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aux jugemens des hommes. Par là il rectifie fa conduite, & fe concilie leur amitié.

Quelques connoiffances que nous ayions de nos devoirs, quel que foit notre attachement pour la vertu, il y a dans la fociété plus de lumières & plus d'amour de l'ordre. Le Public eft un corps compofé d'une infinité de têtes, dans lef quelles fe trouvent répandues les véritables idées de ce qu'il faut aimer, & de ce qu'il faut haïr: c'eft un Tribunal dont les Arrêts font fondés fur la vérité. Les vrais principes de conduite qui font femés dans l'efprit des hommes, ne font point développés en tous; c'eft dans la fociété que fe fait la réunion de ces rayons lumineux qui diffipent les ténèbres de l'erreur: c'eft là où fe raffemblent toutes les notions d'équité, qui font que nous. n'abandonnons point notre eftime à des actions blâmables, & que nous ne cenfurons point ce qui mérite des louanges: c'eft là que l'eftime & le mépris font équitablement difpenfés. S'il eft une action qui enlève l'approbation de tout le monde & qui jouiffe conftamment de l'eftime générale, on peut la regarder comme véritablement louable: celle au contraire qui aura autant de cenfeurs que de té

moins, fera véritablement digne de blâme. Dans le jugement que le Public porte de l'une & de l'autre, les principes de vérité & de droiture fe rapprochent ; & rapprochés, ils ont plus de force & d'autorité: ils fe réuniffent comme différentes lignes qui vont aboutir à un même point. Les fuffrages de tous les hommes ne peuvent fe réunir qu'en faveur de la vertu : nous ne pouvons cenfurer unanimement que le vice.

Je fai qu'il eft des hommes qui font l'éloge de certains vices; mais outre qu'ils le font de mauvaise foi, on peut dire qu'ils ne font point alors les interprètes des fentimens du Public: ces fentimens doivent être uniformes; & ils ne le font que pour proportionner aux actions les degrés d'eftime ou de mépris qu'elles peu

vent mériter.

Il eft donc avantageux au Sage de faire attention aux jugemens des hommes; c'eft le moyen le plus für qu'il puiffe prendre pour rendre fa conduite irrépréhenfible il connoît mieux par là ce qui eft digne de ses attachemens: l'efprit plus éclairé devient un guide plus für pour fon coeur : fes fentimens plus épurés l'empêchent de tomber dans des fautes qui feroient fa honte & fon malheur: fes con

noiffances plus diftinctes le portent à l'amour de la vertu. Connoître les bornes du bien & du mal, c'eft un acheminement à la fageffe.

Mais file Sage a égard aux jugemens des hommes, parce qu'ils font propres à rectifier fa conduite, il y a égard auffi, parce qu'il peut plus ailément par là fe concilier l'amitié de ceux qui l'environ

nent.

Se rapprocher des idées & des opinions des autres, c'est flatter leur amour propre, qui voudroit régner fur tous les efprits: c'eft leur accorder la forte de fupériorité dont ils font le plus jaloux : c'eft rendre à leurs lumières une forte d'hommage qui intéresse trop leur vanité, pour n'être pas accepté favorablement. On ne fauroit donc fe concilier plus fûrement l'amitié des hommes, qu'en déférant à leurs jugemens.

L'amitié confifte à vouloir les mêmes chofes que les autres: c'eft la conformité des goûts qui fait la plupart de nos liaifons: nous nous retrouvons nous-mêmes dans les perfonnes en qui nous remarquons nos inclinations. Comme c'eft nousmêmes que nous aimons dans les autres, nous les aimons d'autant plus que nous les trouvons plus femblables à nous.

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Quiconque imite notre manière de penfer, & règle fa conduite fur nos idées, nous fait voir une conformité avec nousmêmes, qui ne peut que nous flatter. Pourrions-nous ne point aimer celui qui accroît, pour ainfi dire, notre être fous nos yeux?

En déférant aux jugemens des autres, le Sage s'acquitte des devoirs de bienféance qu'il trouve établis dans la fociété, & rend par là fes manières agréa bles à ceux avec qui il vit. Par cette efpèce d'hommage qu'il rend à la fagéffe des hommes, il gagne leur amitié. S'il négligeoit ces devoirs, fi utiles au commerce de la vie, il nous donneroit lieu de croire qu'il ne s'occupe point affez de nous. Les remplir exactement, c'eft nous prouver qu'on n'eft point indifférent à ce qui nous intéreffe; c'eft acquérir des droits fur notre amitié. Nous ne faurions prouver aux hommes que par des manières extérieures l'eftime que nous avons pour eux : nos fentimens ne peuvent s'exprimer que par des témoignages fenfibles. Le Sage eft bien éloigné de négliger les devoirs inftitués pour faire connoître aux autres nos difpofitions à leur égard; il s'acquitte fidélement de tous ceux qu'il a plu aux hommes de prefcrire, dès qu'il

n'y voit rien qui ne foit compatible avec la vertu. Témoigne-t-il à fes femblables l'amitié qu'il a pour eux? ils lui fauront gré de fes fentimens, & feront contens de lui, parce qu'il les aura rendus contens d'eux-mêmes. Comme nous ne défirons rien tant que d'être aimés, on eft fûr de nous plaire en nous perfuadant que nous le fommes. C'eft ainfi qu'ayant égard aux jugemens des hommes lorsqu'il le peut, le Sage fe procure deux avantages confidérables: mais faifons voir qu'il compte pour rien ces mêmes jugemens, lorfque fon devoir l'exige.

SECONDE PARTI E.

Quoique le refpect humain captive la plupart des hommes, le Sage néanmoins compte pour rien leurs jugemens, lorfqu'ils combattent les Loix ou fa confcience.

Comme il règle ses démarches fur fon devoir, il n'eft pas furprenant que quand il est en contradiction avec les idées de ceux qui l'environnent, il n'ait aucun égard à leur manière de penfer. Sans cette difpofition, il agiroit fans principes; il fe laifferoit aller à tout vent d'opinions; & dépendant toujours des caprices des

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