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CHAPITRE III.

Conduite de l'Empereur et celle du grandduc de Berg pendant son séjour à Madrid, et premières résolutions de Ferdinand VII à Bayonne.

PENDANT

ENDANT que l'empereur agissait ainsi à Bayonne contre la dynastie des Bourbons, par lui-même et par l'organe de son ministre des relations extérieures, il en faisait autant à Madrid par le moyen du grand-duc de Berg et de ses agens, en cherchant à faire regarder comme nulle la renonciation du 19 mars, et à rétablir sur le trône Charles IV, dont il espérait tirer meilleur parti à cet effet, il forma le projet d'attirer à Bayonne tous les individus de la famille royale, ainsi que le prince de la Paix, dont la mise en liberté avait été l'objet principal des intrigues de la reine-mère auprès du grand-duc de Berg, tantôt directement, tantôt par l'entremise de la reine d'Etrurie. Le Moniteur (ou gazette officielle) publia le 3 mai 1808, différentes pièces, parmi lesquelles se trouve un rapport adressé d'Aranjuez le

25 mars par le général français au grand-duc de Berg, par lequel il paraît qu'il avait négocié avec Charles IV et les deux reines, et que sa majesté lui avait déclaré n'avoir fait sa renonciation que par force et par crainte; qu'en conséquence, il lui remettait une protestation contre son abdication, et une lettre datée du même jour 23, adressée à l'empereur, par laquelle le roi se mettait entièrement entre ses mains, afin que S. M. I. et R. ordonnât ce qu'elle jugerait à propos.

Ces pièces fournirent des prétextes à Napoléon pour se conduire de manière que Charles IV et son épouse se rendissent à Bayonne, où tout s'arrangerait, après avoir entendu des relations exactes et détaillées de tout ce qui s'était passé. Le roi et la reine se conformèrent à cette indication, et comme leur objet principal était de faire sortir d'Espagne et de mettre en sûreté la personne du favori, ils exigèrent que son départ précédât le leur, afin qu'ils pussent voyager avec tranquillité. L'empereur et le grand-duc de Berg s'y prirent de manière que les désirs du roi et de la reine fussent remplis à cet égard, malgré la volonté de Ferdinand, de son oncle don Antonio, des individus composant la junte suprême du gouvernement, et de celle du géné

ral, auquel on avait confié la garde de sa personne. Ils arrivèrent, en conséquence, tous à Bayonne le 30 avril.

Aussitôt que Charles IV vit son fils Ferdinand, il lui ordonna de renoncer, en sa faveur, à tous les droits qu'il prétendait avoir à la couronne, en vertu de l'abdication du 19 mars. Le fils répondit ce qu'on peut lire dans sa lettre du 1er mai, publiée par Cevallos, portant en substance qu'il ferait la renonciation qu'on lui demandait, à condition que son père retournerait en Espagne et y gouvernerait par luimême, sans emmener avec lui ni admettre dans son intimité des personnes contre lesquelles la haine de la nation s'était déclarée; que dans le cas où il ne voudrait pas y retourner, il nommât, pour son lieutenant - général, l'héritier présomptif de la couronne, qui gouvernerait en son nom et avec ses pleins-pouvoirs.

Charles IV répondit le 2 mai, que son abdication avait été le résultat de la force et de la violence; qu'ainsi il n'était tenu à se soumettre à aucune condition; il conclut en disant: « J'ai régné pour le bonheur de mes sujets, et je << ne veux pas leur laisser la guerre civile, la

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révolte, les juntes populaires et la révolution.

On doit tout faire pour le peuple et rien par

« lui. Oublier cette maxime, c'est se rendre

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complice de tous les délits qui en sont la consé «quence. Je me suis sacrifié pendant toute ma

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vie pour mes peuples : dans l'âge où je suis, je «< ne ferai rien qui soit en opposition avec leur religion, leur tranquillité et leur bonheur : « j'oublierai tous mes sacrifices, et lorsqu'enfin je serai bien sûr que la religion de l'Espagne, l'intégrité de ses provinces, son indépen<< dance et ses priviléges seront conservés, je << descendrai dans la tombe, en vous pardonnant << l'amertume de mes dernières années (1) ».

Ferdinand répondit à cette lettre de son père le 4 mai, en se justifiant d'une manière satisfaisante des accusations et des reproches qui lui étaient faits, et en offrant de nouveau de renoncer en faveur de son père aux droits qui lui étaient dévolus par l'abdication, si Charles IV voulait retourner en Espagne, et traiter l'affaire dans une assemblée générale de cortès, ou au moins dans une junte de tous les conseils et des députés des royaumes (2) : mais à l'époque de la date de cette lettre, il venait de se passer à Madrid des évènemens dignes d'attention par leur relation avec ceux de Bayonne et par les effets qu'ils produisirent.

(1) Cevallos. Exposition. Appendix, no 8. (2) Idem.

Tous les Espagnols étaient irrités et extrêmement inquiets sur l'absence de Ferdinand VII, mais plus particulièrement les habitans de Madrid, parce qu'en voyant de plus près les évènemens, ils en craignaient davantage les fatales conséquences. L'évasion du prince de la Paix leur avait été très-sensible, et ce qui ne contribua guère à les tranquilliser, c'est qu'ils surent que Ferdinand VII avait déjà promis à ses parens, et depuis à Napoléon, de lui faire grâce de la peine capitale dans le cas où il eût été condamné par ses juges. Quant à ses biens, le séquestre en avait été ordonné par des décrets royaux, avec d'autres arrêtés convenables au bien de l'Etat.

Dans cette situation, on commença à découvrir les projets formés pour rétablir Charles IV sur le trône, ce qui ne faisait qu'ajouter au mécontentement. On sût, le 20 avril, que le grand-duc de Berg avait expédié l'ordre aux généraux français de regarder Charles IV comme roi d'Espagne, et de le traiter comme tel, attendu si Ferdinand avait accepté la renonciation de son père, il ne l'avait fait que pour tranquilliser le peuple. Le même jour, on surprit deux français imprimant une proclamation rédigée dans le dessein de replacer le roi Charles et la reine-mère sur le trône, et

que

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