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L'harmonie la plus complète finit par s'établir, dans l'intérêt de la province, entre l'administration royale et l'assemblée des communautés. Rien n'est plus significatif, à cet égard, que la justice publiquement rendue à l'Intendant, par l'auteur du Traité de l'administration provençale, Coriolis, conseiller à la Cour des comptes, aides et finances d'Aix. Il disait en 1786 « Félicitons-nous, dans << ce moment, de n'avoir à présenter à nos lecteurs que les << vertus d'un Commissaire départi qui depuis plusieurs << années n'est heureux que de notre bonheur et ne respire <«< que la conservation pure et intacte d'une Constitution << dont il connaît tout le prix, parce qu'il sait quels << sacrifices elle nous a permis de faire pour le bien de << l'État et la gloire du souverain (1). » Cet éloge s'adressait à M. des Galois de La Tour, qui fut intendant depuis 1775 jusqu'à 1789, et qui, premier président du Parlement d'Aix, témoignait, par ses liens avec la magistrature et la haute administration, de l'union qui existait alors entre les diverses institutions de la Provence.

L'ensemble de l'administration du pays, depuis Richelieu jusqu'à l'époque voisine de la Révolution où les anciens États furent rétablis, comprenait les institutions et les autorités suivantes, destinées à garantir les intérêts de la province et ceux du pouvoir royal:

La première institution était l'assemblée générale des communautés qui seule exerçait, en l'absence des États et par substitution, le droit de voter les impôts, d'accepter ou de refuser les lois dites Bursales, et de prescrire la répar

(1) Coriolis, t. I, p. 16,

tition des charges publiques, d'après le cadastre de la province. Le droit de voter les impôts avait été conféré aux anciens États, par un statut du roi René, de 1347, et confirmé par le traité de réunion de la province au royaume, de l'année 1484; il avait été, en outre, confirmé en faveur de l'assemblée générale des communautés par un édit d'août 1661 et des lettres-patentes du 6 avril 1772 (1). Le droit d'abonnement de la Provence, pour les impôts nouveaux et pour les charges résultant de la création et du rachat de nouveaux offices ou de droits sur certains produits du pays, était considéré, du reste, comme une faculté imprescriptible et de droit public (2).

La seconde institution était la Chambre ou Cour des comptes, aides et finances, mentionnée dans le traité de 4484, et dont l'origine remontait aux Maîtres rationaux, créés en 1297 par Charles II. Des édits confirmatifs, de 1535 et 14 juin 1542, avaient ordonné que le Trésorier général des États rendrait compte devant les officiers de la chambre d'Aix, en présence d'un député du clergé, d'un député de la noblesse et de deux députés du Tiers-État. Auprès de la Chambre des comptes siégeait un ministère public (procureur général et avocat général), chargé de veiller à l'accomplissement des devoirs d'une comptabilité irréprochable. En 1770, le ministère public établit une règle essentielle, qu'avait oubliée, dans notre siècle, la loi de 1807 sur la Cour des comptes, mais que la jurisprudence de cette Cour a rétablie, savoir que les mandats des

(1) Coriolis, t. I, p. 73. (2) Idem, t. I, p. 141.

ordonnateurs et les quittances des parties prenantes ne dispensaient pas des pièces justificatives de la dépense. Les procureurs du pays avaient voulu, comme ordonnateurs, que leurs mandements et les quittances produites tinssent lieu de tout autre justification; l'avocat général d'Albertas les rappela aux règles d'une sévère comptabilité : la cour statua en vue du présent et de l'avenir (1).

A la tête du pays, et pour son administration active et militaire au nom du roi, était un gouverneur ou son lieutenant général. Il était assisté d'un intendant, dont les principales fonctions en Provence, comme dans les autres pays d'Etats, devaient être de seconder le gouverneur dans l'exercice de ses hautes attributions. L'intendant avait, de plus, une action directe d'administration sur la partie de la Provence, appelée les terres adjacentes, dont nous parlerons plus tard. Quant à la province en général, il n'avait, en matière de finances, que des pouvoirs spéciaux et limités. Il ne pouvait connaître des impositions ordinaires; et seulement, à l'égard de la Capitation, créée par Louis XIV en 4695, il concourait avec les procureurs du pays à l'exercice du droit de répartition. Mais son pouvoir spécial, sur un autre point, avait une sérieuse importance malgré la grande latitude laissée à l'administration provinciale, ce n'était point l'Assemblée de la province, c'était le Conseil du roi qui réglait ce qu'il était permis aux communautés de dépenser annuellement. Leur budget, si l'on peut employer cette expression, était soumis à l'approbation royale, et l'intendant avait le droit d'inspection

(1) Coriolis, t. I, voir p. 76, 145, 148, 159, 463 et 467.

sur les communautés pour les dépenses extraordinaires, non comprises dans l'arrêt du conseil. C'est là un trait remarquable de l'administration de la Provence: elle trouvait dans le pouvoir royal, représenté par le conseil d'État et par l'intendant, une tutelle administrative qui devait concilier les dépenses des communes avec l'intérêt général et la prévision des besoins de l'État.

Voilà donc les deux Ordres d'institutions et d'autorités préposées à la direction générale du pays.

Mais il existait, en outre, des fonctions subordonnées en titre, et très-efficaces en réalité.

L'assemblée générale des communautés avait ses procureurs-nés, chargés de faire exécuter les délibérations des assemblées soit générales, soit particulières. Rien ne se faisait sans eux et que par eux : c'était l'autorité exécutive, qui des anciens États provinciaux avait passé à l'organisation nouvelle. Elle était exercée par les CONSULS D'Aix en vertu d'un édit de François Ier, de septembre 1 535. L'édit rappelle à cet égard l'exemple des États du Languedoc et porte « Pour éviter les frais et dépens, et soulager nos << sujets, avons ordonné et ordonnons que doresnavant il << n'y aura pas autres procureurs et syndics pour le pays << (de Provence) que ceux qui ont accoutumé d'être d'an<< cienneté en notre ville d'Aix, lesquels feront leur rapport « auxdits États, qu'ils feront assembler... ainsi qu'il est << accoutumé être fait en notre pays de Languedoc et autres << pays où sont assemblés États. »

Les consuls et l'assesseur d'Aix étaient donc les procureurs-nés ou légitimes du pays de Provence; c'est en cette qualité qu'Etienne Portalis introduisit de sages ré

formes, et rendit à l'administration de son pays des services, dont le souvenir a été pieusement recueilli dans les Mémoires de son fils, notre éminent et regretté confrère (1). Il y avait deux consuls et un assesseur. Celuici était placé immédiatement après le premier consul. Les États leur allouaient un traitement, à raison de la permanence des fonctions (2).

Au XVIIe siècle, la Provence, comme le Languedoc, avait repoussé avec énergie l'institution des Élus royaux imposée d'abord par Richelieu. Elle s'en était même rachetée définitivement, en 1632, pour une somme de deux millions; et en conservant ainsi le droit de voter, de répartir et de lever ses impôts, elle avait maintenu l'usage du cadastre qui, par l'exactitude des détails et la diversité des éléments, était supérieur, en Provence, au cadastre ou compoix du Languedoc.

Les territoires de chaque communauté du pays étaient estimés par feux. On entendait par feu, non comme en Bretagne une certaine étendue de terrain, mais une valeur de 50,000 livres en fonds de terre. La valeur était estimée en capital, et non en revenus. L'évaluation des feux du territoire s'appelait affouagement général. L'impôt était réel. Toutes les terres roturières qui de droit étaient soumises à l'impôt ordinaire, désigné en Provence comme en

(1) Mémoires de M. le comte Portalis, dont plusieurs extraits se trouvent dans le Compte-Rendu de notre Académie, année 1859.

(2) Coriolis, t. I, p. 32. Traitement de 3,800 livres au premier consul, 2,500 liv. aux deux autres, avec remises jusqu'à 2,400 liv.

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