes (1).

Il y a une dernière raison qui devrait donner à réfléchir aux promoteurs du système en question: c'est la difficulté pratique du contrôle des opérations d'un bâtiment de mer dans son trajet fluvial; ce sont les entraves, voire même les conflits inséparables d'un pareil contrôle dans chacun des ports où il est loisible à ce bâtiment d'aborder.

En supposant même que les États riverains consentissent à partager le cabotage intérieur avec les navires venant de la pleine mer ou s'y dirigeant, cette concession ne représenterait en elle-même qu'un mince bénéfice, attendu que pour ces navires les fleuves ne sont ordinairement praticables que sur un parcours restreint et qu'en réalité leurs sections moyenne et supérieure resteraient fermées à la concurrence générale.

Il paraît difficile de soutenir qu'une telle distribution du trafic intérieur soit le vrai corollaire de l'article 5 du traité de 1814.

(1) Les protocoles de la commission riveraine de Vienne ne jettent qu'une faible lumière sur ce point intéressant; mais il n'en est pas moins certain.

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La convention revisée du Rhin signée à Mannheim en 1868 offre une autre variante du régime adopté à l'égard de la navigation étrangère.

A première vue, et M. Bluntschli a partagé cette illusion, cet acte nouveau, œuvre de la Prusse, paraît être la consécration définitive de la liberté fluviale, telle qu'on la conçoit aujourd'hui, conquête d'autant plus précieuse qu'elle a pour théâtre un domaine défendu jusqu'alors avec jalousie par ses possesseurs. En y regardant de près, l'on ne tarde pas à se convaincre que la tradition léguée par M. de Humboldt n'a point été entièrement perdue sur les bords de la Sprée, et que sans vouloir la faire revivre dans toute son intégrité, l'on cherche à l'accommoder selon l'occurrence aux idées du temps. Elle se montre dès le préambule de l'acte sous cette mention significative, que les puissances riveraines entendent maintenir le principe de la liberté de navigation « sous le rapport du commerce ».

Cependant l'article 1er semble donner un démenti aux interprétations pessimistes que provoque naturellement cette épigraphe. Il porte: « La navigation du Rhin et de ses embouchures depuis Bâle jusqu'à la pleine mer, soit en descendant, soit en remontant, sera libre aux navires de toutes les nations pour le transport des marchandises et des personnes à condition de se conformer aux stipulations

contenues dans la présente convention et aux mesures prescrites pour le maintien de la sécurité gé

nérale. »

« Sauf ces règlements, il ne sera apporté aucun obstacle, quel qu'il soit, à la libre navigation »> (1).

Or, en parcourant «les stipulations » qui suivent, l'on ne peut se défendre de l'impression que les riverains n'ont songé qu'à eux-mêmes et l'on se demande comment et jusqu'à quel point les étrangers peuvent trouver place dans leur communauté. Les doutes que l'on éprouve à cet égard sont si sérieux, qu'ils ont surgi dans la commission rhénane ellemême, peu avant l'adoption du projet prussien, et qu'une déclaration protocollaire a eu pour but, sinon pour effet, de les dissiper.

D'après l'article 15 de la convention, le droit de conduire un bateau à voiles ou à vapeur sur le Rhin n'est accordé qu'à ceux qui prouvent qu'ils ont pratiqué la navigation sur le fleuve pendant un temps déterminé et qu'ils ont reçu du gouvernement de l'État où ils ont pris domicile, une patente les autorisant à l'exercice indépendant de la profession de batelier.

Par l'article 22, avant qu'un bateau entreprenne son premier voyage, le propriétaire ou conducteur doit se pourvoir d'un certificat constatant le bon état de navigabilité de ce bateau et ce certificat doit

(1) En citant cet article, M. Bluntschli omet la phrase importante à condition de se conformer, etc., etc. »

être renouvelé après chaque réparation ou chaque changement important.

Ainsi, pour qu'un steamer anglais puisse remonter le Rhin jusqu'à Cologne ou plus haut, en supposant que son tirant d'eau le permette, il devrait passer sous la direction d'un capitaine qui a navigué sur le Rhin pendant trois ans au moins (1), qui est dûment patenté et effectivement domicilié dans l'un des États riverains. Ce bâtiment aurait en outre à subir une expertise qui nécessiterait de longues et minutieuses démarches (2).

Ces formalités qui ne sont point exigées sur le Danube (3), interdisent de fait aux bâtiments de mer la navigation fluviale proprement dite.

Non moins précaire est la situation d'ailleurs peu définie des bateaux fluviaux étrangers. Il va sans dire qu'ils doivent être soumis aux mêmes obligations que les bateaux riverains et, quoique le cas ne soit pas prévu, l'on admet naturellement qu'il n'est pas loisible à l'autorité territoriale de refuser la patente au capitaine ou conducteur qui remplit les conditions prescrites par le règlement.

Mais d'importantes réserves sont faites en ce qui concerne le traitement de cette catégorie de bâtiments, réserves qui d'ailleurs s'appliquent également aux bâtiments de mer. « Il est entendu, ains

(1) Ordonnance badoise communiquée à la Commission rhénane en 1868.

(2) Même ordonnance badoise de 1868.

(3) Art. 6 de la convention de 1857.

que l'énonce le protocole de clôture ad art. 4, que le droit d'exercer la navigation sur le Rhin et à ses embouchures ne s'étend pas aux privilèges qui ne sont accordés qu'aux bateaux appartenant à la navigation du Rhin, » c'est-à-dire, d'après l'article 2, aux bateaux autorisés à porter le pavillon d'un État

riverain.

Il s'en suivrait qu'un bâtiment étranger admis sur le Rhin ne jouirait pas des facilités, dégrèvements ou exemptions qui, en vertu de l'article 4, assimilent dans chaque État les bateaux riverains aux bateaux nationaux. En d'autres termes, qu'il s'agisse d'un contrôle plus sévère ou de charges particulières (le règlement ne précise pas ce point), les bâtiments étrangers se trouveraient vis-à-vis des bâtiments riverains dans une condition d'infériorité qui leur rendrait toute concurrence impossible.

L'on ne sait exactement si la suppression des droits de reconnaissance, d'octroi et de balisage édictée par l'article 3 rentre dans les privilèges reconnus aux riverains. Il est permis d'éprouver des scrupules à cet égard en constatant la relation que l'on a pris soin d'établir entre cet article et les articles 4 et 2. D'après ce dernier, les Pays-Bas consentent à ouvrir aux bâtiments du Rhin les voies communiquant avec la mer et avec la Belgique, tout en mettant à leur disposition éventuelle la branche qui serait indiquée aux navires hollandais, dans le cas où une de ces voies deviendrait imprati

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