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le neutre ne trouve lui-même convenable de déclarer la guerre ou d'user des droits de la guerre contre le perturbateur. Ce principe n'est autre que celui en vertu duquel, d'après les législations de tous les États modernes, le citoyen, qui use du droit de légitime défense contre l'attaque injuste d'un criminel et lui inflige par conséquent le châtiment nécessaire pour détourner le danger, ne saurait être censé par cela avoir commis un acte de violence personnelle légitimant des poursuites judiciaires contre lui.

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Dans le règlement de la neutralité, les droits et les devoirs sont corrélatifs et indivisibles. Le neutre est obligé non seulement de remplir ses devoirs directs, mais aussi de faire valoir ses droits, pour autant que leur abandon impliquerait une partialité à l'égard de l'un des belligé

rants.

Le droit et le devoir sont, dans chaque question de neutralité, comme les deux pôles d'un seul et même principe. Leur solidarité est telle que, dans la règle, il en résulte pour le neutre une obligation de faire reconnaître son droit. Généralement, en effet, les devoirs du neutre envers l'un des belligérants consistent dans la mise à exécution de ses droits contre l'autre. Dès lors, renoncer à son droit de neutre vis-à-vis de l'une des parties, c'est favoriser celle-ci au détriment de la partie adverse. Certes, tandis que les droits existaient déjà avant la rupture de la paix, les devoirs correspondants de la neutralité ne sont qu'une conséquence de l'état de guerre. Toujours est-il que le droit, lui aussi, reçoit par suite de l'état de guerre une nouvelle signification. Il s'agira maintenant de l'identifier avec le devoir nouveau, en rendant nécessaire l'exécution de toute prétention légitime qui est une condition essentielle de l'accomplissement des obligations que la guerre fait naître au delà de celles qui existaient auparavant. Il est vrai que tous les droits de neutre sans exception ne sont pas aussi étroitement liés aux devoirs: le neutre n'a pas besoin, pour remplir son devoir, de faire toujours valoir son droit. L'important, c'est que le droit, sinon constamment

appliqué, ou obtenu plus que trouve convenable le neutre lui-même, ne soit pas du moins remis à l'avantage de l'un des belligérants, soit régulièrement pendant tout le cours des hostilités, soit de manière à faciliter les opérations contre un ennemi. Et il y a des droits qui sont tout spécialement de nature à rendre leur exercice indispensable pour que les devoirs ne soient pas rompus, par exemple la souveraineté territoriale, qui exclut les passages et hostilités des troupes belligérantes sur le territoire neutre, etc. Qu'il s'agisse d'impartialité ou d'abstention, le devoir ne serait point rempli, si le neutre renonçait à de tels droits en faveur d'un belligérant. Il deviendrait partial à l'égard de ce dernier en facilitant ses opérations et participerait à celles-ci au moins indirectement. Ainsi, les devoirs d'impartialité et d'abstention sont en partie directs, en partie indirects. Les uns consistent à s'abstenir soi-même de tout délit de neutralité, les autres à ne point souffrir des violations de neutralité de la part des belligérants.

L'histoire des guerres européennes fourmille d'exemples, non seulement de neutres qui ont rompu leur neutralité en n'exigeant pas des belligérants ce qu'ils avaient le droit d'exiger, mais aussi de belligérants qui ont violé la neutralité en forçant des neutres à refuser à l'ennemi des avantages qu'ils avaient le droit de lui accor der. Dans ce dernier cas encore, le neutre renonce à un de ses droits, à savoir au droit de concéder un avantage licite, dont l'octroi dépendait de lui seul, comme souverain. Par une telle condescendance, la neutralité est simultanément rompue par le neutre et violée par le belligérant.- C'est surtout pendant les longues guerres de la Révolution française, du Consulat et de l'Empire, que nous trouvons d'innombrables ruptures et violations de ce genre. En particulier, les deux principaux antagonistes, la France et l'Angleterre, rivalisaient alors de menaces et de violences continuelles pour essayer de forcer les neutres à fermer leur commerce et leur territoire à l'ennemi, bien que les neutres eussent incontestablement le droit absolu de les tenir ouverts, comme aussi de décider euxmêmes exclusivement de toute question y relative. Cette rivalité des deux parties en guerre, qui se surpassaient mutuellement en pressions coupables sur la liberté des neutres, fut graduellement poussée à un tel point, qu'à la fin les immunités garanties à ceux-ci par le droit international se réduisaient à presque rien.

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Différence entre le droit et le devoir

Malgré la connexion entre les droits et les devoirs de la neutralité, leurs normes sont distinctes les unes des autres, les droits n'étant qu'une prolongation modifiée de l'état de paix, tandis que les devoirs surgissent avec l'état de guerre.

La plupart des devoirs de la neutralité qui sont indépendants et ne consistent pas simplement dans l'exercice d'un droit, sont de telle nature qu'ils ne peuvent exister en temps de paix, mais puisent leur origine et leur entière raison d'être dans la situation exceptionnelle créée par la guerre. Ils sont tous relatifs en effet aux principes d'impartialité entre les belligerants et d'abstention des hostilités. Or, pendant la paix, il n'y a ni belligérants ni hostilités.

Il en est autrement des droits. Ils puisent leur origine déjà dans l'état normal et pacifique; et pendant la guerre, leur principale valeur consiste à ne point être interrompus par les hostilités, mais au contraire à continuer autant que possible de rester intacts comme ils l'étaient auparavant. Les droits à l'intégrité et à l'indépendance de l'État, la souveraineté du territoire et du pavillon, le droit d'asile, le commerce et le trafic sans obstacle, la garantie contre loute attaque et hostilité, etc., voilà autant de droits qui appartiennent à l'état régulier de la paix, parce qu'ils découlent de la souveraineté politique permanente. La guerre ne peut ni les diminuer ni les augmenter. Elle peut seulement leur donner un aspect et un sens nouveaux, accentuer plus vivement leur importance pendant les troubles qui les menacent, apporter enfin des restrictions à leur libre exercice en tant que celui-ci mettrait obs. tacle aux fins reconnues et légitimes de la guerre.

Il s'ensuit que dans le règlement de la neutralité, les droits et les devoirs, tout en formant une unité, représentent deux côtés différents, qui se séparent à l'origine.

Cette différence notable entre les droits et les devoirs quant à leur origine, leurs causes et leurs phénomènes, a une influence sensible sur leur corrélation. Malgré leur dépendance mutuelle, chaque droit ne correspond pas à un devoir, ni chaque devoir à un droit. Bon nombre de devoirs sont imposés par la seule nécessité de

laisser libre cours aux opérations militaires, indépendamment du droit du neutre de rester en paix, et sans influence sur l'état pacifique; tandis que les droits sont presque tous relatifs à la paix, soit dans ce sens qu'ils tiennent leur origine de son état et font corps avec lui, soit qu'ils s'ensuivent comme de simples conséquences.

C'est pourquoi nous traiterons séparément les droits et les devoirs de la neutralité. Les deux matières sont indépendantes, et la clarté y gagnera. Cependant, il faut observer que la séparation ne peut être absolue. Il suit de leur connexité qu'en traitant les devoirs il faut souvent traiter aussi les droits, et vice versa. Et malgré leur exposé et leur division d'après des systèmes différents par suite de leur différence en apparition et en phénomènes, les droits et les devoirs, tant des belligérants que des neutres, peuvent, à cause de la liaison intime qui les unit, être rapportés ensemble à certains groupes principaux, relatifs : 1° à l'indépendance et à la souveraineté des territoires (surtout de ceux des neutres); 2o à la nécessité de laisser aux belligérants le droit de vider leur dif férend à deux, sans ingérence indue ni obstacles; 3 à la nécessité d'entraver le moins possible le commerce pacifique international.

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