Page images
PDF
EPUB

Le 13 juin 1839, le capitaine Such se fondant sur la perte de la bombarde la Justine, par suite de l'échouement volontaire de ce navire et de l'enlèvement du pont pour le sauvetage de la cargaison, assigne les sieurs Chancel frères, ses affréteurs, les sieurs Aubert Baux et comp. et le sieur Moynier fils, consignataires, devant le tribunal de commerce de Marseille, à fins de réglement par un expert répartiteur, des avaries communes éprouvées par le navire dans la navigation de Messine à Marseille.

Il produit, à l'appui de sa demande, son livre de bord et son consulat fait à Cavallo.

Aux termes de ces documens, l'échouement de la Justine dans l'anse de Portosino a eu lieu pour le bien et le salut communs, et c'est pour sauver la cargaison que le pont du navire a été enfoncé et enlevé.

Les sieurs Chancel frères appellent en cause les sieurs Aubert Baux et comp., Chargé fils aîné, Hermann, Albouis et Cucurny oncle et comp., leurs sous-affréteurs et consignataires de marchandises chargées sur la bombarde la Justine, pour qu'ils aient à concourir à faire rejeter la demande du capitaine Such en réglement d'avaries; à défaut, à contribuer au paiement des prétendues avaries communes dont il s'agit.

D'un autre côté et le 17 juin, le capitaine Such assigne les sieurs Chancel frères, à fins de paiement de la somme de 2,100 fr. montant du fret de la bombarde la Justine, de Marseille à Messine, et de Messine à l'île Cavallo, c'est-à-dire, à proportion dy voyage avancé, soit, trois cinquièmes.

Sur cette seconde demande du capitaine Such, les sieurs Chancel frères appellent encore en cause les sieurs Albouis, Chargé fils aîné, Hermann, Cucurny oncle et comp., leurs sous-affréteurs, à fins de paiement du prorata de fret qui pourra respectivement les concerner à raison des marchandises chargées à leur consignation sur la bombarde la Justine, suivant les stipulations portées dans leurs connaissemens.

Les deux demandes du capitaine Such sont portées ensemble à l'audience.

Sur la première, relative au règlement d'avaries communes, les sieurs Chancel frères et leurs sousaffréteurs et consignataires, soutiennent qu'il n'y a pas lieu d'ordonner ce règlement, parce que l'échouement volontaire de la bombarde la Justine a été suivi de bris et de naufrage, circonstance qui ne permet pas de soumettre à contribution les marchandises qui composaient le chargement de ce navire; que l'obligation des consignataires, à raison de l'événement, se borne au paiement, qu'ils ont effectué, des frais de sauvetage.

Les sieurs Aubert, Baux et comp. réclament subsidiairement garantie contre leurs assureurs, dans le cas où la demande en réglement d'avaries serait accueillie.

Sur la seconde demande du capitaine, relative au paiement du fret,

Les sieurs Albouis, Hermann et Cucurny oncle et comp. déclarent être prêts à payer le fret proportionnel qui les concerne.

Le sieur Chargé fils aîné demande d'être mis hors d'instance, par le motif que ses marchandises ont été entièrement perdues.

JUGEMENT.

Attendu qu'il résulte du livre de bord de la bombarde la Justine, qu'à la suite d'une tempête qu'essuya ledit navire à environ six milles dans le nord des bouches de Bonifacio le capitaine Such ayant fait visiter l'archipompe, reconnut, une assez grande quantité d'eau; que le vent étant devenu plus fort, il fut obligé de courir dans les bouches de Bonifacio; que la voie d'eau devenant plus considérable, au point de ne pouvoir être plus franchie et le navire menaçant de sombrer, il consulta son équipage et il fut décidé, pour le bien et le salut communs et à cause de l'obscurité, d'aborder la première terre qui se présenterait, afin de sauver le navire et la cargaison, ce qui eut lieu à sept heures du soir du 30 décembre, dans l'anse de l'île Cavallo; que le capitaine eut soin de mouiller une ancre de l'arrière pour soutenir le navire, la poupe au large, afin qu'il ne se traversât pas à la côte; qu'à l'instant même, il se trouva trois pieds d'eau dans la câle, et la mer devenant plus houleuse et le vent soufflant avec plus de violence, le navire, quelques momens après, sombra;

Attendu qu'en l'état de ces faits, on ne saurait qualifier l'évènement survenu à la bombarde la Justine, d'échouement volontaire, bien que le capitaine se soit plusieurs fois servi de cette expression dans son livre de bord; que c'est, au contraire, un naufrage bien caractérisé qui a amené le sauve qui peut ; Attendu qu'il ne suffit pas que le sacrifice soit fait dans l'intention du bien et du salut communs, pour que l'action en contribution puisse être ouverte contre les chargeurs; qu'il faut, encore, que le sacrifice ait pour résultat, au moins temporaire, le salut simultané du navire et de la cargaison, puisque c'est sur l'un et sur l'autre que doit se faire la répartition du dommage;

T.XVIII.

-

Ire P.

21

Que, dans l'espèce, en supposant même que l'on påt considérer comme un échouement volontaire la détermination prise et exécutée par le capitaine, d'après l'avis de son équipage, d'aborder la première terre qui se présenterait, le sombrement du navire, arrivé quelques momens après et dans le même lieu, et sa perte totale, l'auraient fait dégénérer en naufrage, et aurait fait perdre au capitaine le bénéfice de la contribution;

Attendu que les opérations faites postérieurement au naufrage pour sauver la cargaison ne sauraient, pas plus que l'évènement lui-même, donner lieu à contribution de la part des proprié taires des marchandises;

Attendu, au surplus, que le capitaine Such a, lui-même; qualifié l'événement survenu à la bombarde la Justine par le délaissement qu'il en a fait à ses assureurs et le paiement que ceux-ci lui ont fait de la perte;

E

Attendu que le capitaine Such avait nolisé son navire pour aller de Marseille à Messine prendre son plein et entier chargement et le transporter à Marseille;

Que le navire ayant fait naufrage dans l'anse de Portosino dans son voyage de retour, et la presque totalité du chargement ayant été sauvée, il est dû au capitaine, sur les marchandises sauvées, le fret proportionnel jusques au lieu de la perte (art. 303 du code de commerce);

Que les affréteurs n'ayant pas constesté le principe, il y a lieu, seulement, à fixer la quotité du fret dû à raison du voyage avancé; que le capitaine ayant fixé cette quotité aux 315 et cette fixation paraissant juste et équitable au tribunal, il y a lieu de l'accorder;

Attendu que le navire la Justine avait été affrété en totalité aux sieurs Chancel frères; que, si ceux-ci ont jugé à propos de le sous-affréter, en partic, à divers chargeurs, et si, à raison de ces sous-affrétemens, ils ont cru devoir appeler en cause, soit dans l'instance en réglement d'avaries, soit dans celle en réglement du fret, leur divers sous-affréteurs, cette qualité

étant étrangère au capitaine, il ne saurait en supporter les dépens.

LE TRIBUNAL, joint l'instance en réglement d'avaries Communes à celle en réglement du fret introduite par le capitaine Such, et statuant sur ces instances par un seul et même jugement, sans s'arrêter à la demande en réglement d'avaries communes du capitaine Such, à l'encontre des sieurs Chancel frères, Ch. Aubert Jules Baux et comp. et Moynier fils, dans laquelle il est tout à la fois déclaré nonrecevable et mal fondé, met sur cette demande les sieurs Chancel frères, Ch. Aubert Jules Baux et comp. et Moynier fils, hors d'instance et de procès, avec dépens de cette qualité; au moyen de ce, déclare n'y avoir lieu de statuer sur l'appel en canse, de la part des sieurs Chancel frères, des autres chargeurs, et sur la demande en garantie des sieurs Ch. Aubert et Jules Baux et comp. et leurs assureurs; les dépens de ces appels en cause et garantie restant à leur charge; et de même suite, faisant droit à la demande du capitaine Such, en réglement du fret, par lui formée à l'encontre des sieurs Chancel frères, fixe à trois cinquièmes la portion du fret par eux due au capitaine Such, à raison du voyage avancé, et condamne, en conséquence, lesdits Chancel frères au paiement, en faveur du capitaine, des trois cinquièmes du fret convenu, avec intérêts et dépens de cette qualité; et de même suite, sans s'arrêter aux fins prises par les sieurs Chancel frères contre le sieur Chargé fils aîné, en paiement du fret proportionnel, dont il les a démis et déboutés, attendu que les graines de lin à sa consignation ont été entièrement perdues, met le sieur Chargé fils aîné hors d'instance et de procès avec dépens; et faisant droit aux fins prises par les sieurs Chargé freres contre les sieurs Albouis, Hermann et Cucurni oncle et comp., ses sous-affréteurs, les condamne, chacun en droit soi, au paiement, en faveur des sieurs Chancel, du prorata du fret porté

[ocr errors]
[ocr errors]
« PreviousContinue »