Page images
PDF
EPUB

(Gilly-Delpuech contré Henry; - Henry contre Rey,
Guillemin et Cuesta.)

LES sieurs Henry frères, négocians à Marseille, avaient reçu du sieur Gilly-Delpuech, négociant à Calissanne, la commission d'acheter pour son compte 75 pièces esprit 3/6 bon goût et 25 pièces esprit de marc, livrables du 20 au 31 décembre 1838, avec la condition que les sieurs Henry frères seraient personnellement garans de la livraison, moyennant ducroire.

En exécution de ce mandat, accepté par les sieurs Henry frères, ceux-ci achètent la marchandise commise, des sieurs Justinien Rey et Guillemin et Questa, pour livrer au terme convenu, et ils en donnent avis à leur commettant.

Le 31 décembre arrive sans que la livraison promise par les sieurs Henry frères au sieur Gilly-Delpuech soit effectuée.

Le même jour, le sieur Gilly-Delpuech leur fait sommation de livrer; à défaut, il les assigne deva nt le tribunal de commerce de Marseille, pour entendre ordonner que, faute par eux d'effectuer dans les vingt-quatre heures du jugement à intervenir, la livraison des pièces esprit 3/6 dont il s'agit, il sera autorisé à se remplacer sur place et par le ministère du premier courtier requis, de pareille quantité esprit 3/6, même qualité, aux frais risques et périls des sieurs Henry frères, lesquels seront contraints à lui payer la différence qui pourra exister entre le prix de la marchandise achetée en remplacement

[ocr errors]
[ocr errors]

ét le prix convenu, plus les frais de censèrie et accessoires et, en outre, condamnés à payer, à titre de dommages-intérêts, pour la perte résultant de l'inexécution du marché au terme convenu, cinquante francs sur chaque pièce.

Le même jour, 31 décembre, les sieurs Henry frères font signifier aux sieurs Justinien Rey et Guillemin et Questa, leurs vendeurs, sommation et citation pareilles à celles reçues de la part du sieur Gilly-Delpuech et les appellent dans l'instance pour

qu'

'ils aient à les faire relaxer de la demande du sieur Gilly-Delpuech, et entendre ordonner qu'à défaut de livraison, les sieurs Henry frères seront autorisés à se remplacer et les sieurs Rey et Guillemin et Questa tenus de la différence de prix.

A l'audience, les sieurs Henry frères déclarent qu'ils ont en leur pouvoir 42 pièces esprit 3/6 qu'ils offrent de livrer au sieur Gilly-Delpuech contre le paiement de leur montant.

Ils soutiennent ensuite que n'ayant agi dans cette affaire que comme commissionnaires et ayant indiqué à leur commettant les vendeurs de qui ils avaient acheté, pour son compte, les esprits commis, le sieur Gilly-Delpuech devait s'adresser d'abord aux vendeurs indiqués et ne pouvait revenir sur ses commissionnaires qu'après avoir fait constater légalement le refus, fait par les vendeurs, de livrer; que c'est dans ce sens qu'il faut entendre la garantie personnelle à laquelle les sieurs Henry frères s'étaient soumis à raison de la livraison au terme con

venu.

1.

Ils réclament, d'ailleurs, leur garantie contre les vendeurs.

Les sieurs Justinien Rey et Guillemin et Questa contestent, sous le rapport de la forme, la demande en garantie dirigée contr'eux.

Ils soutiennent que ce n'est point par cette voie, mais par action principale que les sieurs Henry frères devaient recourir contr'eux.

JUGEMENT.

Attendu qu'il a été reconnu en fait, que les sieurs Henry frères ont reçu du sieur Gilly-Delpuech le mandat de leur acheter 75 pièces esprit 3/6 pour livrer du 20 au 31 décembre, moyennant la commission d'usage et sous la condition qu'ils lui seraient ducroire pour la garantie de la livraison;

Attendu que les sieurs Henry frères ont accepté ce mandat et donné avis au sieur Gilly-Delpuech qu'ils avaient acheté la marchandise commise, des sieurs Justinien Rey et Guillemin et Questa, au prix de leur limite de 25 fr. les 28 litres, pour livrer à l'époque convenue;

Attendu que les sieurs Henry frères n'ont point effectué la livraison des 75 pièces esprit dont il s'agit; que la prétention qu'ils élèvent de renvoyer leur commettant à agir directement contre les vendeurs, sur le motif qu'il les lui ont fait connaître, pour ne venir à eux qu'après qu'ils auraient fait conster légalement du refus de ceux-ci de s'exécuter; que cette prétention, disons-nous, ne saurait être accueillie par le tribunal;

Qu'il n'en est pas, en effet, du mandat commercial comme du mandat civil;

Que, dans le premier, le commissionnaire traite en son propre et privé nom, et le commettant, qui ne connaît que lui, est absolument étranger aux engagemens que les tiers peuvent contracter, vis-à-vis du commissionnaire, pour l'exécution du mandat;

Que la preuve que Henry frères ont reconnu que Gilly-Delpuech ne pourrait agir que contr'eux résulte suffisamment de l'appel en garantie de Rey et Guillemin et Questa, vendeurs directs;

Attendu que Henry frères, en ne pas livrant, ainsi qu'ils l'avaient garanti à Gilly-Delpuech, les pièces esprit de vin 3/6 dont il s'agit, se sont rendus passibles de dommages-intérêts vis-à-vis de leur commettant;

Que, d'après la jurisprudence du tribunal, ces dommagesintérêts doivent se borner au préjudice immédiat que le défaut de livraison fait éprouver aux sieurs Gilly-Delpuech, c'est-àdire, à la différence du prix de la vente à celui qu'avait la marchandise à l'époque où elle aurait dû être livrée;

Attendu, cependant, que Henry frères ont déclaré à l'audience avoir à la disposition du sieur Gilly-Delpuech 42 futailles qu'ils auraient offert de leur livrer contre le paiement de leur montant;

Attendu que c'est par le fait de Justinien Rey et de Guillemin et Questa, leurs vendeurs, qu'Henry frères n'ont pu remplir leurs obligations vis-à-vis de Gilly-Delpuech;

Qu'inutilement ils ont prétendu repousser, en l'état, la demande en garantie d'Henry frères et ont soutenu qu'il ne compétait à ceux-ci que l'action principale;

Que puisque Henry frères étaient fondés, de l'aveu de Rey et Questa, à les attaquer principalement, à raison de le nonlivraison des esprits 3/6 par eux vendus, à plus forte raison. Henry frères ont-ils pu les appeler en garantie sur la demande principale de Gilly-Delpuech;

LE TRIBUNAL, faisant droit à la demande du sieur GillyDelpuech, ordonne que, dans les vingt-quatre heures du présent, les sieurs Henry frères livreront, ainsi qu'ils l'ont offert au sieur Gilly-Delpuech les quarante-deux futailles esprit trois six qu'ils ont en magasin contre le paiement immédiat de leur montant; et que, dans le même délai, ils effectueront la livraison du solde de la quantité vendue; à défaut, les

condamne, à titre de dommages-intérêts, à payer audit sieur Gilly-Delpuech la différence qui existera entre le prix de vingtcinq francs les trente-huit litres convenu et celui que valait la marchandise à l'époque du trente-un décembre, tel qu'il sera établi par le syndicat des courtiers, avec dépens; et de même suite, faisant droit aux fins prises par les sieurs Henry frères contre les sieurs Justinien Rey et Guillemin Questa, ordonne que, dans le même délai de vingt-quatre heures', ils livreront, chacun, la quantité de futailles esprit trois-six qu'ils leur restent devoir pour solde de la vente par eux consentie en faveur de Henry frères, à défaut, et passé le susdit délai et sans autre, les condamne, en vertu du présent, au paiement, à titre de dommages-intérêts, de la différence du prix de vingt-cinq francs avec celui qui sera établi par le même certificat du syndicat des courtiers, à ladite époque du trente-un décembre, avec dépens actifs, passifs et de la garantie (1).

Du 4 janvier 1839. Prés. M. RABAUD aîné, chevalier de la Légion-d'Honneur. Plaid. MM. COURNAUD pour Gilly-Delpuech; MASSOL-D'ANDRÉ pour Henry frères; LAJARD et CHIRAC pour Rey et Guillemin et Questa.

Vente.- Livraison.- Retard. Exécution forcée. Dommages-intérêts.

Remplacement.

La vente d'une marchandise livrable à une époque déterminée peut-elle, à défaut de livraison au terme convenu, se résoudre, au gré du vendeur, en de simples dommages-intérêts, lorsqu'il peut se procurer sur place la marchandise vendue? (Rés. nég.)

(1) Voy. ce Recueil, tom. XVI, 1re part., pag. 84 et suiv. et 89 et suiv,

« PreviousContinue »