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leurs idées; mais ce que je vois de particulièrement remarquable ici, c'est que l'intérêt à défaut du devoir, conseille l'instruction des classes ouvrières. A mesure qu'elles deviennent plus intelligentes, plus aptes à saisir ce qu'on leur montre, elles appliquent à l'exploitation du capital une activité plus efficace; elles savent comprendre et accepter le progrès; la routine n'oppose plus à la hardiesse des entreprises l'obstacle de son incrédulité ou de son découragement; l'ouvrier lui-même entre pour quelque chose dans les perfectionnements que la science propose. La communication du capital intellectuel est de la part de la société une avance placée à gros intérêts; elle lui est rendue au centuple. Il y a une communication intéressée du capital moral, comme du capital intellectuel et du capital physique.

Il est trop évident que la diffusion des notions morales est la meilleure et la plus sûre garantie de l'ordre, de la justice et du droit; il est trop évident que c'est là une condition à la fois primordiale et permanente pour toute société; l'intérêt bien entendu suffit pour conseiller aux nations un enseignement pratique et continu des idées morales, telles par exemple que la religion les transmet ct les appuie. Indépendamment de ces motifs généraux, le progrès économique fait entrer la bonne volonté et le sen timent du devoir pour une part plus grande dans le travail. Je prendrai un exemple pour m'expliquer clairement. Depuis l'antiquité la plus reculée jusqu'au siècle dernier, un grand nombre de navires marchaient à la rame; on enchaînait à la chiourme, d'abord les esclaves publics, puis les prisonniers de guerre, enfin les criminels. La discipline de cette machine vivante était inexorable, et il n'était pas

rare de voir le gardien chargé d'exciter leurs efforts et d'entretenir leur vitesse, rompre, d'un coup de son terrible bâton, le bras ou le poignet d'un rameur trop languissant. Aujourd'hui la machine à vapeur remplace ce moyen de locomotion si imparfait, si lent, si cruel; dans la cale du navire, le mécanicien prête l'oreille au commandement du capitaine, et, la main appuyée sur la barre de fer qui déchaînera le monstre, il n'attend qu'une parole; le navire s'ébranle : voilà la vie d'un millier de personnes à la merci de sa vigilance et de sa bonne volonté; aucune puissance humaine, aucune contrainte extérieure, aucune surveillance qui puisse remplacer chez cet homme le sentiment du devoir; il faut qu'il puise en lui-même les motifs de son attention, et que le sentiment de sa responsabilité garantisse l'accomplissement de ce qu'il doit faire. A mesure que la coopération demandée à l'ouvrier devient plus délicate et plus efficace, on est obligé de compter beaucoup sur ses vertus morales, comme tout à l'heure sur son développement intellectuel. L'élévation de l'âme est, si l'on veut me permettre de le dire, une qualité économique et productive, comme les connaissances acquises et l'ouverture de l'esprit.

On pourrait multiplier les exemples. En effet, à mesure que la part de fatigue et de sueur dans le travail va en diminuant, par une juste compensation la part de l'intelligence et de la bonne volonté va en augmentant dans une proportion exacte. L'intérêt, à défaut de la charité, commande et entraîne donc l'éducation comme l'instruction du peuple, c'est-à-dire la communication du capital intellectuel et moral.

Il ne faut donc plus que l'homme réduit à lui-même, au milieu d'une société riche et pourvue, se regarde comme

déshérité et comme frappé par le fait même de sa naissance; il ne faut point qu'il s'irrite contre la société et qu'il lui adresse des reproches inconsidérés ou coupables. Le capital est mis à sa disposition sous toutes ses formes et par toutes les voies; la charité l'en pourvoit par un sacrifice volontaire ou forcé; la société l'appelle à jouir de la plus grande, de la meilleure partie des avantages physiques, intellectuels et moraux dont elle jouit elle-même. C'est pour lui comme pour tous qu'elle a dompté les rébellions de la nature, popularisé les conquêtes de la science, raffermi les consciences dans le devoir par l'obligation légale de respecter les droits. Enfin, la constitution du capital est telle, telles sont les conditions de sa mise en valeur, de son accroissement, ou même de sa conservation, que le possesseur est obligé de le remettre en d'autres mains, amené à multiplier le nombre de ses auxiliaires en raison de sa richesse, à élever leur salaire en raison de la valeur des instruments qu'il leur confie ou de la délicatesse du travail qu'il leur demande. L'intérêt même de la production lui conseille de répandre autour de lui l'enseignement des idées et l'influence du bon exemple; il importe à sa prospérité personnelle que l'instruction cesse d'être un privilége et que l'éducation relève la dignité humaine; le développement des intelligences et la délicatesse des consciences le servent mieux que la force des bras mêmes dans un travail dont le dernier effet est tout matériel.

Il est donc établi que le capital est à la disposition de celui qui ne le possède pas.

Antonin RONDELET.

(La fin à la prochaine livraison.)

DES

ÉCRIVAINS HISTORIQUES

RELATIFS A

L'INDE MODERNE"

Depuis un siècle, l'histoire de l'Inde a pris un immense intérêt aux yeux des Européens. Une compagnie de marchands a profité de l'anarchie dans laquelle est tombé l'empire du grand Mogol. Ses agents, sans la consulter, l'ont rendue successivement fermière, vice-reine et reine, au Bengale, et de proche en proche dans tout l'Hindostan.

Des écrivains nombreux et très- divers ont présenté le récit des révolutions modernes de l'Inde. Ils ont saisi plus ou moins habilement les rapports nouveaux créés entre le commerce et la politique de cette partie du monde.

Quelques-uns, comme Elphinstone, Munro, Malcolm, Wellesley, Charles Napier, ont eu le précieux avantage de parler des événements auxquels ils avaient pris une part puissante.

Quelques autres ont écrit, comme nous, sans avoir vu l'Orient désavantage infini.

(1) La communication faite par M. le baron Charles Dupin est extraite du tome III de son grand ouvrage sur le développement des forces productives des différentes nations du monde.

L'HISTORIEN JAMES MILL.

Parmi ces derniers, nous plaçons au premier rang James Mill, que je crois pouvoir appeler l'écrivain le plus laborieux et le plus honnête des trois Royaumes britanniques. Son ouvrage, en six volumes, est une vaste composition, qui suppose des recherches infinies. L'auteur ne se montre pas uniquement inspiré par l'amour de son pays et de sa gloire. Son premier amour est pour la vérité. Il a le courage de la dire même quand elle diminue de quelque chose l'admiration obtenue par ses concitoyens. Il n'a pas seulement l'amour des vainqueurs; il a la sympathie noble et touchante qui s'attache aux vaincus, aux faibles, aux malheureux, aux victimes. Selon quelques juges difficiles, il ne cherche point assez à plaire. Qu'il en soit ainsi pour des lecteurs superficiels et sans entrailles, cela se peut; mais aux yeux des amis sérieux du genre humain, son livre sera toujours d'un puissant intérêt et d'un profond enseignement.

TRAVAUX HISTORIQUES DE MACAULAY.

Un écrivain des plus récents et des plus brillants, s'est efforcé de réformer les jugements de l'histoire indienne moderne, sur des événements et des hommes importants. Il ne s'est pas occupé des temps pendant lesquels il a résidé dans l'Hindostan; mais, bien qu'il ait vu l'Orient à des époques postérieures aux faits qu'il a jugés, il n'en a pas moins tiré le parti le plus heureux de son voyage. Il l'a mis à profit pour thésauriser des couleurs aussi brillantes que la lumière

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