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— Armement et équipement peuvent braver la meilleure volonté et la vigilance la plus attentive d'un gouvernement neutre et éluder ainsi les poursuites sur son territoire; et comme, d'autre part, la réglementation internationale n'émancipera pas de si tôt les neutres complètement des mesures de sûreté dont l'exécution est encore aujourd'hui confiée aux organes militaires des belligérants, les moyens coercitifs ne sont pas limités à ceux dont disposent les autorités régulières dans l'intérieur des États neutres. Notamment à l'égard des armements échappés, la répression qui consiste à traiter l'objet comme contrebande de guerre si la partie adverse l'attrape hors du territoire neutre en chemin pour la destination interdite, demeure réservée. Si c'est un navire de guerre, il peut alors être confisqué, avec tout ce qu'il porte, par le belligérant lésé, et l'équipage peut être fait prisonnier de guerre, bien entendu à la condition que la culpabilité soit prouvée devant le tribunal compétent.

Cette manière de réprimer un armement échappé reste alors la seule, si l'État neutre, dont l'autorité a été bravée, avait usé de la diligence voulue et fait son possible, tout ce qui pouvait raisonnablement être attendu de lui, pour empêcher le fait. Sinon, et si le gouvernement impliqué a été fautif, si, par sa condescendance, ou sa négligence de poursuivre l'irrégularité, il en a été la cause, le belligérant lésé par l'aide apportée à son ennemi peut exiger par voie diplomatique une réparation avec des dommages-intérêts, et, en cas de refus, la prendre de force. En outre, il peut demander que les coupables qui sont du ressort de l'État neutre où l'acte fut exécuté, y soient régulièrement punis.

Dans toutes ces hypothèses, les prises faites par des navires illégalement armés sont illégitimes et doivent être restituées.

Les moyens de répression justifiés dans ces cas s'appuient sur : 1o la souveraineté de l'État neutre, d'où suivent son droit et son devoir de maintenir sa neutralité chez lui; 2° le droit de l'État belligérant d'exiger ce maintien, ainsi que ses conditions en vigilance et en répression, en tant que leur absence impliquerait une rupture de la neutralité à son préjudice.-Il résulte de ces fondements, qu'il faut qualifier d'erronée l'opinion selon laquelle la répression tout entière devrait du moins dans les cas où il ne s'agirait que d'armements faits par des particuliers - être restreinte à la seule saisie et confiscation de l'objet délictueux par le belligérant lésé qui le ren

contrerait par hasard hors du territoire neutre. Evidemment, cette manière de voir repose sur la supposition que l'action d'armer en pays neutre pour un belligérant, considérée en elle-même, exécutée par des particuliers et où le rôle de l'État ne serait que passif, une omission d'intervenir, ne pourrait revêtir le caractère de secours coupable tombant sous le coup des prescriptions contre les délits de neutralité proprement dits. Dès lors, l'objet armé est considéré comme un simple objet de commerce à l'instar d'un article quelconque de contrebande, l'armement comme une affaire privée, où l'ingérence positive de l'État ne serait guère justifiée, et où son devoir tout entier se limite à retirer sa protection au particulier qui s'exposerait par son imprudence aux saisies des belligérants'. Il est inutile de faire observer combien est peu rationnel ce système, qui, niant que l'État soit responsable du maintien de sa neutralité sur son propre territoire, concentre la question juridique dans celle de la spéculation commerciale et fait dépendre la répression uniquement des hasards de la guerre. Quelquefois, on retrouve le même système sous cette forme un peu modifiée, que les armements entrepris avec l'intention de porter immédiatement aide et secours à un belligérant, peuvent bien être traités et poursuivis comme de véritables délits de neutralité, mais que ceux qui ne sont faits que dans le but du profit, fût-ce même en pleine connaissance de la destina

1 Cette opinion se retrouve généralement chez les auteurs, amis des anciens usages de guerre maritime britanniques, qui veulent confondre les armements et équipements interdits avec les faits de contrebande et faire de ceux-ci de simples aventures commerciales en niant leur caractère de délit de neutralité, d'où il suivrait, que la répression et les poursuites déjà sur le territoire neutre équivaudraient à autant de restrictions indues dans le trafic neutre, du moment qu'il s'agirait d'actes faits par des particuliers et non par l'État. Dans la cause célèbre citée plus haut (p. 336, n. 2), le fameux juge américain Story déclare que lorsque les particuliers neutres expédient des navires de » guerre aux ports étrangers (même belligérants) pour être vendus, ce n'est là qu'une » aventure commerciale qu'aucun État n'est tenu d'empêcher. En général, voici les termes chez les positivistes anglais : « Les navires armés et équipés sont des articles de commerce. Les neutres peuvent les vendre à qui ils veulent, même aux belligérants, et où ils veulent, soit dans les ports neutres ou dans ceux des destinataires, bien › entendu avec le risque de les voir saisis comme contrebande de guerre s'ils sont surpris par l'ennemi hors des eaux neutres en chemin pour leur destination. Et le neutre » qui peut vendre un navire de guerre, peut aussi le construire sur commande, et la ⚫ commande elle-même devient ainsi licite »; etc. (V. Lorimer, Twiss, 1. 1. c. c. Hall, § 224; etc.) - Ainsi, un navire de guerre pourrait être construit, armé, équipé, etc., sur le territoire neutre, sur la commande et pour le compte d'un belligérant, et lui être livré, sans rupture de la neutralité et sans autre répression que « l'aventure, en observant seulement la petite précaution que les instructions de guerre ne fussent délivrées qu'en dehors du territoire!

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tion pour un belligérant, sont inoffensifs et seulement exposés aux saisies, non pas aux punitions. Au fond, le principe reste tout aussi irrationnel. Excuser une aide qui par son résultat est sciemment inconciliable avec le devoir d'abstention, par la seule raison que le motif est une spéculation, c'est ne regarder qu'un côté des deux qui composent l'acte. Il reste toujours celui du secours porté, qui est le même indépendamment du but de profit. D'ailleurs, l'armement ou l'équipement en pays neutre, qui compromet l'État, constitue comme tel un fait qui dépasse celui du simple transport de contrebande.

ARTICLE VI

CONTREBANDE DE GUERRE1

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Aperçu historique

La défense d'apporter à un belligérant certaines choses propres à l'usage de la guerre, est très ancienne. Depuis des temps immémoriaux, les peuples de l'antiquité qualifiaient de crime l'action d'aider un ennemi avec des armes, du fer ou d'autre attirail de guerre, ou des munitions. La transgression fut considérée à l'instar de haute trahison et punie de mort ou d'exil. Ainsi, les Romains stipulaient la peine de mort pour le fait de fournir des armes aux barbares, c'est-à-dire à un peuple quelconque non soumis à leur empire, car chaque peuple qui prétendait à l'indépendance de Rome fut traité en ennemi par eux. Comme par conséquent il n'existait pas de peuple neutre, le monde connu étant divisé entre l'Empire romain et ses vassaux ou tributaires d'une part, et de l'autre part ses ennemis, actuels ou éventuels, la loi de contrebande de guerre n'était pas, comme aujourd'hui, une loi pour les neutres. Elle était comme du reste toute autre loi à laquelle correspond de nos jours une loi de neutralité un règlement de la conduite des nationaux envers les ennemis. Le fait d'apporter aide et secours à ceux-ci, maintenant poursuivi comme contraire à la neutralité, fut poursuivi alors comme contraire au patrio

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1 Cet article est traité plus en détail : 1° quant à l'histoire, les législations et la littérature, dans la série des articles sur Le droit de la contrebande de guerre, par M. R. Kleen, Rev. de dr. int., t. XXV (1893), pp. 7, 127, 239, 389 et suiv.; 2o quant à la réglementation, dans la monographie De la contrebande de guerre, etc., par Richard Kleen, Paris 1893, pp. 19-221.

tisme: c'était trahir la patrie, car il s'agissait toujours d'un ennemi de celle-ci, non pas d'un ennemi d'une puissance amie. La réglementation appartenait en conséquence, non pas au droit international, mais au droit d'État.

Cette manière de voir se maintint sur tous les points essentiels à travers le moyen âge. On aurait bien pu supposer qu'elle se modifierait quelque peu sous l'influence naturelle de la création, à la fin de l'antiquité, d'une pluralité d'États mutuellement reconnus indépendants, d'où découlait la notion de la neutralité, savoir un rapport juridique existant entre des nations en paix et des nations en guerre, sans que celles-ci dussent considérer celles-là comme étant nécessairement ou vassaux ou ennemis. Ce nonobstant, et quoique la qualité de délit de neutralité en eût dû suivre logiquement chez les actes de contrebande de guerre, ceux-ci continuèrent encore longtemps à être rangés dans la catégorie des faits de haute trahison, des délits nationaux et non pas des délits internationaux. Bien des influences particulières de l'époque y contribuèrent, mais surtout les guerres de religion, qui opéraient une fusion morale des États, de telle sorte qu'un neutre qui avait la même foi qu'un belligérant, fut censé trahir leur cause commune par tout secours apporté à un ennemi adversaire de cette foi. Les premiers décrets de contrebande de guerre connus du moyen age furent portés pendant les Croisades, contre les ennemis de la chrétienté. Ces décrets, bien que nationaux, étaient donc dirigés contre des belligérants qui étaient regardés comme les ennemis aussi des nations chrétiennes qui restaient étrangères à la lutte. Même comme neutres celles-ci devaient, pensait-on, considérer un ennemi de l'Église comme un ennemi de la patrie. C'est pourquoi lorsque les papes interdirent, et que les conciles frappèrent d'excommunication et d'emprisonnement, le transport d'articles de guerre (armes, fer, munitions navales) aux Sarrasins, ennemis de tous les peuples chrétiens, y compris ceux qui restaient en paix parce qu'une raison quelconque pouvait les empêcher de prendre une part active aux hostilités, ceux-ci étaient envisagés comme liés aux belligérants chrétiens par la bannière commune de la Croix. Un délit de contrebande par lequel un sujet, même neutre et étranger, de cette bannière aidait un adversaire de la cause sainte, fut en conséquence qualifié de trahison, malgré les différences de nationalité. Mais comme, d'autre part, ces différences divisaient les membres de la communauté religieuse en États indépendants, une transition fut peu à peu préparée à la réglementation réellement internationale; elle n'attendait pour son application, que le moment où la lutte commune contre les infidèles céderait la place à des luttes entre les États chrétiens eux-mêmes. En attendant, le pas fut facilité par cette circonstance intermédiaire, que les alliés de la Croix,

tout en s'envisageant comme des frères d'armes, n'étaient pas compatriotes. Le délit de contrebande, même de caractère intérieur, était donc compris comme quelque chose de plus que national avant d'être nettement international.

On considérait comme articles de contrebande, pendant le moyen âge, non seulement les armes, mais encore les métaux servant à leur fabrication, les matériaux de fortification, les vivres même, c'est-à-dire diverses choses qui selon une limitation plus strictement rationnelle n'y appartiennent pas. La punition consistait en excommunication, amende, confiscation, et servitude en cas de surprise sur le fait '.

La transition graduelle de la notion de contrebande de guerre à la réglementation de la neutralité, et sa signification moderne de secours belliqueux par un neutre, furent appuyées par les fameuses règles maritimes du moyen âge, notamment Rôles d'Oléron et Visby Sjölag. Ces recueils contiennent des défenses contre les transports d'articles de guerre à un ennemi, tout spécialement sur le fondement juridique qu'une telle assistance ne se laisserait pas concilier avec la position de neutre. En revanche, sous un autre rapport, le point de vue moderne manque dans la manière dont les dites lois maritimes, surtout chez les Villes Hanséatiques, ont réglé la contrebande de guerre. Non seulement ces puissances maritimes, si redoutées alors, ne se sont pas contentées d'interdire à leurs propres

L'excommunication étant considérée comme la peine principale et la plus redoutable, le terme « contrebande a quelquefois été dérivé de l'expression latine contra bannum (contre ban, dans le sens d'interdit). Mais la dérivation de l'expression italienne contra bando (contre bandée, dans le sens d'ordonnance) est plus rationnelle. Car la notion de contrebande existait avant la contrebande de guerre le mot fut originaire. ment employé, déjà dans l'antiquité, dans le même sens à peu près que maintenant, pour indiquer dans le droit commercial une marchandise illicite quelconque (contre les ordonnances), soit dans le trafic, soit pour l'exportation ou l'importation, non pas seule. ment en guerre et comme secours à un ennemi, donc sans la moindre pensée au ban ou à l'excommunication, dont la notion fut liée celle de la contrebande de guerre à l'occasion des Croisades. D'ailleurs, il est plus naturel de supposer qu'un transport interdit soit appelé d'après l'action d'enfreindre une ordonnance que d'après le fait d'encourir une peine. Et la dérivation de l'italien est plus probable que celle du latin, Au moyen åge, la terminologie commerciale se forma en majeure partie dans les grands ports italiens de la Méditerranée, où virent le jour les premiers recueils des règles maritimes qui se sont répandues de là sur l'Europe méridionale. Le terme contrabbando se rencontre alors dans des décrets italiens de douane et de commerce, d'abord pour désigner une marchandise en général défendue. Plus tard, il fut transplanté au droit politique, dans l'expression contrebande de guerre, pour indiquer une marchandise défendue en guerre. Cette transposition paraît avoir eu lieu à peu près simultanément avec l'application de la notion de la contrebande de guerre dans sa signification moderne d'aide contraire à la neutralité, et ne se généralise que vers le XVII° siècle. Si le droit international a dù emprunter ainsi ses termes au droit commercial, c'est que les premiers édits de contrebande de guerre furent portés par les législations nationales en connexité avec les instructions concernant le commerce et la navigation neutres.

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