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Aussitôt que la renonciation fut devenue publique, les révoltés d'Aranjuez rentrèrent dans l'ordre et proclamèrent Ferdinand VII, roi d'Espagne.

Madrid n'était pas aussi tranquille, les malintentionnés eurent le projet de détruire d'autres maisons que celles qui avaient été désignées dans le commencement de la révolte. Ils exercèrent en effet leur vengeance sur quelques-unes d'entre elles, dans la nuit du 19, et en désignèrent quelques autres pour la nuit suivante. Mais ils en furent empêchés par les efforts de la garde civique, formée volontairement par les principaux habitans, sous l'autorisation du gouvernement.

par

Le mauvais exemple donné par les capitales est presque toujours imité les villes principales des provinces, ensuite par celles d'une moindre importance et enfin par toutes. C'est ce qui arriva en Espagne. Il n'y eut presqu'aucune ville dont le peuple ne se souleva pour manifester sa haine contre le favori, et dont la rage ne s'assouvit par des moyens répréhensibles.

Une d'entre elles fut la ville de Sanlucar-deBarrameda, dans le royaume de Séville, près de l'embouchure de la rivière du Guadalquivir. y avait dans cet endroit un jardin d'A

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climatation, créé du temps du prince de la Paix, et dans lequel on était paryenu à élever et à propager l'arbre du kina, ceux de la canelle, du cacao, de la cochenille, du coco, de l'indigo, ainsi que plusieurs autres plantes utiles de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Asie qui se seraient propagés par la suite sur toutes les côtes du couchant et du midi. On y conservait également un bateau nommé Salvavidas, d'une invention particulière, destiné à sauver les naufragés et dont on avait plusieurs fois fait usage avec le succès le plus complet. Le peuple révolté ne vit dans le jardin et dans le bateau que des objets de fureur, et détruisit ses propres avantages par haine pour celui qui les avait protégés.

Le 20 mars, on publia à Madrid la renonciation de Charles IV et la proclamation de Ferdinand VII, faite à Aranjuez. La joie fut universelle. Plusieurs personnes s'étonnèrent beaucoup de ce que la reine Louise n'avait pas usé de l'ascendant qu'elle avait sur l'esprit de Charles IV pour éviter un acte qui la dépouillait de toute sa puissance et l'assujétissait à celui de ses fils qu'elle aimait le moins. Cela donna lieu à quelques-uns de soupçonner que la résolution de Charles IV, prise dans de pareilles circonstances, était plutôt l'effet de la

crainte que de sa volonté libre. Néanmoins, personne n'a dit qu'il eût protesté contre son abdication. L'état des choses aurait à peine permis de songer dans ce momeut à une semblable protestation, et il est certain que géné ralement tout le monde approuvait le résultat de cette révolution, parce que tout le monde, fatigué de la toute-puissance du favori, désirait voir le sceptre dans les mains de Ferdinand.

Néanmoins, on ne doit pas épargner au conseil de Castille l'éloge dont il fut très-digne. par sa circonspection dans une affaire si importante. Lorsque l'abdication du trône, faite par Charles IV, lui fut communiquée officiellement, il arrêta que les trois fiscaux, c'est-àdire, les trois défenseurs du droit public, donnassent leur avis sur l'exécution. Cet arrêt déplut beaucoup à la nouvelle cour d'Aranjuez, et en conséquence le conseil reçut le 21 un mandement très-pressant pour faire pu blier l'abdication tout de suite, sans attendre que les fiscaux écrivissent leur manière de

penser.

Le conseil y obéit à la fin; mais il faut avouer qu'il avait eu de très-grandes raisons pour son premier arrêt. Certainement, dans, l'abdication il n'y avait été fait rien de tout

ce qui était ordonné et observé dans les abdications de Jean Ier, Charles Ier et Philippe V, dont la première avait resté sans effet, à cause de la contradiction faite par les cortès nationales; et outre cela, Charles IV n'avait pas dit quelle quantité de revenu il se réservait pour le soutien de sa maison et celle de la reine son épouse; ni quelles étaient les provinces de l'Espagne qui serviraient d'hypothèque pour la sûreté du recouvrement, ce qui en démontrait la précipitation, et les circonstances qui ne permirent pas la délibération tranquille pour un fait si remarquable.

Du voyage

CHAPITRE II.

de Ferdinand VII en France, et de ses premiers effets.

Le nouveau roi désirait procurer à la ville de Madrid le plaisir de jouir de sa présence; mais la tranquillité était peu assurée, parce que les alarmes venaient de renaître par la nouvelle que l'armée française, au lieu de suivre le chemin du Portugal, avait pris celui de la capitale, et commençait à s'en approcher de trèsprès. Ferdinand s'efforça de calmer les esprits, en disant qu'il n'y avait rien à craindre, que les intentions de l'armée étaient pacifiques,. et enfin qu'il différerait son entrée dans la capitale, si ses habitans ne montraient pas du calme et de la tranquillité. Cependant le grandduc de Berg, informé du soulèvement d'Aranjuez du 17, était parti d'Aranda-de-Duero avec son quartier-général; le 19, il était à Somossiera; le 20, à Buitrago; le 21, à San-Augustin; le 22, à Alcovendas, et le 23 il entra à Madrid. On lui désigna son logement dans le palais du Retiro; mais ne l'ayant pas trouvé

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