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ront..... les parlementaires de l'ennemi, ceux qui, n'étant pas militaires, franchiront sans permission la première ligne, ceux enfin sans distinction de nationalité, qui communiqueront, pour être publiées, des nouvelles sur les opérations militaires et la situation des troupes, sur la quantité et la qualité de l'armement, des munitions et des ressources militaires....., qui propageront des bruits ou feront des appréciations de nature à décourager les soldats, ou à ébranler la confiance de leurs chefs ». Les dernières dispositions soulevèrent avec raison, l'indignation générale; elles visaient la Presse, et certes, le châtiment était hors de proportion avec la faute. Le général Martinez Campos eût dû se contenter, comme son prédécesseur, le général Macias, de refuser aux représentants des journaux le droit de suivre ses opérations. Une circulaire ministérielle française de 1888 indiqua le danger des révélations trop complètes des journaux.

Mais, en lisant ceux-ci, on devra, comme pour les dépêches rendues officielles, se dire que le plus souvent, les nouvelles qu'ils donnent sur une situation politique sont incom plètes, ou inexactes intentionnellement, dans le but de donner nne direction à l'opinion, comme disait Napoléon dans une lettre à Fouché. Il s'agissait de créer de toutes pièces l'esprit public de la France, tout aussi bien que de l'étranger. Napoléon était de première force à ce sujet, et Bismarck ne le fut pas moins. Un très curieux ouvrage de M. Wuttke, professeur à l'Université de Leipzig « Les journaux allemands et comment se forme l'opinion publique » est plein

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d'intéressantes révélations. Il relate l'existence d'un comité central qui falsifie, supprime ou invente les nouvelles, selon que cela est nécessaire, et qui les fait publier ensuite par des journaux amis largement subventionnés avec ce qu'il appelle le Reptilienfond (fond des reptiles) (1). Les journaux subventionnés ne sont pas seulement des journaux allemands; il y en a dans tous les pays qui dirigent l'opinion des habitants, pour le cas où les feuilles allemandes ne parviendraient pas jusqu'à eux. M. de Bismarck avait déjà employé ce moyen pendant le siège de Paris, il joua de son journal de Versailles sur nos nerfs affolés. Les journaux allemands avaient leurs rédacteurs à Paris avant la guerre; deux de ceux de la Gazette de Cologne étaient bien connus : c'étaient M. Krammer et le Dr Levyshon.

Encore une fois, je n'incrimine nullement ces procédés de la part des Allemands; ils n'usent, en les employant, que d'un droit très strict; rien ne nous servirait de décrier ces grandes armes, parce que cela ne les empêcherait pas de tuer; songeons plutôt à les copier et à nous défendre contre elles. Soyons plus défiants révélons moins nos secrets et nos infortunes en public; ne nous étendons pas longuement sur nos fautes dans une séance du Parlement ou dans un journal. En en parlant beaucoup, on augmente leur importance dans l'imagination; on détruit cette confiance dans la force, sans laquelle la victoire est impossible. Et puis, et

(1) Voir aussi Ramin, Impressions d'Allemagne, et Siméon Köln: Ein Wort zur Abwehr und Aufklärung über Spitzelei (non traduit) pour l'espionnage interne.

surtout, soyons prêts pendant la paix à toute éventualité. Que cette organisation du service des renseignements, bien outillée aujourd'hui, continue à subsister, et qu'on n'ait plus besoin de la créer dans l'affolement d'une déclaration de guerre. N'oublions jamais cet axiome d'un maître en la matière, du général Lewal : « Pratiquer pendant la paix ce qu'on doit exécuter pendant la guerre ».

CHAPITRE V

L'espionnage au point de vue civil dans la loi française.

Dans ce chapitre, comme dans le suivant, je vais être obligé, pour suivre méthodiquement ma distinction, de faire rentrer en peu de force les textes dans le moule idéal auquel je songe; les développements que j'ai fournis me permettent, je crois, de le faire, et le désir que j'ai de voir se réaliser mon vou, me donne l'audace d'imposer un cadre rationnel, ne s'adaptant nullement à l'ordre des divisions actuellement existantes.

L'espionnage au point de vue civil (c'est-à-dire celui spécialement destiné aux non-militaires) est régi, dans la législation française par les art. 5-8, 10-13, de la loi du 18 avril 1886 (1). Ici je heurte deux sources d'objections :

(1) Projet de loi déposé sur le bureau de la Chambre des députés le 11 mars 1886 par le général Boulanger, ministre de la guerre, le contre-amiral Aube, ministre de la marine, et M. Demôle, ministre de la justice, p. 1235; M. Gadaud, rapporteur à la Chambre; M. le général Arnaudeau au Sénat (Journal officiel de 1886, pp. 411, 635 et 796).

la première est tirée du titre même de la loi du 18 avril 1886 «< tendant à établir des pénalités contre l'espionnage ». Il semblerait donc que toute la loi régisse des cas d'espionnage. Ce n'est pas mon avis. J'ai dit en effet que le caractère de national dont est revêtu l'auteur d'un acte favorisant l'ennemi ou un peuple étranger, fait de cet acte, un acte de trahison; que s'il est au contraire l'œuvre d'un étranger on est en présence d'un fait d'espionnage. Or, les art. 1-4 et 9 sont à n'en pas douter l'œuvre d'un national; il suffit de les lire pour s'en convaincre.

ART. 1r.« Sera puni d'un emprisonnement de 2 à 5 ans et d'une amende de 1.000 à 5.000 francs: 1° Tout fonctionnaire public, agent ou préposé du gouvernement qui aura livré ou communiqué, à une personne non qualifiée, pour en prendre connaissance, ou qui aura divulgué en tout ou partie les plans, écrits ou documents secrets intéressant la défense du territoire ou la sûreté extérieure

de l'État qui lui étaient confiés, ou dont il avait connaissance en raison de ses fonctions. La révocation s'ensuivra de plein droit; 2° Tout individu qui aura livré ou communiqué à une personne non qualifiée pour en prendre connaissance, ou qui aura divulgué en tout ou partie les plans, écrits ou documents ci-dessus énoncés qui lui ont été confiés ou dont il aura eu connaissance soit officiellement, soit à raison de son état, de sa profession ou d'une mission dont il aura été chargé; 3° Toute personne qui, se trouvant dans l'un des cas prévus par les deux paragraphes précédents, aura communiqué ou divulgué des

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