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mandie offrent toutes ces conditions exclusives de la voiture d'eau; que la vigueur de leur construction, leurs dimensions, la force de leurs machines, le nombre et l'importance des agrès et du mobilier maritime, démontrent leur destination originaire et permanente : lutter contre les violences de la mer;

Que la composition de leurs équipages, commandés par des capitaines reçus; formés de matelots appartenant à l'inscription maritime, supportant les charges et jouissant des avantages de la retenue faites sur les gages des marins de l'état, indique assez à quel genre de navigation les navires qu'ils montent sont destinés ;

Attendu que les actes de francisation prescrits par la loi du 27 vendémiaire an 11, pour la navigation maritime, et exigés par le commissaire général de la marine au Havre, la soumission aux droits quelconques dûs à la douane, le chiffre des droits d'attache payés à chaque voyage et dans chaque port, placent en-dehors de la définitition de voitures d'eau les deux navires objet du procès ;

Attendu, enfin, que ces deux navires; sortant du port du Havre, sont en mer; qu'ils parcourent cet élément pendant un espace plus ou moins considérable, suivant les temps et les difficultés qu'ils rencontrent; qu'ils sont, jusqu'après Quillebeuf, exposés à tous les dangers des bancs de sable, que l'action de la mer rend incessamment changeans; qu'ils sont, pendant le voyage, sous l'influence du flux et du reflux de la mer; qu'ils abordent à Rouen, dont le port est compris dans la circonscription maritime, dirigé par un capitaine du port, et surveillé par l'administration de la douane;

Qu'il faut induire de ce qui précède, que ces navires se livrent à une navigation maritime, et présentent nne analogie bien plus frappante en tous points, ou plutôt une identité plus absolue, avec les transports du Havre à Caen et de Nantes à Bordeaux, jugés exempts du dixième, qu'avec les voitures d'eau dont parle la loi du 9 vendémiaire an v1;

Attendu, sur le dernier point, que la loi du 25 mars 1817, en exigeant la régularité du service l'a définie, afin d'éviter la fraude qu'une variation volontaire dans les heures et jours de départ aurait pu faire naître;

Mais attendu que les irrégularités du service sont, dans l'espèce, indépendantes de la volonté de la Compagnie des bateaux à vapeur; que, pendant plusieurs mois de l'année, le service est absolument anéanti par les difficultés de la mer et de l'embouchure de la Seine, pendant les autres mois, les gros temps et les obstacles particuliers à cette navigation en suspendant souvent le cours;

Qu'ainsi, en l'absence de cette combinaison volontaire que la loi de 1817 a voulu évidemment prévenir, il y aurait irrégularité et cessation de service fréquens; et, conséquemment, il n'y aurait point lieu à la perception du dixième, qui ne porte que sur des services réguliers;

Attendu qu'on ne peut assimiler de pareilles intermit tences dans la navigation, à la cessation prévue et volontaire d'entrepreneurs de voitures publiques, dont les établissemens ne se forment qne pour certaines saisons de l'année, comme celles des eaux et des bains, parce que la cessation était prévue, parce que sa prévision n'a pas retenu la spéculation et parce que toutes les dispositions et les marchés avec des tiers ont été faits en conséquence; qu'ici, au contraire, c'est toujours par une force majeure, accidentelle et imprévue que le service se trouve interrompu;

Attendu que, si les lois fiscales doivent s'appliquer dans leur sens strict et textuel, c'est surtout lorsqu'on voudrait les étendre aux produits d'une intelligence et d'une industrie qui ne pouvaient entrer dans la pensée du rédacteur de la loi, et qui vont nécessairement au-delà de ses définitions;

Que les magistrats, en l'absence d'un texte formel et précis, ne peuvent ajouter aux charges déjà si considérables d'une entreprise pleine de charme et d'attrait pour les étrangers, et

qui rend plus faciles et moins onéreuses les communications entre deux villes dont les rapports commerciaux sont immenses et continuels;

LE TRIBUNAL faisant droit à l'opposition à contrainte des sieurs Jallant et Vieillard, directeurs de la Compagnie des bateaux à vapeur, ordoune la restitution de la somme de 1,301 fr. 37 c. qu'ils n'ont payée que sous réserves et protestations; condamne l'administration des Contributions indirectes aux dépens.

Du 8 octobre 1838. - Tribunal civil de Rouen. Prés. M. LETOURNEUR. Rap. M. BADEMER.

TROISIÈME ESPÈCE.

(Jallant et Vieillard contre l'administration des Contributions indirectes.)

L'administration avait décerné une autre contrainte, au Havre, contre la même Compagnie des paquebots à vapeur la Seine et la Normandie, le 20 juillet 1838.

L'opposition des directeurs de la Compagnie, à cette contrainte, a été portée devant le tribunal civil du Havre.

Le 19 mars 1839, le tribunal du Havre, par un jugement longuement et fortement motivé, a donné à la question, la même solution que le tribunal de Rouen; en conséquence, il a reçu les sieurs Jallant et Vieillard, opposans à la contrainte contre eux décernée le 20 juillet 1838, déclaré la contrainte nulle et de nul effet, ordonné la restitution de toutes sommes perçues en vertu de la contrainte et condamné l'administration aux dépens.

Nous rapportons ceux des motifs de ce jugement qui tendent à réfuter les principales objections présentées par l'administration:

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Attendu

que

l'administration est elle-même obligée de reconnaître que la loi de 1817. est étrangère à la navigation

maritime et ne concerne que la navigation fluviale; qu'il importe donc de fixer son attention sur les caractères de ces deux navigations;

Que par navigation fluviale, on entend celle qui s'effectue exclusivement sur les fleuves, rivières et canaux; par navigation maritime, celle qui s'opère en totalité ou en partie sur les eaux de la mer;

Attendu que la distinction entre les deux navigations étant établie afin de soumettre la navigation maritime à des conditions particulières et à une législation spéciale, afin de confier sa surveillance aux deux administrations qui sont chargées de la marine et des douanes, il est bien évident qu'une navigation ne cessera pas d'être maritime, parce que le navire, après avoir traversé la mer, parcourra une partie quelconque des eaux d'un fleuve; qu'en effet, les motifs qui ont porté le législateur à exiger des propriétaires, capitaines et matelots de ces navires, l'accomplissement de certaines obligations, existent même dans ce cas;

Que ce principe est surtout applicable lorsque, comme dans l'espèce, le cours entier de la navigation a lieu dans les limites de la juridiction de la marine et des douanes;

Que, sous ce premier aspect, les voyages de la Normandie et de la Seine étant des voyages maritimes, échappent à la surveillance de l'administration des Contributions indirectes;

Attendu que la navigation maritime se divise en voyage de long cours, navigation du grand cabotage et navigation de petit cabotage;

Attendu que l'ordonnance du 18 octobre 1740 (1) qui se trouve reproduite dans la loi du 3 brumaire an iv, a défini chacune de ces trois divisions de la navigation maritime, et qu'il est hors de doute que d'après les art. 3 et 4 de cette ordonnance, la navigation entre deux ports maritimes de la

(1) Voy. VALIN sur l'ordonnance de la marine, tom. 1er, pag. 379.

ci-devant province de Normandie est nne navigation de petit cabotage;

Attendu que le port du Hâvre est un port maritime; que le port de Rouen mérite la même qualification; que le flot de la mer s'y fait sentir; qu'il est compris dans les limites de l'inscription maritime, et qu'il sert de point d'arrivée et de départ pour des voyages soit de long cours, soit de grand, soit de petit cabotage; que la police de ce port est enfin confiée, en exécution de la loi du 9 août 1791, à un capitaine de port; que la navigation entre le port du Hâvre et celui de Rouen, est donc une navigation maritime de petit cabotage, dont l'inspection ne rentre en aucune manière dans les attributions de l'administration des Contributions indirectes;

Attendu que, pour combattre cette vérité, on argumenterait en vain de l'arrêté du 1er messidor an x1, qui, pour le perception de l'octroi de navigation, a décidé que le bassin de la Seine composerait le premier bassin de navigation intérieure du royaume, et qui a divisé ce bassin en neuf arrondissemens dont le sixième s'étend depuis le Pecq jusqu'au Hâvre, avec Rouen pour chef-lieu; que, sans doute, l'administration des Contributions indirectes ne tirera pas de cet arrêté la conséquence qu'en partant du Havre pour aller à Rouen, ou ne va pas en mer, ou navigue uniquement sur un bassin de navigation intérieure; que, si une telle prétention était élevée, on opposerait avec avantage à l'administration, qu'elle se met en contradiction avec elle-même, puis qu'elle considère le voyage du Hâvre à Honfleur comme une navigation maritime;

Mais attendu qu'une pareille objection est d'ailleurs facile à réfuter; qu'on arrive, en effet, à une conséquence aussi extraordinaire en voulant appliquer une loi spéciale à d'autres objets que ceux qu'elle concerne ; que l'arrêté du 1er messidor an xi n'a pas eu pour but de déterminer quel serait le point de l'embouchure de la Seine où commencerait la mer; qu'il n'a trait qu'à la perception de l'octroi de navigation créé par la loi du 30 floréal an x; que le produit de cet octroi étant

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