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Talleyrand célèbre au

Champ de Mars la messe de la Fédération; parodie de la cérémonie. - Épigrammes sur Talleyrand. Fêtes dans Paris. Offres de la cour à Cazalès et à Mirabeau. Mort de Mirabeau; il est empoisonné dans un dîner offert sur l'instigation de Talleyrand; son opinion sur Barnave; ses derniers moments; ses funérailles. II. Fuite de Varennes. - Préparatifs. -Ruse de M. de Laporte. Rôle de La Fayette. Maladresses de l'entourage du roi. tation de la famille royale. — Pourparlers avec Sause, procureur de la commune. Retour à Paris. La Tour Maubourg, Barnave et Péthion. Captivité.

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- Arres

III. Coblentz. L'émigration. -Agissements des princes; leur dédain L'hospitalité suisse; mot du duc de

pour certains émigrés.

Choiseul. Mme de Staël à Morat.

position de l'armée de Condé.

Société orléaniste.

Com

IV. L'Autriche et la Prusse. — Déclaration de Pilnitz. -Protestation de l'empereur d'Autriche contre les décrets de l'Assemblée nationale. Connivence de Louis XVI. Mort de Léopold II. Caractère de François II. Déclaration de guerre. Conférence de Franc

fort. Mission secrète de Mallet du Pan.

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V. Le duc de Brunswick et Dumouriez. Défaite des Prussiens à Valmy. Négociations de paix. Motifs de la retraite de l'armée prussienne. Influence secrète de l'Angleterre sur le duc de Brunswick. - La lieutenance générale du royaume est offerte au duc de Brunswick. Trahison de Dumouriez. Robespierre et Dumouriez. Dumouriez espion politique; son caractère. VI. La Terreur. Thermidor. Massacres de septembre. — Exécutions. Courage des condamnés. La princesse de Monaco, Sillery-Genlis, Champcenetz. Robespierre; Les cabinets de Vienne et de Londres sont secrètement disposés à reconnaître sa dictature. La peur paralyse les Français. — Tallien.

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Depuis un an la Bastille est prise. L'esprit révolutionnaire s'est installé en maître dans Paris et proclame l'anniversaire de sa conquête. La fête de la Fédération a lieu au Champ de Mars le 14 juillet 1790, au milieu de dix-huit mille gardes nationaux, de deux cents prêtres qui entourent l'autel de la Patrie. La messe est célébrée par l'évêque d'Autun, Charles-Maurice de Talleyrand, qui, dix ans plus tard, répudiera son caractère de prêtre et épousera la fille d'un matelot de Batavia, ancienne danseuse au théâtre de Calcutta, femme divorcée d'un Américain des ÉtatsUnis (1). En attendant qu'il abandonne l'état ecclésiastique, le prélat bénit l'oriflamme de la Révolution, et quatre-vingt-trois bannières départementales; il entonne le Te Deum, et douze cents musiciens exécutent le cantique sacré...

La répétition de cette fameuse messe avait eu lieu l'avantveille chez le docteur en médecine Cabanis, rue du Bac; Mirabeau et Lafayette y avaient représenté le diacre et le sous-diacre dont les fonctions furent remplies, à la fête de la Fédération, par l'abbé Louis, conseiller-clerc, au parlement de Paris, et l'abbé Desrenaudes, qui deviendra plus tard le faiseur d'écritures politiques du citoyen Talleyrand dont il est le sacristain. Une autre particularité relative à l'évêque célébrant du 14 juillet montre le profond sentiment de piété dont l'illustre prélat était imbu. Au moment où La Fayette s'approcha de l'autel, Talley

1) Lorsque M. de Talleyrand épousera cette femme, l'épigramme suivante courra tout Paris :

Blanchette a quarante ans, le teint pâle et plombé,
Blanchette cependant épouse un noble abbé.

Pourquoi s'en étonner? quand chacun la délaisse,

Toute catin se range et devient mère abbesse.

rand, les yeux levés vers le ciel, les mains jointes, entièrement concentré en apparence dans un pieux recueillement, dit à voix basse au général : « Pour Dieu, ne me faites pas rire; nous gâterions tout! >> Ces paroles évangéliques furent répétées dans la journée par ce bon M. de La Fayette; Mirabeau s'en amusa et elles devinrent publiques (1).

La Fayette, à la tête de l'état-major de la garde nationale et des députés de l'armée de terre et de mer, monte à l'autel et jure, au nom des troupes et des fédérés, d'être fidèle à la Nation, à la loi, au roi. Ce serment, l'illustre citoyen le tiendra; pendant quarante-cinq années, La Fayette ne déviera pas un seul instant de la ligne constitutionnelle qu'il a juré de suivre; et son dernier soupir s'exhalera en prononçant ce mot sacré : <«< Liberté! >> Le président de l'Assemblée nationale jure ainsi que La Fayette d'être fidèle à la nation, à la loi, au roi. Louis XVI prête serment et la reine prend le Dauphin dans ses bras, le présente au peuple et dit: « Voilà ! mon fils, il se réunit ainsi que moi dans ce même sentiment. »

Toutes ces journées furent remarquables par les fêtes que Paris donna aux fédérés. Les Champs-Élysées illuminés dans toute leur étendue et avec une magnificence vraiment féerique; des feux d'artifice, des joutes sur la Seine, des bals au Champ de Mars, sur l'emplacement de la Bastille, à la halle au blé; des comestibles et des rafraîchissements distribués au peuple, en un mot, tout ce qui peut signaler la joie publique fut mis en œuvre et l'on peut dire que le peuple vécut de fêtes pendant la semaine

(1) On prétend que Talleyrand poussa plus loin la profanation, en assaisonnant une salade dans un dîner avec les huiles saintes.

L'épigramme suivante attribuée à Chamfort, mais que l'on croit lancée par Le Brun, suffirait pour prouver comment M. de Talleyrand était déjà connu et apprécié :

Rochette dans son temps, Talleyrand dans le nôtre
Furent tous deux prélats d'Autun.

Tartuffe est l'image de l'un,

Ah! si Molière avait vu l'autre !

Vers cette époque, l'abbé Delille voyant passer M. de Talleyrand sur la terrasse des Feuillants dit à Rivarol : « Il a l'air d'un vice! Vous faites tort à tous les autres, mon cher abbé », répondit le littérateur.

de la Fédération. La plus remarquable fût celle que la municipalité donna aux fédérés le dimanche 28 juillet. Rien n'y fût épargné; le plus grand ordre régna parmi cette multitude immense qui inondait tous les lieux publics; point de trouble, point d'embarras et partout l'image d'une véritable fraternité. Aucun accident fâcheux n'eût lieu, tant les dispositions de la municipalité avaient été bien ordonnées. Cette fête fût digne de la capitale et du peuple... Encore quelques mois et Paris ne sera plus qu'une vaste prison au milieu de laquelle s'élèveront les échafauds des vingt-deux mois de la terreur !

Pour arrêter le flot montant de la Révolution, la cour essaye de corrompre les hommes qui dirigent l'opinion publique; elle s'adresse à Mirabeau. Une tentative infructueuse est faite aussi auprès de Cazalès. M. de Laporte, intendant de la liste civile, proposa à ce député une somme de cent mille écus pour arranger ses affaires; Cazalès était peu fortuné et l'économie n'était pas une de ses vertus; il rejeta avec une sorte d'indignation l'offre royale comme un outrage à son caractère : « Sa Majesté me << prendrait-elle par hasard pour un Mirabeau? Je ne vends pas << ma conscience, mes opinions, mes paroles. Je défends la royauté «par sentiment et par conviction, je la défendrai contre elle« même si elle s'abandonne et se trahit par faiblesse ou perfidie; << je défends la nation contre ses propres erreurs ; ses droits sont << aussi sacrés que ceux du roi. Je méprise en général les ministres; <«<les bons, je les soutiendrai de toutes mes forces, les mauvais, je les combattrai, je les accuserai s'il le faut. Gardez votre «<or; je suis royaliste fidèle et bon Français je ne suis pas à <<< acheter. »

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Les projets de la cour trouvèrent dans Mirabeau une conscience moins incorruptible et il est certain que le célèbre orateur vendit de son influence tout ce qu'il en put donner. Ses prétentions et ses exigences occasionnèrent d'assez longues négociations et firent hésiter le roi. Les papiers découverts dans l'armoire de fer, déposés au comité de sûreté générale de la Convention, furent remis, après l'établissement du Directoire exécutif, au ministère de la police (vingt ans plus tard, on les livra à Louis XVIII). Les

renseignements fournis par les premiers détenteurs de ces papiers prouvent d'une manière positive que Louis XVI avait fini par trouver Mirabeau trop cher : « il se met à un prix beaucoup trop « élevé et puis, peut-être voudrait-il me traiter comme un << Louis XIII. Attendre et le voir venir est plus sage et convenable. >> Ces craintes de Louis XVI n'étaient pas sans fondement, car il est à peu près certain que Mirabeau avait demandé le titre et les pouvoirs de premier ministre avec la faculté de choisir les ministres chargés de travailler avec lui; c'était exiger la dictature. Louis XVI ne s'y méprit pas, les lignes écrites de sa main sur un petit registre qui lui servait de mémorandum en font foi.

Le malheureux monarque avait une sorte de manie épistolaire et un goût prononcé pour les petites choses : il entrait, à cet égard, dans des détails indignes d'un roi. L'armoire de fer contenait plusieurs petits cahiers de papier dans lesquels Louis XVI avait inscrit les noms de chaque individu employé à son service personnel, le montant de ses gages, l'époque où il était entré; à la fin de chaque trimestre, on lisait : « Payé aujourd'hui. Il ne lui est rien dû ». Louis XVI avait des fonds placés chez deux banquiers, le banquier de la cour, Laborde, et Durney qui les faisaient valoir. Au jour fixé, le revenant lui était remis, ou bien il ordonnait de le placer le plus tôt possible, « afin de ne pas le laisser chômer et pour qu'il portât intérêt ». Un bon bourgeois, père d'une nombreuse famille, n'aurait pas eu plus de soin de sa fortune.

On sent combien Louis XVI devait être peu disposé, malgré les nécessités politiques à s'acquérir un homme qui demandait des millions et un pouvoir dictatorial; d'ailleurs, le roi ne pardonnait pas à Mirabeau sa violente sortie contre le grand-maître des cérémonies (juin 1789) et l'apostrophe non moins violente adressée au trône (juillet même année) dans le sein de l'Assemblée nationale, au sujet du renvoi des troupes qui cernaient la capitale.

Il n'est pas douteux que Mirabeau eut de fréquentes entrevues avec le roi et la reine. La preuve en a été donnée lors de la prise de Bamberg par Jourdan. On y saisit chez M. de Bombelles plusieurs lettres de Louis XVI et de Marie-Antoinette. M. de Bombelles avait été chargé de toutes les intrigues contre-révo

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