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pour sa personne royale, et haïssait les auteurs de la constitution de Cadix, ainsi que ceux qui avaient adhéré à celle de Bayonne. Les conseillers intimes du roi, qui étaient toujours restés en France avec lui, se laissèrent convaincre, et persuadèrent le roi aussi facilement qu'ils l'avaient fait avant son voyage de France, dans les entretiens du général français Savary.

Alors on découvrit les projets de ces favoris de Ferdinand par deux décrets, signés par le roi à Valence, le 4 mai, qui donnaient un témoignage palpable de l'intention d'immoler les deux seuls partis qui divisaient la nation, à un troisième qui naissait au moment même, et composé de personnes qu'on regardait comme nulles auparavant, par l'ineptie des unes et les préventions nuisibles au bien du royaume des autres, et proclamées comme des égoïstes. Enfin, il est bien constant qu'on abusa du défaut d'instruction et d'expérience du roi, en le dirigeant par une route capable de conduire à la ruine de la monarchie, et même à celle de ses conducteurs.

Il faut avouer une vérité très-importante pour l'histoire. Tous les hommes de génie et les personnes éclairées de l'Espagne étaient attachés, soit à la constitution de Cadix, soit à celle de

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Bayonne. C'est pourquoi plusieurs décrets publiés à Madrid par le roi Joseph, furent également promulgués à Cadix avec telle ou telle modification capable de faire voir que les cortès n'étaient pas des copistes. Les amateurs de la critique qui voudront faire des observations et des recherches sur les dates des décrets espagnols, en seront bientôt convaincus. Ceux qui commandaient à Cadix, ainsi qu'à Madrid, tâchaient de procurer le bonheur à l'Espagne par la route des lumières; c'est pourquoi ils s'appuyèrent sur des bases identiques pour la décision des affaires les plus importantes de la monarchie, en méprisant les intérêts des corporations et les prérogatives des rangs. Les uns, ainsi que les autres, connaissaient l'impossibilité de régénérer l'Espagne et de lui assurer une prospérité durable, sans supprimer les droits féodaux et seigneuriaux, les priviléges du clergé séculier et régulier, et des grands d'Espagne; les contributions arbitraires et celles non assujetties aux principes justes et fixes; la confusion du trésor public avec celui du roi, et la liberté qu'il avait de disposer de l'un comme de l'autre à son gré.

Les partisans de la constitution de Cadix avaient fait beaucoup de mal à la nation, en

soutenant une guerre dont eux-mêmes quelquefois prévoyèrent le mauvais résultat, sans qu'ils eussent jamais imaginé qu'elle finirait comme elle a fini, parce que les derniers évènemens ne pouvaient être assujettis à des calculs humains, quels qu'ils fussent. Ils avaient grièvement offensé par leurs décrets, et dans leurs feuilles périodiques, les partisans de la paix et de la constitution de Bayonne, en leur donnant les épithètes les plus injurieuses; ils terminaient leurs diatribes politiques en disant à l'Europe entière que les réfugiés en France étaient des traîtres envers le roi et la patrie; des voleurs qui avaient vendu leur pays; des assassins et des bourreaux qui avaient versé le sang de leurs frères. On ne peut offenser plus grièvement; cependant tout cela pouvait être regardé comme ayant été dicté par le seul esprit de parti, sans la participation du cœur. L'inimitié des uns et des autres était purement politique, et non personnelle; elle devait cesser quand la politique elle-même l'ordonnerait : elle s'éteindrait sans doute en même temps que la dissidence sur les emplois publics. Les partisans de la paix croyaient qu'en se soumettant à la loi de demeurer tranquilles et retirés chacun chez eux, les partisans de la constitution de Cadix ne les en auraient pas empêché.

Cette manière de voir les choses est confirmée par le Manifeste même des cortès; car il est hors de doute qu'ils défendirent seulement d'accompagner Ferdinand, mais non de rentrer en Espagne par différentes routes. Enfin les uns et les autres étaient les dépositaires des lumières, ce qui rendrait la réconciliation trèsaisée, aussitôt que l'intérêt commun l'exigerait.

Mais il existait en Espagne une troisième espèce de gens, qui étaient nuls ou essentiellement pernicieux, répandus au milieu des deux partis qui les avaient méprisés. La plupart était composée des personnes émigrées de Madrid à Cadix, et comprenait (hors un trèspetit nombre) les grands d'Espagne, les titrés, les généraux parvenus à ce grade par protection, les anciens conseillers de Castille, des Indes, de l'inquisition, de la guerre, des ordres et des finances, quelques évêques, plusieurs chanoines, presque tous les inquisiteurs, les prélats réguliers, les moines exempts ou privilégiés au chœur, à l'appartement et au réfectoire, par leur vieillesse ou par différens motifs. Aucun de ces derniers n'avait pu dominer dans l'un ni dans l'autre parti les uns, à cause de leur ignorance ou de leur nullité; les

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autres, parce qu'ils prétendaient gouverner

d'après les idées du quinzième siècle; quelques-uns étaient des égoïstes, d'autres méchans, presque tous intéressés à empêcher la propagation des lumières. L'expérience a fait voir qu'il n'est pas du tout incompatible d'être un grand ignorant ou un détracteur de la littérature, et être en même temps très-savant dans la science des cours, ou, pour mieux parler, dans le machiavélisme pratique. Il est des hommes incapables de connaître la syntaxe de la grammaire de leur langue, et qui cependant savent très-bien arranger des argumens sophistiques très-propres à persuader ce qui convient à leurs intérêts. Cette vérité, qu'on trouve de temps en temps dans l'histoire, est bien avérée par la révolution espagnole.

Les grands d'Espagne, quelques conseillers de Castille, et d'autres personnes qui partageaient leurs opinions, imprimèrent dans l'esprit du roi, et de ceux qui l'avaient accompagné depuis la France, toutes les idées qui pouvaient être nuisibles aux deux partis de Cadix et de Bayonne, et favorables à celui-ci qui commençait à prendre de la consistance et se mettait déjà en état de dominer, par réaction, au moment même de sa naissance. Ils dénigrèrent les partisans de la constitution de Bayonne, parce que, comme ils l'avaient aban

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