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Ainsi «<le courage seul ne peut rien sans les connaissances qui supposent la civilisation (1) c'est-à-dire qu'abandonné à lui-même, au sein d'un peuple apathique, l'art de la guerre restera stationnaire, comme ce peuple, comme sa civilisation. Il restera même stationnaire au milieu d'un peuple pauvre ou ne sachant pas suivre le mouvement général d'augmentation des richesses, car ses procédés nouveaux sont devenus excessivement coûteux, et les négliger c'est se condamner à l'infériorité (2).

La corrélation, le besoin se rencontrent encore en sens inverse. La civilisation ne pourrait s'étendre, ni même vivre, si elle se trouvait constamment sous la compression de la crainte, si une invasion de barbares la menaçait : qui lui donne, qui lui garantit la sécurité dont elle a besoin? l'art militaire, l'armée qui le pratique (3).

Plus l'art militaire devient parfait, plus il sert donc la cause de la civilisation. La perfection de cet art sert encore à un point de vue tout différent, en écartant les guerres, en les rendant de plus en plus impossibles. Cette idée se lit fréquemment chez les auteurs militaires. « Plus l'art mili

l'épée n'a été remise en ses mains, avec le droit terrible de la guerre, que pour la défense de la société, et que l'armée n'a d'autre raison d'être que de servir de boulevard inexpugnable à la civilisation qui travaille derrière elle » : Le Gouvernement de l'Algérie, dans la Revue européenne du 15 mai 1859, p. 817.

(1) Discours latin sur l'art militaire, traduction Creyssent, 1779, p. 261.

(2) Cette observation appartient à J.-B. Say. Voyez le ch. vii du livre II de son Traité d'économie politique.

(3) Les militaires ne sont donc pas improductifs : l'Économie politique le reconnaît.

taire, dit l'un, est parfait en théorie et dans les moyens physiques qu'il emploię, et moins son application dans la pratique a d'extension : cela ressemble à une contradiction et cependant ce n'en est pas une (1). » L'autre est plus explicite, écrivant : « Celui qui inventerait un moyen sûr et inévitable de détruire tout d'un coup, ou toute une armée, ou toute une province, rendrait le plus grand service à l'humanité. La guerre cesserait tout à fait (2). »

(1) Laverne, L'art mil. chez les nations les plus célèbres, 1805, p. 304.

(2) Mauvillon, Influence de la poudre à canon, 1782, p. 170. Le vaisseau que construisent aujourd'hui les Anglais (voir le Constitutionnel du 6 juillet 1859) approchera beaucoup pour la guerre maritime du moyen sûr indiqué et désiré par Mauvillon. Depuis, la race britannique a construit un canon monstre pour répondre aux menaces de nos canons rayés : lisez la page 246 de l'Illustration du 1er octobre 1859.

E. DE LA BARRE-DUPARCO.

FAIT A L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES

SUR UNE MISSION RELATIVE A LA

CONDITION MORALE, INTELLECTUELLE ET MATÉRIELLE

DES

OUVRIERS QUI VIVENT DE L'INDUSTRIE DU COTON (1).

LA FRANCE.

Le mouvement qui emporte l'industrie du coton est si vif et si soutenu, qu'à quelque moment qu'on en fixe les termes, on est certain de les voir dépassés. Pour ne pas fatiguer l'attention de l'Académie, je m'en tiendrai aux données les plus récentes et renverrai pour les autres à deux documents auxquels nos savants et honorables confrères, MM. Moreau de Jonnès et Gréterin, ont donné, l'un la garantie de son nom, l'autre l'autorité de son concours. Le premier de ces documents est la Statistique de l'industrie de la France; le second est la série des Tableaux généraux que publie chaque année l'administration des douanes. On pourra y suivre, période par période, la marche des importations et des exportations, avec le détail des destinations

(1) V. plus haut, p. 87.

et des provenances. J'arrive sur le champ à la situation présente et à un exercice qui n'étant pas clos encore, ne saurait être apprécié qu'à l'aide de renseignements particuliers. Cette recherche a d'autant plus d'intérêt que le régime des matières brutes, destinées aux manufactures, a subi, il y a quelques mois, une modification fondamentale. Les droits qui les frappaient, ont été complètement abolis dans presque tous les cas et réduits à des proportions insignifiantes là où ils subsistent par exception. Il est donc curieux de s'assurer, ne fût-ce que par approximation, des premiers effets produits par cette révolution fiscale. On a pu, avant qu'elle fût accomplie, en discuter le mérite, l'opportunité et l'étendue; il ne reste plus aujourd'hui qu'à en suivre la marche et à en juger les conséquences.

Un document qui nous arrive des États-Unis porte à 589,587 balles le chiffré des cotons expédiés en France du 1er septembre 1859 au 31 août 1860. C'est la période annuelle qu'embrassent les récoltes; la période précédente se soldait par 438,894 balles en moins. En évaluant chacune de ces balles à un poids net et moyen de 160 kilogrammes, on obtient pour 1859-4860 un total de 94,333,920 kilogramme. Tel est, dans le cours de douze mois, l'importation de la matière pour une seule provenance. Il reste à y ajouter celles des autres pays de production, l'Inde, le Brésil, le Levant, le nord de l'Afrique. Un calcul établi sur un certain nombre d'années élève ces importations réunies à un cinquième environ de celle de l'Amérique du Nord. Il y aurait donc à ajouter aux 94,333,920 kilogrammes de coton américain 19,066,785 kilogrammes de diverses origines, ce qui aboutirait pour l'ensemble à 114,400,705 kilo

grammes. Comparée à celles des exercices antérieurs, cette importation offrirait un excédant de 15 à 22 millions de kilogrammes. Je ne donne ces calculs que pour ce qu'ils sont, une simple évaluation, et j'ajoute que, portant sur une autre période que celle de nos états officiels, ils ne doivent être rapprochés que sous cette réserve. Mais je suis convaincu qu'à une petite différence près, ce que j'établis ici, par voie de conjecture, deviendra une réalité quand les tableaux complets de l'exercice 1860 auront été publiés par l'administration; un relevé des mois déjà connus me confirme dans cette opinion. D'ailleurs l'excédant de 138,891 balles fourni par l'Amérique seule suffit comme élément d'une augmentation de plus de 22 millions de kilogrammes, et il est à croire que les autres pays de provenance ne seront pas restés en arrière de ce mouvement. Ainsi, en chiffres ronds, la France aurait importé 445 millions de kilogrammes de coton dans le cours de douze mois. Pour 36 millions d'habitant, c'est au-delà de 3 kilogrammes par tête. L'Angleterre, il est vrai, est bien en avant de cette proportion. Si on répartit sur ses 29 millions d'habitants, les 443 millions de kilogrammes accusés par les délégués des chambres de commerce de Manchester et de Glascow, on trouve par tête 15 kilogrammes et une fraction. Mais cet écart de 4 à 4, s'il est réel pour l'activité relative, ne l'est pas pour la consommation respective des deux pays. Il faut, dans la destination des produits, distinguer ceux qui se consomment sur place de ceux qui vont chercher des clients au dehors. C'est sur la première de ces catégories que le rapprochement, pour être exact, doit uniquement porter. En suivant cette marche, le résultat que j'ai obtenu aboutirait à une

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