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ration morale de pardonner au coupable qui se repent en voyant l'énormité de sa faute; et sur cette autre bien utilitaire de favoriser les recherches de la justice. - Les inculpés ou condamnés politiques ne pouvant jamais être extradés, il en sera de même pour les espions et, chose injuste, pour les traîtres. Même observation à ce sujet que pour la peine de mort.

Terminons cette question par l'examen de deux dispositions législatives, relatives, l'une à l'espionnage et l'autre à l'espionnage et à la trahison. La première se trouve dans la loi du 18 avril 1886, qui supprime en matière d'espionnage correctionnel, l'obligation pour le juge de prononcer l'interdiction de séjour. On aura de la sorte un espion, dont l'acte nous aura gravement nui, ainsi que le prouvera sa condamnation, et qui pourra, en cas de silence du juge, une fois sa peine terminée, continuer à demeurer dans le pays, théâtre de ses fautes, et sera, par conséquent, à même de recommencer celles-ci très aisément. Il serait infiniment préférable qu'une interdiction de séjour obligatoire le mit dans l'impossibilité de nous nuire, ou mieux encore, que l'on rétablisse contre ces faits la surveillance de la haute police, supprimée par la loi du 27 mai 1885 (1), et dont l'emploi serait ici tout indiqué. Nous n'avons guère de mesure bien efficace que celle de l'expulsion des étrangers.

Enfin, voici une seconde suppression faite par le législateur la loi du 28 avril 1832 n'impose plus aux Français de dénoncer tout crime contre la sûreté de l'État qu'ils pour

(1) Art. 19.

raient apprendre, ainsi que l'exigeait le Code pénal de 1810 (1). Cette lacune est regrettable. Qu'on n'aille pas alléguer ici des sentiments chevaleresques, lorsqu'il s'agit d'un acte odieux; qu'on se souvienne plutôt du grand danger couru; qu'on n'oublie pas qu'au point de vue moral, celui qui a connaissance d'un acte répressible et ne le révèle pas est aussi coupable que s'il le commettait. Il est vrai qu'il est contraire à nos sentiments premiers de nous faire dénonciateurs; notre délicatesse s'y oppose, et bien souvent, nous arrivons instinctivement à préférer le criminel à celui qui le livre à la justice; nous nous faisons moralement solidaires de tout individu malheureux, même s'il l'est par sa faute, par son crime. Cela est un sentiment assez difficile à réprimer. Mais gardons-nous d'exagérer cette manière de voir.

Comme pour la conception innée que nous avons de l'espionnage, et que nous devons détruire, il faut également travailler à déraciner ces impressions fines, mais dangereuses; persuadons-nous que garder le silence, sur un crime est une chose aussi grave que de le commettre, que chacun de nous ne commet pas seulement dans ce cas un crime négatif en ne dénonçant pas, mais qu'il viole le devoir positif, qu'il a de contribuer au développement et à la conservation de son pays, qu'enfin en ne livrant pas à la justice tel espion ou tel traître, il en est le complice et est lui-même un traître. Je sais qu'ici encore je pourrai heurter des préjugés bien excusables, puisqu'ils reposent sur notre délicatesse très spéciale; mais j'ai dû néanmoins dire ce dont j'ai la convic(1) Art. 103-107.

tion, heureux si je puis le faire admettre. Que ce qui n'est malheureusement plus dans nos lois, soit appliqué par nous. Contribuons à la prospérité de notre patrie, en la défendant contre ses ennemis occultes. Le grand avantage de cette disposition supprimée du Code pénal de 1810, était précisément d'empêcher cette complicité involontaire; du moment que la délation était obligatoire, et non plus facultative, elle n'était pas méprisée. Aujourd'hui au contraire, le citoyen qui dénoncerait un complot, ne manquerait pas quelquefois de s'attirer le mépris public, et la mésestime de tout un peuple qu'il sauverait. — A nous de réagir contre ces sentiments erronés et à réfléchir sur le danger et l'immoralité qu'il y a à agir autrement, surtout en ce qui touche la sécurité de l'État.

Ce que nous avons vu relativement au caractère politique de l'espionnage et de la trahison, ne s'applique bien entendu pas à l'espionnage et à la trahison militaires pour eux subsistent heureusement les pénalités rigoureuses des deux Codes de justice militaire. En effet « la discipline faisant la force principale des armées (1) », il serait inadmissible de trouver à un acte de trahison d'un militaire une excuse fondée sur une préférence personnelle d'attachement à un autre gouvernement. Quant aux cas d'espionnage, ils rentrent dans ceux contre lesquels une armée doit se défendre par les moyens les plus énergiques.

(1) Extrait du décret du 20 octobre 1892 portant règlement sur le service intérieur.

CHAPITRE III

Historique

Nous allons examiner, dans cet historique, principalement celui de l'espionnage. En effet, la trahison se présentant dans des cas absolument isolés, et ayant un caractère odieux n'a jamais pu constituer un système. Et, lorsque nous en verrons une espèce, ce sera plutôt au point de vue de l'art pour un peuple ou une armée d'obliger des soldats ou des sujets étrangers à trahir à son profit.

L'espionnage au contraire s'est révélé de très bonne heure comme indispensable, et l'absence des documents nous empêche seule de dire qu'il a pris naissance en même temps que la diversité des peuples. Un sentiment primordial d'une nation est de penser au moment où elle sera en mauvais rapports avec ses voisins; de là, il n'y a qu'un pas à la nécessité d'avoir des espions pour préparer à la guerre ou y servir.

L'espionnage que nous étudierons aura lieu surtout en temps

de guerre (1), puisque celle-ci est la raison d'être de toutes les institutions et de tous les renseignements sur lesquels il porte et que les combats étaient très simplistes, dans l'antiquité. C'est, à mon avis, la Bible qui, la première, parle de l'espionnage. Elle rapporte que Joseph, ministre de Pharaon, ne laissa pas repartir ses frères, parce qu'il les croyait des espions. -Les Romains firent des espions un très grand usage. Annibal en envoya même, au dire de Polybe (III, 34) et du colonel Hennebert (Histoire d'Annibal), en Italie avant de commencer sa première campagne contre Rome. César en aurait fait de même pour l'Angleterre. Il considérait comme parfaitement permises ces « Stratagemata » envers l'ennemi, contre qui du reste, tout était permis, à l'exception de la perfidie (Dolus malus) (2).

Il est probable, vu leur renom d'honnêteté peu scrupuleuse, que les Grecs (3) et les Carthaginois, ont employé les espions; mais nous n'avons à ce sujet que des documents peu sûrs.

Au Moyen âge, nous voyons l'espionnage florissant. Alfred le Grand, roi des Saxons, ne dédaigna pas de se

(1) Institutions militaires de l'empereur Léon le Philosophe. Stratagemes de Frontin. Ruses de guerre de Polyen.

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(2) Le châtiment de la trahison était très sévère à Rome. C'était outre la mort de son auteur dans les tortures, la confiscation de ses biens, le bannissement de ses enfants. La Lex Julia Majestatis, la considérait comme un crime de lèse-majesté. Quant aux espions de l'ennemi, ils ne subissaient que les traitements très durs il est vrai des prisonniers de guerre.

(3) Epaminondas disait que l'espionnage était la chose la plus nécessaire à un chef d'armée.

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