Page images
PDF
EPUB

L'acheteur est-il en droit, au contraire, dans de telles circonstances, de forcer l'exécution du marché en se faisant autoriser à acheter sur place, aux risques du vendeur, une pareille quantité de la méme marchandise? (Rés. aff.) L'acheteur, soit qu'il demande la résolution du marché, soit qu'il réclame sa mise en possession de la marchandise vendue et non livrée au terme convenu, a-t-il droit à des dommages-intérêts à raison du retard de la livraison? (Rés. aff.) Ces dommages-intérêts doivent-ils se composer non seulement de la différence, soit bénéfice, entre le prix convenu, lors de la vente, et le prix courant à l'époque fixée pour la livraison, mais encore, de la différence, soit perte, entre le prix de la marchandise achetée en remplacement et celui de cette même époque à laquelle la livraison aurait dû être faite? (Rés. aff.)

(Guibaud contre Cumella.)

LE 20 octobre 1838, le sieur Cumella, négociant, à Marseille vend au sieur Marcel Guibaud, par entremise de courtier, cinq pièces esprit de vin 3/6 de Catalogne, de la contenance de 450 litres chacune, pour livrer et recevoir en passe-debout sur le quai du port de Marseille et tout entrepôt, en décembre suivant, au prix de 26 fr. les 38 litres, futailles comprises, payable comptant, après la livraison, et faisant pour les cinq pièces 1,560 fr. Le 31 décembre, la livraison n'ayant pas été effectnée, le sieur Guibaud, fait sommation au

[blocks in formation]

sieur Cumella son vendeur, de lui livrer les cinq pièces esprit dont il s'agit; à défaut il l'assigne devant le tribunal de commerce, pour entendre ordonner que l'acheteur sera autorisé à se remplacer de pareille quantité et qualité de 3/6, tractativement et par ministère de courtier, aux risques et périls du sieur Cumella vendeur, et que celui-ci sera tenu de la différence entre le prix de la vente et celui du remplacement; en outre, de tous dommages-intérêts provenant du retard, à donner par état, enfin, encore à titre de dommages-intérêts, du paiement des frais faits contre le sieur Guibaud par divers négocians auxquels il n'a pu livrer les esprits dont il s'agit, faute de les avoir reçus du sieur Cumella.

Pendant l'instance et le 5 janvier, le sieur Cumella fait signifier au sieur Guibaud des conclusions par lesquelles, au bénéfice de l'offre qu'il fait de payer à son acheteur, à titre de dommages-intérêts, la différence entre le prix convenu de vingtsix francs et celui de vingt-huit francs, cours du 31 décembre attesté par le syndicat des courtiers, il demande d'être mis hors d'instance et de procès sur la prétention du sieur Guibaud.

Le sieur Guibaud repousse l'offre comme non satisfactoire; il soutient que le vendeur ne peut être admis à régler par différence; que le contrat de vente doit sortir à effet par la livraison matérielle et effective de la chose vendue, livraison que le vendeur est tenu de faire à l'époque convenue; que s'il manque à cette obligation, son acheteur

doit être autorisé à se remplacer aux frais du ven deur; et que dans tous les cas, l'acheteur doit être indemnisé du préjudice qu'il éprouve à raison du retard.

Le sieur Guibaud persiste, en conséquence, à demander livraison, à défaut, le montant de la différence sur le prix, et, dans tous les cas, les dommages-intérêts résultant du retard et les frais occasionés par la même cause.

Quant au cours des esprits au 31 décembre, il soutient que le certificat du syndicat des courtiers produit par le sieur Cumella ne constate qu'une chose, savoir que le 31 décembre 1838, il n'y avait faute de marchandises en esde cours, pas prits disponibles sur la place, et que le syndicat ne parlait de quelques rachats de traités, faits le même jour 31 décembre, à 28 fr., qu'à titre de renseignement; mais que ce prix ne constituait pas un cours réel et ne pouvait être pris pour base des dommages-intérêts à accorder pour retard dans la livraison.

Le sieur Cumella explique l'impossibilité de livrer les esprits par lui vendus à l'époque convenue par le retard des navires qui devaient les apporter;

Il soutient que l'inexécution du marché doit se résoudre en dommages-intérêts, aux termes de la loi sur les obligations, et que l'offre qu'il a faite sa. tisfait à toutes les exigences de la loi à cet égard;

Qu'il y a donc simplement lieu, dans l'espèce, à résilier la vente et à fixer la différence de prix dont le vendeur doit tenir compte, comme il a été jugé

par le tribunal dans l'affaire entre les sieurs Henry frères et le sieur Gilly-Delpuech (1).

JUGEMENT.

Vu les articles 1144, 1149, 1610 et 1611 du code civil; Attendu qu'il est établi au procès que, le 20 octobre dernier, le sieur Cumella a vendu au sieur Guibaud cinq pipes esprit de vin 3/6 de Catalogne, pour livrer fin décembre, lors prochain, au prix de 26 fr. les 38 litres;

Attendu que par exploit du 31 décembre dernier, le sieur Cumella a été mis en demeure de remplir son obligation, ce qu'il n'a pas exécuté;

Attendu que le but principal et essentiel de l'acheteur dans le contrat de vente est la mise en possession de l'objet vendu ; que, s'il en était autrement et s'il était permis au vendeur de se délier de son obligation de livrer la marchandise, en payant une simple différence à son acheteur, la vente ne serait plus qu'un jeu que la loi prohibe;

Que si, dans des circonstances fort rares, et alors que le vendeur, par des événemens indépendans de sa volonté, se trouve dans l'impossibilité de livrer la marchandise, la vente peut, comme toute obligation de faire, se résoudre en simples dommages-intérêts, il ne saurait en être ainsi, lorsque le vendeur peut se procurer, mème en faisant des sacrifices, la marchandise vendue pour en effectuer la livraison;

Que, dans l'espèce, il est de notoriété publique et qu'il résulte d'ailleurs des aveux du sieur Cumelia, à l'audience, qué s'il n'avait pas livré les 3/6 d'Espague par lui vendus au 31 septemple dernier, c'était parce que les navires, porteurs de la marchandise dont les connaissemens étaient entre ses mains 9 avaient été retenus par les vents contraires; que, depuis, il résulte des pièces produites par le sieur Cumella, que tout ou partie de ces marchandises sont arrivées; qu'au surplus, il existe sur place des esprit 3/6; que, dès lors, le sieur Cumella

(2) Voy. l'article précédent,

est sans excuse valable pour se refuser de livrer les cinq pièces qui ont formé l'aliment de la vente dont il s'agit;

Attendu qu'aux termes de l'art. 1144 du code civil, le créancier peut-être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur;

Que l'option entre la résolution de la vente ou la mise en possession de l'objet vendu, autorisée par l'art. 1610, ne compète qu'à l'acheteur;

Attendu que la question de remplacement n'a pas été agitée devant le tribunal, lors du jugement du 4 janvier, dont se prévaut le sieur Cumella ; qu'au surplus les motifs qui ont déterminé le tribunal ne trouvent pas leur application dans l'espèce;

Attendu que, d'après les dispositions de l'art. 1611, soit que l'acheteur demande la résolution de la vente ou sa mise en possession, il a droit à des dommages-intérêts, s'il résulte un préjudice pour lui du défaut de livraison au terme convenu ;

Que l'art. 1149 dispose que les dommages-intérêts sont, en général, de la perte que fait le créancier, et du gain dont il a été privé;

Que, dans l'espèce, outre le bénefice qui résultait pour le sieur Guibaud du prix convenu avec celui qu'avait la marchandise à l'époque où la livraison aurait dû être faite, bénéfice dont il a été privé, le remplacement qu'il sera dans le cas d'effectuer, au refus du sieur Cumella de livrer la marchandise, peut lui occasioner une perte, qui doit entrer dans les dommages-intérêts auxquels ledit sieur Guibaud a droit;

[ocr errors]

Attendu que le sieur Cumella est étranger aux divers engagemens que le sieur Guibaud peut avoir pris dehors des accords qui le liaient avec celui-ci; qu'il est de principe que le débiteur n'est tenu que des dommages-intérêts qui sont le résultat immédiat et direct de l'inexécution de l'obligation.

· LE TRIBUNAL, sans s'arrêter aux fins en résiliement prises au nom du sieur Cumella, non plus qu'à l'offre par lui faite, faisant droit, au contraire, à la demande du sieur Guibaud, ordonne que, dans les vingt-quatre heures de la signification du

« PreviousContinue »