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la cour de Paris, en décidant qu'après avoir délaissé aux assureurs du Hâvre pour 126,000 fr. d'objets assurés au prix de facture, on n'a pu délaisser aux assureurs de Paris que le reste des marchandises au prix de l'advenant, s'est trompée en fait et en droit :

1o En fait, disent les demandeurs, car le délaissement a été déclaré à chacun des assureurs, non pour une quotité quelconque, mais pour la totalité des marchandises perdues;

2o En droit, car les assureurs du Havre n'ont pas assuré une quotité de marchandises équivalant à 126,000 fr., et ceux de Paris n'ont pas évalué le surplus.

L'assurance du Havre a porté sur la totalité du chargement, et celle de Paris également sur cette totalité, sauf le règlement du concours ou de la priorité des paiemens, en cas de délaissement par suite de sinistre.

Les assurances du Havre et de Paris n'étaient pas deux assurances distinctes portant sur des marchandises différentes, mais deux assurances simultanées portant sur les mêmes facultés.

Or, la cour de Paris ayant reconnu que l'évaluation des marchandises assurées au moment de la perte, d'après l'advenant du 2 novembre, n'était pas exagérée, elle devait ordonner que les assureurs de Paris paieraient en entier leurs risques, comme ils avaient en entier reçu les primes.

L'hypothèse de sauvetage, d'où l'arrêt induit que l'assuré ne pouvait réclamer de chaque assureur le

paiement de la perte qu'à raison des marchandises dont il était en mesure de lui faire délaissement, n'est pas applicable à l'espèce, puisque le navire, le Grand-Duquesne ayant péri en entier avec son chargement, il n'y a pas eu lieu à délaissement des marchandises sauvées et avariées.

Mal à propos encore, la cour de Paris a-t-elle voulu prendre pour motif de sa décision que l'assurance du Havre avait été faite sans estimation fixe, afin d'établir qu'en réglant les marchandises assu rées au prix de facture, il ne restait pas, d'après cette base, un aliment suffisant pour la totalité de la somme qui faisait l'objet de la seconde assurance.

Cette circonstance ne pouvait profiter aux assureurs de Paris, les conventions concernant les assureurs du Havre, qui étaient des tiers à leur égard, ne pouvaient ni leur nuire, ni leur profiter. (Code civ., 1165.)

Mais l'assurance du Havre eût-elle pu profiter aux assureurs de Paris, l'arrêt attaqué n'en aurait pas moins violé l'article 339 du code de commerce. En effet, l'évaluation de la perte éprouvée ne doit pas être faite seulement d'après les factures; elle doit être basée, en outre, sur le prix d'achat, les droits payés et les frais ordinaires de mise à bord; et encore, ces éléments ne sont pas les seuls que les tribunaux doivent appliquer; enfin, dans l'espèce, l'évaluation des marchandises étant invariable, cette évaluation ne pouvait pas être vraie pour les uns, fausse et exagérée pour les autres; et puisque la Cour, en l'appliquant aux assureurs de Paris

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reconnaissait qu'elle n'était pas exagérée, elle ne pouvait juger différemment à l'égard des assureurs du Hâvre.

Ainsi, en résumé, ajoutent les sieurs Labarraque et Comp., en scindant ce qui est indivisible, en trouvant deux risques distincts et spéciaux là où il n'existait que deux assurances conjointes et simultanées, en appliquant à chacune d'elles des évaluations différentes, en divisant un délaissement qui ne pouvait être séparé, en donnant au délaissement fictif tous les résultats du sauvetage réel, en faisant intervenir dans ces résultats des tiers désintéressés, l'arrêt attaqué est arrivé à donner aux mêmes marchandises deux valeurs différentes, à interpréter le contrat des parties par un autre contrat dont un tiers seul avait pu se prévaloir; à méconnaître l'évaluation consentie librement et sanctionnée par l'art. 339 du code de commerce; enfin, à rendre impossible l'assurance de toutes les pertes et dommages sur un chargement déjà assuré pour une somme égale au simple prix d'achat, sans égard aux augmentations que ce prix avait pu subir par les frais et droits qui avaient grevé la marchandise assurée.

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Les assureurs répondent :

1 C'est à tort qu'on soutient que les assurances du Havre et celles de Paris sont conjointes et indivisibles; ces assurances sont, au contraire, essentiellement distinctes les unes des autres.

En effet, les assurances du Havre étaient antérieures d'une année, environ, à celles de Paris; les

premièrès étaient à prime liée pour l'aller et le retour, tandis que celles de Paris avaient pour objet des marchandises de retour seulement. Le taux des primes stipulées pour les unes différait sensiblement de celui des primes établies pour les autres; les assurés, après avoir fait assurer au Havre leurs marchandises d'aller et de retour pour une valeur fixe et détaillée de 126,000 fr., en évaluant la piastre des factures au change élevé de 5 fr. 40 cent., ne faisaient, évidemment, assurer à Paris 86,000 fr., que par pure précaution et pour le cas éventuel d'un découvert, sans évaluation, de la piastre à tel

ou tel taux.

En outre, une preuve de plus de la distinction à faire entre les deux assurances résulte soit de la disparité des bases d'évaluation adoptées par les premiers et les seconds assureurs par le fait des assurés eux-mêmes, puisque, avec les uns, les assurés se limitaient au prix de facture, et avec les autres, ils stipulaient par un advenant une évaluation conventionnelle; soit de l'intention des parties et du mode d'exécution qui devait s'ensuivre, puisque les assureurs de Paris, postérieurs en date à ceux du Havre, s'engageaient à payer, en cas de sinistre, le découvert qui pourrait exister; d'où il suit que les assurés devaient, d'abord, s'adresser à leurs assureurs du Havre, en leur faisant délaissement d'une quotité de marchandises correspondante à celle assurée; puis, ensuite, à leurs assureurs de Paris en leur justifiant d'un découvert et en leur faisant délaissement d'une partie proportionnelle du chargement.

20 Les évaluations de l'advenant du 2 novembre ne devaient s'appliquer qu'aux assureurs de Paris, car chaque compagnie d'assurances ne pouvait évidemment, être soumise qu'à exécuter le contrat consenti par elle. La cour de Paris, en reconnaissant la validité de l'évaluation adoptée dans chacune des deux assurances, a donc, avec raison, ordonné l'exécution de chaque contrat, d'après ses bases spéciales.

3o Enfin, les assureurs de Paris ne peuvent être astreints à payer, au taux de l'advenant, que le découvert résultant pour les assurés de l'insuffisance des sommes couvertes par les assureurs du Hâvre, sur la totalité du chargement évalué au prix de facture, et cela parce que l'exécution de l'assurance, à l'égard des assureurs de Paris, ne peut être admise que proportionnellement à la partie de marchandises qui pouvait lui être délaissée.

Vainement les assurés prétendent-ils que les principes du délaissement sont inapplicables à l'espèce, parce qu'il n'y a pas eu de sauvetage.

Sans doute, alors, le droit que confère le délaissement est à peu près stérile, mais il ne faut pas confondre ce droit avec l'éventualité du recouvrement des objets délaissés; le recouvrement ne dût-il jamais s'opérer, le droit n'en existe pas moins.

Vainement, encore, veut-on faire considérer les assureurs du Havre comme des tiers, à l'égard des assureurs de Paris, et soutenir que ceux-ci ne peuvent se prévaloir de l'exécution donnée à la police du Havre.

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