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Chevalier vous a fait connaître. Les établissements d'aliénés ne peuvent se passer de certains moyens, de certains lieux de répression, ou au moins de surveillance plus étroite, nécessaires nonseulement pour la sécurité des gens de service ou des chefs qui les dirigent, mais, ce qui est plus important encore, pour les aliénés eux-mêmes, pour leur sûreté et leur guérison. Ici la science et la pratique d'un paysan Belge, ou autre, seraient insuffisantes. Il y faut l'œil et la direction du médecin, et cette condition ne manque pas plus à Gheel qu'ailleurs.

Au reste, dans la partie même la plus nécessairement répressive des établissements d'aliénés, la réforme opérée par Pinel a porté ses fruits. On ne s'imaginerait pas, si on n'en avait été témoin, le calme qui y règne et la douceur dont on peut presque toujours y user. Voici, à cet égard, un fait qui m'est personnel et que je demande à l'Académie la permission de lui citer. Il y a une trentaine d'années, j'avais l'honneur de faire voir dans tous ses détails à MTM la maréchale Bertrand et à quelques personnes de sa famille, la division des aliénés de l'hospice de Bicêtre. Après une longue visite:

<< Monsieur Lélut, me dit Me Bertrand, vous venez de me faire voir les aliénés calmes ou convalescents de votre hospice; montrez-moi, s'il vous plaît, maintenant, les vrais aliénés, les aliénés violents et qu'il faut maintenir. Je suis assez forte pour en supporter la vue. Madame la maréchale, vous les avez vus; c'est par eux que nous venons de terminer notre promenade. »>

Sur une observation de M. Dunoyer, M. Lélut ajoute ce qui suit:

M. LÉLUT : — Il n'y a pas, il faut bien se garder de le croire, en des matières aussi difficiles, une simple direction administrative. Il y a, avant tout, une direction médicale, qui n'est complète et complètement efficace qu'à la condition d'être aussi philosophique, ou au moins psychologique. Or, à qui persuadera-t-on qu'un paysan Belge, malgré sa bonne volonté, puisse être un tel directeur? Comment lui serait-il possible, dans une foule de cas, de

reconnaître ou de prévoir, à certains signes, appréciables pour l'oeil seul du médecin, que des modifications graves et souvent dangereuses, vont avoir lieu dans l'état de l'aliéné? Comment pourrait-il diriger, modifier, en conséquence, les soins, plus ou moins désintéressés qu'il lui donne? Disons-le nettement, le paysan Belge, dans la plupart des circonstances, ne fait pas autre chose que s'habituer aux aliénés qu'on lui donne en garde, en famille, et pour dire le mot, en pension, en pension payée, et les habituer à lui. Ces aliénés passent ainsi peu à peu à l'état chronique, deviennent doux, maniables; ils travaillent quand leur état le leur permet, incapables, du reste, de sortir de Gheel, de rentrer dans la vraie société, la société raisonnable et militante; et malheureusement, la guérison des aliénés est un peu partout cela.

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M. Ch. GIRAUD: Les faits signalés par M. Michel Chevalier sont moins particuliers à la Belgique qu'il ne semble le croire. En France aussi, il y a tendance à convertir les établissements consacrés aux aliénés en colonies agricoles. A Dijon, on voit des aliénés qui vivent au milieu des champs, et qui sont répartis sur une très-grande surface. De même à Châlons-sur-Marne, à Auxerre, à Clermont. Non-seulement dans cette condition nouvelle, les établissements d'aliénés se suffisent à eux-mêmes, mais le travail y donne encore un excédant de recette sur la dépense. De plus, les aliénés ne sont pas confiés comme en Belgique à de bons paysans, mais à d'excellents médecins, à des hommes très-distingués qui se consacrent avec un admirable dévouement aux soins que demande le traitement des maladies mentales. Tout le progrès qu'on peut constater aujourd'hui consiste en ce que depuis la fin du siècle dernier, la folie a été traitée comme les autres maladies dont l'homme est affligé ; elle est devenue l'objet d'une médecine régulière. Quant aux différents établissements qui existent en France on peut affirmer qu'ils ne laissent rien à désirer, et que, sous ce rapport, nous n'avons rien à envier à l'étranger. Seulement, je n'hésite pas à reconnaître que l'asile de Gheel étant plus étendu que beaucoup de nos établissements, il y a peut-être là plus de chances de guérison. Nous

avons encore en France, en dehors des établissements publics, des maisons de santé particulières dont l'organisation et la tenue sont dignes des plus grands éloges.

M. VILLERMÉ dit qu'il a vu en France quelque chose d'analogue aux faits signalés par M. Michel Chevalier. Il y avait à Sainte-Marieaux-Mines, une famille qui recevait jdes aliénés et des idiots, dont plusieurs étaient des crétins. Les uns et les autres travaillaient autant que possible avec la famille dans les champs; elle les soignait non-seulement avec douceur, mais avec une remarquable intelligence. Cette industrie avait procuré à la famille dont je parle une certaine aisance; peu à peu cependant elle s'est dispersée, et je ne crois pas qu'il reste de traces aujourd'hui, à Sainte-Marie-auxMines, de la tentative faite pour établir ce mode particulier de traitement des aliénés.

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RAPPORT VERBAL

SUR UN OUVRAGE DE M. NOURRISSON

INTITULÉ :

HISTOIRE ET PHILOSOPHIE

ÉTUDES ACCOMPAGNÉES DE PIÈCES INÉDITES.

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M. Adolphe Garnier : Messieurs, j'ai l'honneur de présenter à l'Académie un ouvrage d'un auteur qui vous est bien connu, de M. Nourrisson, que vous avez couronné dans le concours de Leibniz et dont vous avez entendu récemment une lecture très-intéressante.

L'ouvrage se divise en deux parties: la seconde contient des discours qui ont été prononcés, dans des solennités universitaires, sur les sujets les plus élevés de la philosophie : la règle, la réflexion, l'âme, la vie future. Ces sujets y sont traités dans un style excellent et selon les lois d'une rigoureuse méthode.

La première partie, la plus longue et la plus importante, est un recueil d'articles de critique philosophique précédemment publiés dans des revues. Les trois principaux articles sont une visite aux Rochers de MTM de Sévigné, une visite aux Charmettes de JeanJacques Rousseau et un travail biographique et philosophique sur Bossuet.

L'auteur fait la description des Rochers; il recherche toutes les lettres qui ont été écrites de cette résidence et qui y sont relatives, et il recompose ainsi la vie de la charmante marquise dans cette demeure de prédilection.

Quant aux Charmettes, l'auteur n'est nullement tenté d'y placer une idylle. Jean-Jacques n'était pas un innocent; Mme de Warens encore moins une innocente. M. Nourrisson nous représente les

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