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PRÉSIDENT DE L'ACADÉMIE,

PRONONCÉ AUX FUNÉRAILLES

DE M. LAFERRIÈRE,

Le samedi 16 février 1861.

MESSIEURS,

Il y a trois jours à peine, quelques amis consternés suivaient le convoi funèbre d'une jeune fille de vingt ans, subitement enlevée à l'affection de M. Laferrière; et aujourd'hui nous venons déposer dans la même tombe, à côté de cette fille chérie, la dépouille mortelle de ce père malheureux, frappé, comme d'un coup de foudre, par la perte inattendue de son enfant, et mort, à trois jours de distance, de la douleur, de la mort de sa fille. La même semaine les a séparés dans la vie et les a réunis dans le repos éternel.

Il restait cependant à M. Laferrière des liens puissants qui le rattachaient à ce monde. Il était chrétien; une foi sincère et toujours avouée l'invitait à la résignation. Il lui restait, pour soulager son cœur brisé, deux fils. les plus parfaits modèles des meilleurs fils; il lui restait une épouse qu'il adorait et qui méritait de l'être. Mais, dans les plus fortes âmes comme dans les plus pieuses, s'il n'est pas de limite au courage pour affronter la douleur, il est une limite à la force pour en supporter le poids, et les natures les plus affectueuses y sont le plus facilement accablées.

Doué d'une sensibilité délicate et vive, M. Laferrière a succombé

du même coup que sa fille, et cette chaleur de sentiment qui animait son talent même, violemment refoulée à sa source, dans son cœur généreux, a déterminé sa mort.

Un si tragique événement qui désole une famille justement honorée, devient le deuil particulier de la grande famille des lettres, et l'Institut s'y associe avec un sentiment unanime de regret et de sympathie.

Quoique la place de M. Laferrière fût marquée parmi nous depuis longtemps, nous le possédions depuis peu d'années; mais nous devions espérer de le garder longtemps encore: son âge et sa force nous permettaient de compter sur la durée de sa vie, et son zèle infatigable nous promettait une collaboration aussi longue qu'utile.

M. Laferrière devait tout au travail et à son talent. Jeune avocat de Bordeaux, il était déjà désigné à l'attention publique par des succès signalés qui présageaient son brillant avenir; mais un penchant inné le portait vers l'étude, alors renaissante parmi nous, de l'histoire du droit.

Ainsi qu'à nous tous, il y a trente ans, le droit lui apparut, non pas seulement comme l'instrument d'une habile direction pratique de l'intérêt civil des citoyens, ou bien comme la science grave et nécessaire des lois positives d'un peuple civilisé, mais encore comme une étude élevée, dont l'objet était le mouvement lui-même de l'humanité, cherchant la vie sociale, avec des vicissitudes diverses, autour du principe de la justice et de l'équité. C'était la continuation de la pensée de Montesquieu.

Nourri de la lecture de l'Esprit des lois, sur la terre même où naquit ce livre immortel, M. Laferrière ne vit rien de plus grand pour fixer ses méditations, que le phénomène des évolutions juridiques, et il résolut dès lors de se consacrer à leur étude et à leur histoire. Il y dévoua sa vie, et y porta le cachet de son esprit. Grâce à la part qu'il y a prise, cette grande application de la philosophie de l'histoire est devenue le caractère d'une époque de notre siècle. Elle a fait révolution dans la manière d'étudier et d'enseigner le droit, et a fini par entraîner une génération tout entière.

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Les premiers pas pouvaient être hasardés ou incertains, mais la méthode était excellente pour l'éducation supérieure de l'esprit juridique. L'histoire est comme un souffle vital qui anime le droit. Isolé de la philosophie et de l'histoire, le droit n'est plus que la froide analyse d'un texte ou d'un précepte; analyse nécessaire, sans doute, mais insuffisante pour constituer la science qui inspira les jurisconsultes romains et la mémorable école du xvi' siècle.

En 1836, M. Laferrière publiait la première édition de son Histoire du droit français; ouvrage où l'on pouvait remarquer des imperfections, inséparables du temps et des circonstances où se trouvait l'auteur, mais qui révélait un incontestable talent, et dont les parties principales avaient un éminent mérite.

En 1838, un ministre s'honorait en le nommant à une chaire de nouvelle création, dans la Faculté de droit de Rennes.

M. Laferrière fut, pendant huit ans, l'honneur de cette Faculté, illustre déjà par Toullier et d'autres renommés jurisconsultes. Son caractère noble, son esprit élevé, son cœur droit, sa pureté, son honnêteté, lui avaient, sur ce siége, mérité l'estime et l'affection universelles. Il y marqua son passage par la composition d'un de ses ouvrages les plus appréciés, son Traité du droit administratif, et il y fonda une Revue de droit dont il fut le coopérateur le plus actif.

De profonds regrets le suivirent, lorsqu'en 1846, l'opinion publique, guidant le choix d'un ministre ami du bien, vint l'enlever à sa chaire, du haut de laquelle son éloquence savante captivait une jeunesse avide de l'entendre, et lui apprenait, avec amour, le droit public de son pays, pour appeler M. Laferrière à l'inspection générale des Facultés de droit, qu'un de ses amis laissait vacante. Depuis lors, M. Laferrière n'a cessé d'occuper ces fonctions éminentes, sauf un intervalle de courte durée, ce qui ne l'a point empêché de rendre d'autres services, dans des missions importantes qui lui furent confiées en des moments difficiles.

Sa loyauté, son impartialité. son zèle pour la prospérité des études, son urbanité bienveillante, son attachement invariable à la règle et au devoir; en un mot, les qualités les plus honorées dans

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tives de son temps, à l'occasion de laquelle il n'ait payé son contingent de lumières et d'expérience. La réforme hypothécaire, le crédit foncier, des questions difficiles de haute jurisprudence civile, des thèses d'ancien droit public français ou de droit ecclésiastique, l'ont trouvé préparé à prendre un rôle actif dans tout débat juridique ouvert devant l'opinion. Les Revues de législation sont remplies d'articles vigoureux, colorés, entraînants, où la discussion scientifique se développe sous sa plume avec des formes saisissantes et sympathiques. C'est le trait distinctif de son talent.

Puis-je oublier un ouvrage composé avec rapidité, mais qui est empreint des qualités les plus remarquables de son esprit, son Histoire des Principes de 1789; livre curieux, instructif et profond, où ses doctrines libérales sont exposées avec l'accent persuasif et vrai de l'honnête homme, éclairé par le savoir ?

Parlerai-je de ses travaux, dans le sein même de l'Académie des Sciences morales et politiques, depuis que nous avons pu le compter dans nos rangs? Qui ne les a admirés, applaudis, dans leur application si multipliée? Les Mémoires seuls qu'il nous a communiqués sur nos anciens États provinciaux suffiraient à la réputation d'un historien. Ses rapports multipliés et toujours remplis d'intérêt, ses lectures fréquentes sur les sujets les plus divers, la confiance dont ses confrères l'ont honoré pendant sa trop courte existence académique, laisseront un long souvenir parmi nous. Il y a huit jours encore, pendant qu'il pleurait au chevet de sa fille mourante, l'Académie lui donnait, à son insu, une nouvelle et flatteuse marque de son estime.

Si l'on tient compte des travaux accomplis, de l'impulsion donnée à la science et de la renommée acquise, M. Laferrière a rempli la destinée que la Providence lui avait départie sur la terre. Mais, si l'on considère tout ce que M. Laferrière pouvait faire encore pour l'histoire du droit, sa fin prématurée est un sujet d'amère douleur; elle est d'autant plus regrettable qu'il est mort au moment où son talent semblait gagner encore en portée, en élévation, en maturité, alors que d'incessantes et profondes études avaient donné un éclat plus solide, s'il se peut, à son imagination

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