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mettre des circonstances atténuantes. Quant à la trahison, disons qu'elle est un fait odieux, vu la nationalité de son auteur, qui livre ce pourquoi il ne devrait avoir qu'affection et respect, et surtout qu'elle ne peut être commise que par un national, que la trahison telle que l'entendent les quelques auteurs que nous avons étudiés (1) n'est pas de la trahison, que jamais l'on ne devra détourner ce mot du sens infamant que l'on y attache et qu'il n'y a rien. d'immoral, loin de là, pour l'habitant d'un pays occupé, à chercher par tous les moyens possibles à seconder sa vraie patrie aux dépens de celui qui ne sera peut-être et souvent grâce à lui, que son maître d'un jour et qui n'est son souverain que de fait. Que pour terroriser les habitants, l'occupant édicte contre tout acte de ce genre les peines les plus graves, c'est son droit (il aurait même à son point de vue le plus grand tort d'agir autrement), mais que l'on appelle d'un nom infamant un acte simplement dangereux pour lui, mais très honorable pour celui qui le commet, cela nous ne pouvons l'admettre! Encore une fois, l'armée occupante a parfaitement le droit de prendre à cet égard toutes les mesures nécessaires à sa conservation personnelle; dans un pays ennemi, alors qu'elle ne peut être à un « garde-à-vous » continuel, où ses hommes se reposent de leurs fatigues, elle court des périls d'autant plus grands qu'ils sont plus occultes. Notre guerre d'Espagne, sous le premier Empire, est remplie à

(1) En ce sens, Instructions Américaines, art. 90 et 92.

parfaitement de l'avis

cet égard de faits les plus instructifs (1, 2), et je suis à ce point de vue du moins de M. Rolin-Jacquemyns (3). Il trouve immérités les reproches qu'adresse M. le sénateur Leverrier (« guerre de sauvages aux proclamations des 16 et 19 août 1870 envoyées par les armées d'occupation allemandes aux habitants du pays occupé. Toutefois je trouve qu'en apologiste zélé, il va un peu loin, en déclarant qu'en pareil cas tout est pour le mieux, parce que l'habitant qui sert son gouvernement renouvelle la guerre et est de ce fait très coupable en empêchant les adoucissements possibles. Puis il reprend la notion exacte des choses en disant que la « vraie guerre de sauvages » serait celle qui laisserait les soldats assurer eux-mêmes leur sécurité; cela est très juste. Tâchons d'être impartiaux; supposons une armée française en pays ennemi au lieu d'une armée allemande sur notre sol et reconnaissons qu'il vaut mieux par des peines très dures empêcher l'habitant de nous nuire, que de laisser nos soldats exaspérés se livrer par vengeance aux pires atrocités sur les habitants (4). Songeons un peu à la guerre d'Espagne et nous arriverons à penser juste. Mais blâmons aussi, avec M. Rolin-Jacquemyns, la rigueur des pénalités édictées par les troupes.

(1) Mémoires du général Baron Paulin.

(2) Notes, non encore éditées du général Baron Rémond.

(3) Revue de droit international et de législation comparée, 1870, p. 667. (4) Par une convention tacite, les habitants inoffensifs ne sont point inquiétés, théoriquement du moins.

allemandes qui frappaient inévitablement à la peine de mort le coupable, ainsi que d'une amende uniforme et collective la commune d'où il était originaire et celle où le crime avait été commis.

CHAPITRE II

L'espionnage et la trahison au point de vue moral et au point de vue politique

Commençons par étudier l'espionnage au point de vue moral. Nous éprouvons en entendant ce mot un sentiment presque une sensation - très désagréable. Étant donnés nos mœurs et nos tempéraments de franchise, l'espionnage (1) est toujours pour nous, quelques efforts que nous fassions. pour détruire cette idée innée, une chose basse, répugnante presque. Et il y a dans cette pensée, ce qui expliquerait son caractère réflexe, involontaire, quelque chose d'un effet physique. Il en est de ce mot, comme de tous ceux un peu forts, au lieu de conserver son sens abstrait, il se présente à nous sous une forme concrète, disparaissant derrière les apparences tangibles de l'acte qu'il représente. Ce travail inconscient se fait dans notre esprit, pour les dénominations «< espionnage, espion >>.

(1) Nous avons de la police la même opinion défavorable, et peu justifiée.

Comment expliquer cela? Car il n'est pas à nier que lorsque nous analysons notre sentiment disons même notre sensation -nous les trouvons injustes et faux. Nous n'ignorons pas que le métier d'espion est quelquefois glorieux, qu'en tout cas il est presque toujours utile. Je ne veux pas faire ici de l'analyse psychologique, ce qui m'entraînerait un peu plus loin, mais je tiens néanmoins à tenter d'expliquer ce phénomène très curieux ou tout au moins d'en indiquer l'origine. Je le ferai aussi brièvement que possible, mais je ne dois m'y arrêter, vu l'importance qu'il a eue et a encore, vu surtout les dangers qu'il présente dans la pratique.

J'y vois un produit de l'hérédité, un résultat de l'éducation acquise, augmenté, au delà des proportions usuelles, par les dangers que créent l'espionnage. L'éducation acquise. a porté sur ce fait, qu'en général dans l'antiquité, et dans les siècles précédant le nôtre, et que souvent dans notre siècle, les espions ont été des gens de rien, trafiquant à prix d'argent des renseignements qu'ils avaient recueillis ou allaient. recueillir. C'étaient des gens tarés, à bout de tous expédients pécuniaires, et se livrant à l'un ou à l'autre parti, selon que l'un leur offrait plus que l'autre. Ceci n'est encore que peu de chose. Une autre raison les rendait méprisables. C'est que souvent, en ces temps aux procédés de guerre rudimentaires où les armées étaient à peu de distance les unes des autres, et surtout où l'on ne songeait pas à les surveiller, ces hommes servaient souvent les deux partis à la fois, étant ainsi payés des deux côtés. Quel parti servaient-ils alors? Tantôt l'un, tantôt l'autre; tantôt celui qui les payait

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