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1715. se nommoit Philippe comme son père. La nature avoit tout fait pour lui; avec une figure agréable, elle lui donna des dispositions. à tout, et la plus heureuse facilité. Il fut brave, généreux et affable. D'abord il eut un précepteur du plus grand mérite; mais son malheur et celui de la France voulurent que son éducation s'achevât sous la direction de Dubois, l'homme le plus corrompu, peutêtre, de son siècle. Il gâta le cœur de son élève. Louis XIV, qui connoissoit parfaitement son neveu, le caractérisa très-bien en l'appelant un fanfaron de crimes. Sa mère l'apprécia aussi on ne peut mieux, lorsqu'elle dit « qu'il avoit tous les talens, excepté celui » d'en faire un bon usage; » et l'une de ses maîtresses, jugeant très-mal à propos de tous les princes par le régent, osa lui dire, en plein souper, « que Dieu, après avoir créé l'homme,

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prit un reste de boue, dont il forma l'âme » des princes et des laquais. » Ce mot, vrai ou faux (1), dit l'auteur des Mémoires se

(1) Vrai ou faux montre dans quel esprit de causticité sont écrits ces Mémoires de Duclos, qui passe néanmoins pour un historien véridique, autant que la manie de fronder permet de l'être. On n'en peut donc faire usage qu'avec la plus grande circonspection; et il en faut encore

crets sur les règnés de Louis XIV et de 1715. Louis XV, loin de fàcher le régént, le fit beaucoup rire; il lui parut plaisant. Dans un moment où le bruit s'étoit répandu que Philippe V, désespérant de sa fortune, devoit quitter l'Espagne pour régner sur les possessions qu'elle avoit dans l'Inde, des Espagnols jetèrent les yeux sur le duc d'Orléans pour le remplacer. Il se crut en droit de se prêter ouvertement à des intentions qui lui parurent légitimes et louables. La méchanceté supposa qu'il ourdissoit des complots pour détrôner Philippe. On fut sur le point de l'arrêter en France. Echappé aux suites de cette calomnie, il fut en proie à une autre bien plus cruelle, et qui lui fit courir de nouveaux dangers. La duchesse de Bourgogne mourut le 12 février 1712; le duc, son époux, six jours après (le 18), et leur fils, le duc de Bretagne, le 8 mars suivant. On ne regarda point comme naturelles ces trois morts arrivées en moins d'un mois. Les soupçons d'empoisonnement furent presque universels, et tombèrent sur

bien plus à l'égard de ceux de Saint-Simon, qui sont une satire presque perpétuelle. On a dit de ce duc, qu'il n'estimoit dans l'Etat que la noblesse; dans la noblesse, que les pairs, et parmi les pairs, que lui.

1715 le duc d'Orléans On ne voulut pas voir qu'il n'avoit aucun intérêt du moins à la mort de la duchesse de Bourgogne, et que celle du duc et de son fils le duc de Bretagne eût été un crime inutile, à moins qu'elle ne fût suivie de celle du nouveau dauphin (depuis Louis XV), et du duc de Berri qui vécut encore plus de deux ans, et dont le décès ne paroît pas avoir renouvelé les soupçons conçus en 1712. Le duc d'Orléans auroit eu de plus à redouter la concurrence de Philippe V, comme nous le verrons dans la suite. Le public ne s'arrêta point à ces considérations, et la rumeur fut si générale, que le duc, désespéré, se jeta aux genoux du roi pour le supplier de permettre qu'il se constituât prisonnier jusqu'à ce que la calomnie fût prouvée. Le roi rejeta sagement ce parti conseillé par le désespoir. Les mœurs du duc, dit l'historien de ce prince, et diverses circonstances, sembloient donner quelque poids aux rumeurs publiques; mais la vie de Louis XV en a démontré complétement la fausscté.

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Le lendemain de la mort de Louis XIV, å dix heures du matin, le duc d'Orléans se rendit au palais; le duc de Guiche-Grammont, qui lui étoit dévoué, en avoit fait occuper les avenues par les Gardes-Françoises dont il

étoit colonel, et des officiers, avec quelques 1715. soldats d'élite, tous en habits bourgeois, se répandirent dans la salle. Philippe prétendit que le roi lui avoit dit en mourant : « J'ai fait >> les dispositions les plus sages; mais comme » on ne sauroit tout prévoir, s'il y a quelque >> clause qui ne soit pas bien, on la changera. » Ce sont, ajouta-t-il, ses propres termes. » Ils doivent paroître bien extraordinaires de la part d'un monarque aussi absolu. « Je suis

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donc persuadé que suivant les lois du » royaume, suivant les exemples de ce qui » s'est fait en pareilles conjonctures, et la » destination même du feu roi, la régence m'appartient; mais je ne serai pas satisfait, » si à tant de titres qui se réunissent en ma faveur, vous ne joigniez vos suffrages et >> votre approbation. » Il promit d'avoir égard aux conseils et aux sages remontrances du parlement. C'étoit l'attaquer par son côté foible. Il demanda qu'après la lecture du testament, on délibérât d'abord sur le droit que lui donnoient sa naissance et les lois du royaume ; ensuite sur celui que cet acte y pouvoit ajouter. Sa contenance ne parut pas d'abord trèsassurée; il se remit bientôt en voyant la disposition des esprits en sa faveur. Le testament fut lu avec rapidité, d'une voix trop basse

1715. pour être entendu. Cet acte ne nommoit point de régent; il établissoit un conseil de régence, dont le duc d'Orléans devoit être le chef; la personne du roi étoit mise sous la tutelle et la garde de ce conseil, et la surintendance de son éducation, confiée au duc du Maine, avec le commandement des troupes de la maison du roi. Après la lecture de ce testament, on opina dans la forme indiquée par Philippe ; on décida que la régence lui appartenoit avec toutes les prérogatives qui naturellement y sont attachées. C'étoit annuler la principale disposition du testament. Personne, pas même le duc du Maine, n'osa le soutenir. Après ce premier succès, Philippe leva la séance; elle fut reprise le soir; alors ce prince parla en maître, et fit décider tout ce qu'il voulut. Le duc du Maine fut exclu de la fonction de chef du conseil de régence; elle fut donnée au duc de Bourbon. Il étoit juste, à la vérité, qu'un prince du sang fût préféré à un fils naturel. On laissa cependant au duc du Maine la surintendance de l'éducation du roi, mais non le commandement des troupes de sa maison; ce commandement eût, en quelque sorte, élevé autel contre autel. L'autorité entière sur ces troupes, même sur celles qui gardoient le roi, de

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