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EXTRAITS DES JOURNAUX.

Le lecteur vient de voir comment l'Assemblée Nationale a accueilli nos idées; il sera peut être curieux de connaître aussi le jugement de la presse, de la presse telle que l'état de siége nous l'a faite. Chose incroyable! la Constitution se discute en pleine restauration des lois de septembre, et sous le régime de la suppression des journaux ! Quel effroyable chaos! Si jamais œuvre demanda l'enthousiasme de la pensée, qui ne peut exister qu'avec la plénitude de la liberté, c'est assurément le vote d'une Constitution. C'est alors, ou jamais, que la Souveraineté de chacun doit être éclatante et respectée de tous. Eh bien, c'est précisément le moment choisi pour interrompre toutes les lois. Les lois sont suspendues, et l'idée même de l'équité est suspendue avec elles! Il n'y a plus de droit, et la notion de l'humanité est ébranlée dans tous les cœurs; il n'y a de légitime et d'autorisé que le despotisme militaire. Un homme armé règne, c'est-à-dire que c'est son arme qui règne! Un sabre vibre dans les airs sur la tête de tous les citoyens! Voilà le Veni Spiritus de la Constitution qui se fabrique!

Nous aurions aimé à connaître l'appréciation de notre illustre collègue, M. de Lamennais; mais son Peuple Constituant s'est tu volontairement, pour ne pas autoriser les lois préventives contre la liberté de penser et d'écrire. Il nous eût été utile de voir notre utopie, puisqu'on la nomme ainsi, examinée dans la feuille qu'avait fondée Raspail, cet esprit novateur qui plane sur tous les préjugés et qu'aucune vérité, pour être nouvelle, n'effraya jamais; mais l'Ami du Peuple a cessé de paraître, et soixante mille suffrages, en investissant du mandat de Représentant le fondateur de cette feuille, n'ont pas en assez de crédit auprès de l'Assemblée dont il est membre pour faire ouvrir les portes de sa prison. Un jugement motivé du remarquable journal où Proudhon faisait vivre sa pensée aurait eu tout droit à notre attention, à notre réflexion; mais le Représentant du Peuple a été frappé comme les autres. Quant à la Vraie République, dont le titre porta notre nom uni à ceux de nos amis Barbès et Thoré, et à celui de la femme illustre qu'aujourd'hui l'envie voudrait, à force d'outrages, faire repentir de son génie et de tous les dons qu'elle a reçus de Dieu, il nous eût été doux de savoir ce que pensaient ces amis si chers au sujet de notre projet d'organisation politique; mais cette feuille véridique a été frappée des premières, elle a succombé au premier rang. Parmi les autres feuilles que Février fit éclore, combien encore avaient droit de nous juger! On en conviendra, quant à la presse

du moins, notre Projet de Constitution n'a pas eu tous les juges qu'il devait avoir.

On verra comment il a été, non pas examiné, non pas jugé, mais dénigré, par les vieux suppôts de toutes les erreurs et par leurs émules de fraîche date. On verra aussi des témoignages qui nous consolent dans celles des feuilles dévouées au progrès et à la cause du peuple qui ont survécu.

LE CONSTITUTIONNEL.

(Lundi 25 septembre 1848.)

« On n'a pas oublié que, lorsque M. Pierre Leroux, dans une des dernières séances, descendait de la tribune, après avoir accusé le projet de Constitution de n'être fondé sur aucun principe, M. de Larochejaquelein lui cria au milieu de l'hilarité générale: « Et votre principe! et votre machine! » M. Pierre Leroux vient de répondre à cette interpellation; il consent à nous révéler son principe, et il nous apporte sa machine: c'est un projet de Constitution complet, projet fondé, ainsi qu'il le dit, sur la loi même de la vie, c'est-à-dire sur la distinction dans l'homme de l'intelligence, de l'amour, et de l'activité. Nous donnons quelques extraits de cette curieuse rêverie philosophique, divisée en articles de loi. Le nombre trois joue, comme on verra, le principal rôle dans le monde un peu fantastique que se propose de créer M. Pierre Leroux.

» Voici le début :

En présence et SOUS L'INVOCATION DE DIEU, triple et un à la fois, qui a créé l'homme Intelligence-Amour- Activité, parce qu'il l'a créé à son image,

Et au nom de la solidarité qui réunit tous les hommes dans la même

Humanité, comine s'ils étaient le même étre, parce qu'ils sont en effet la même espèce,

L'ASSEMBLÉE NATIONALE....

» Dans le premier paragraphe on voit apparaître le principe de la triade, que nous retrouvons à chaque page dans la Constitution de M. Pierre Leroux; et, dans le second, il pose les bases de ce Communisme nuageux et mystique dont il est l'inventeur.

» Suit la proclamation du dogme républicain; ce dogme se résume dans les trois mots sacramentels : Liberté, Égalité, Fraternité. Mais M. Pierre Leroux les accompagne d'un commentaire dont nous ne citerons qu'un passage, pour en faire apprécier l'esprit et la forme:

Sainte devise de nos pères, non, tu n'es pas un de ces vains assemblages de lettres que l'on trace sur le sable et que le vent disperse. Triangle mystérieux qui présidas à notre émancipation, qui servis à sceller nos lois, et qui reluisais au soleil des combats sur le drapeau aux trois couleurs, tu fus inspiré par la Vérité même, comme le mystérieux triangle qui exprime le nom de Jéhovah, et dont tu es le reflet...

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» M. Pierre Leroux nous donne ensuite la déclaration des droits et des devoirs des citoyens. Avant de constituer l'État, dit-il, nous établirons les principes mêmes de la société humaine, et nous en déduirons la vraie souveraineté. » Or voici ces principes:

er

ART. 1 Les principes de la Société résultent de la nature de l'homme. ART. 2. L'homme, considéré comme individu, est fait à l'image de son Créateur; il est triple et un : Sensation Sentiment Connais

sance.

à

-

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ART. 3. L'homme manifeste son existence par rapport à la nature et ses semblables par un triple besoin, sans la satisfaction duquel l'homme

est dans la souffrance.

ART. 4. Ce triple besoin de l'homme s'exprime par ces trois mots; Propriété, Famille, Patrie.

ART. 5. L'homme n'est pas un être isolé, existant absolument et par lui-même. La vie de chaque homme est attachée à une communication incessante avec ses semblables. De là cette loi : L'homine satisfait son triple besoin de Propriété, de Famille, de Patrie, avec le concours de ses semblables. Cette loi est l'image sur la terre de la solidarité qui unit les hommes dans la pensée divine.

AnT 6. L'homme a droit à la Propriété, à la Famille, à la Patrie; mais tout homme a le même droit, car le droit de chacun implique le droit de tous, et de plus le droit de chacun a besoin pour s'exercer du concours de tous.

"Nous remarquons dans un des articles suivants la définition de la propriété, qui est: le droit d'user d'une chose déterminée de la façon que la loi faite par tous et pour tous détermine. On voit qu'il ne serait pas difficile de faire sortir le Communisme de cette définition.

» M. Pierre Leroux pose comme règle que le droit et le devoir de chacun sont identiques au droit et au devoir de tous; que le droit et le devoir répondent à une seule et même chose, le besoin de chacun; et voici ce qu'il en conclut :

ART. 13. De ces règles résulte pour les hommes la nécessité d'un travail, à la fois individuel et collectif, au moyen duquel ils doivent arriver, les uns par les autres, à la satisfaction de leurs besoins légitimes.

ART. 14. Dans ce travail à la fois individuel et collectif, l'homme se manifeste, d'une façon prédominante, ou comme activité, ou comme sentiment, ou comme connaissance. Il est ou Industriel, ou Artiste, ou Savant.

ART. 15. Le milieu social, ou la Société, doit être organisé de manière que l'Industrie, l'Art, la Science, manifestations du travail de l'homme, servent, de plus en plus, au développement progressif de chaque homme sous le triple aspect phys que, moral, et intellectuel.

ART. 16 La Société est le milieu où sont assurés à la fois la procréation, le développement et la vie normale des êtres humains.

ART. 17. La Société doit tendre, de plus en plus, à assurer chacun dans sa condition de Savant, d'Artiste, ou d'Industriel, à procurer à chacun, par le travail de chacun et de tous, la Propriété, la Famille, et la Cité.

› Le chapitre de la Souveraineté n'est pas le moins curieux; il mérite d'être cité en entier:

ART. 18. La Souveraineté absolue n'appartient à personne sur la

terre.

ART. 19. La Souveraineté est la puissance qui, de Dieu, descend dans l'esprit humain et se manifeste par le Peuple, c'est-à-dire par l'unité indivisible de tous les citoyens. Véritable image de Celui dont elle découle, la Souveraineté est triple et une, comme son divin auteur. Elle n'existe pas sans trois termes : Tous, Quelques Uus, Chacun.

ART. 20. Chacun, au nom de la raison individuelle et de la liberté de

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