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impliquant un danger imminent, a le droit d'exiger satisfaction et réparation de toutes ses souffrances. Sur ses réclamations faites par voie officielle, le gouvernement du militaire qui avait commis l'excès sera obligé de punir celui-ci et de veiller à l'indemnisation des victimes.

L'exemption de la répression ordinaire en faveur des transports physiquement ou moralement forcés a été l'objet d'opinions assez diverses. Il a surtout été difficile de s'accorder sur la limite à tracer entre l'acte volontaire sujet à correction et l'acte involontaire excusable. En règle générale, on craint d'encourager les prétextes qui allèguent la violence pour excuse, car ils ne sont que trop commodes pour couvrir des machinations. Comment savoir, en effet, si la prétendue violence, du moins celle qui n'a pas eu pour résultat des souffrances physiques d'une certaine gravité, a été autre chose qu'une comédie, convenue d'avance entre le transportant et le belligérant favorisé? La preuve du contraire devient ici extraordinairement difficile. D'ailleurs il a été remarqué, non sans raison, qu'il appartient aux neutres de maintenir et défendre eux-mêmes leur neutralité contre la violence, et de s'en tenir pour celle-ci à ceux qui l'ont commise, plutôt que d'implorer l'indulgence du belligérant lésé. Celui-ci, de son côté, a le droit de s'en tenir au transport illégal dans sa forme extérieure et ses effets: il n'a pas besoin de s'inquiéter des motifs. D'autre part il a été remarqué, avec non moins de raison, combien serait injuste la punition d'un acte involontaire, surtout à l'égard de la victime d'une violence 2. Il nous semble, que cette dernière raison pour excuser les transports forcés se laisse parfaitement concilier avec les raisons précitées, alléguées en faveur des belligérants lésés, par l'adoption du principe qui exclut toute répression comme telle du moment que la violence a été irrésistible, mais uniquement alors, et qui reconnaît du reste aux victimes violentées toute réparation équitable non seulement des outrages et mauvais traitements, mais encore pour les dommages et pertes qui résultent de ce que la partie lésée dans la guerre ne saurait être privée du droit de saisie au degré appartenant

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1 Wheaton, § 25; Hautefeuille, t. II, pp. 453 et suiv., 466 et suiv.; Phillimore, § 272. La pratique de prise en Angleterre parait y adhérer (v. Robinson, t. IV, pp. 256, 259; t. VI, pp. 430, 436).

2 Heffter, § 161 a; Gessner, pp. 112, 115, 160; Hall, p. 629, n.; Fiore, § 1602.

à la stricte légitime défense. Car, il serait difficile de refuser au belligérant le droit de s'emparer, du moins provisoirement, d'un navire qui, sous la direction de l'ennemi, effectuerait des transports illégaux et préjudiciables à ses intérêts légitimes dans la guerre, alors qu'il lui eût été permis d'appliquer le droit de prise entier à ce même navire s'il était resté dans la possession du neutre. Le maximum de restriction au dit droit, que comporte la différence des circonstances dans une situation pareille, semble consister dans le devoir de restituer le navire à l'armateur, au cas que l'innocence de celui-ci et du patron qui le représente fût pleinement démontrée. Dans l'intervalle, le transport surpris dans des mains ennemies ne peut guère s'attendre à quelque traitement autre ou meilleur que celui que subit tout instrument militaire employé aux hostilités par un adversaire. D'autre part, le tort infligé au neutre doit être réparé par nul autre que celui qui a commis la violence contre lui. Le malfaiteur ayant agi au nom du gouvernement belligérant favorisé par le fait, ce gouvernement ne peut pas se soustraire à l'obligation de répondre en dernière main de ce que redressement et dédommagement pleins et entiers soient accordés '.

Si donc les transports illégitimes ne peuvent que dans une mesure relative échapper aux conséquences de leurs actes en alléguant une contrainte, ils le pourront moins encore au moyen de quelque prétexte de leurs auteurs d'y avoir été induits par une ruse ou un dol. Il incombe à chacun de se prémunir lui-même contre la ruse; et il est présumé, en règle générale, qu'une prudence ordinaire suffit pour exclure au moins le danger d'être entraîné à des actions volontaires défendues. Ainsi, par exemple, un patron qui a transporté illégalement des dépêches ou des militaires, ne peut pas se disculper en disant simplement que les dépêches lui avaient été données avec l'assurance qu'elles n'étaient que des correspondances ordinaires, ou qu'elles ne contenaient « rien d'important », etc., alors qu'elles étaient pourtant envoyées entre les autorités d'un belligérant, chez lui, et en dehors du trafic régulier; ou bien, que les militaires s'étaient furtivement glissés entre les passagers transportés d'une station militaire à l'autre du belligérant. Il appartient

L'ordonnance suédoise du 8 avril 1834 exige que le patron qui veut se soustraire aux conséquences d'un service de transport (de dépêches, troupes ou articles de guerre) rendu à une puissance belligérante, ait formellement protesté contre la contrainte subie par lui, et que cette contrainte ait été réelle.

à tout commandant de navire, qui se trouve dans des conditions où certains transports pourraient devenir contraires à la neutralité de son pays, d'être attentif, et de contrôler ce qui est reçu à bord et ce qui s'y passe, ouvertement ou non. S'il néglige cette attention, il ne saurait se soustraire aux conséquences de son omission.

Certes, il y a des nuances dans la culpabilité, d'après la grandeur de la faute. La négligence, même grave, peut être corrigée moins sévèrement que l'intention, et l'inadvertance légère peut être excusée.

Aussi, dans la pratique, des transports quoiqu'illegitimes ont-ils été acquittés, lorsqu'il a été prouvé que le capitaine du navire avait fait de son mieux, en usant de toute vigilance, et qu'il avait été trompé par une manœuvre dolosive dont la découverte eût demandé une perspicacité extraordinaire; ainsi, par exemple, si les personnes transportées avaient été déguisées, des dépêches cachées, etc. 1.

Par contre, la négligence n'a pas été excusée, lorsqu'il résultait des circonstances qu'elle aurait pu être facilement évitée avec une vigilance ordinaire, plus encore si elle a été poussée jusqu'au laisser-aller nonchalant qui diffère peu de la bravade. Bien des faits peuvent se passer dans des circonstances semblables. Ainsi, par exemple, un capitaine peut négliger absolument de s'informer de la nature des correspondances et du caractère des commissions et des buts des personnes transportées par lui entre deux stations d'un belligérant, tout près du théâtre des hostilités, ou sur une ligne qui est notoirement prise pour les opérations de guerre. Ou bien il peut, après avoir découvert, pendant le transport même, ses conditions illégales, persister néanmoins à le conduire jusqu'à destination. Ou bien encore il peut, étant soumis au droit de visite, refuser de fournir les renseignements requis sur les passagers, cacher des objets, etc. Dans les cas douteux, on présume la connaissance plutôt que l'ignorance. Le capitaine qui prétend être victime d'un dol, doit prouver que la découverte de celui-ci était particulièrement difficile et qu'il a ignoré le fait malgré une attention sérieuse.

1 V. Robinson, t. VI, pp. 456-457. - Le degré de surveillance, exigé pour exclure la responsabilité, est à raison du danger et de la connaissance présumée de son existence. On demande, par exemple, plus d'attention et de contrôle sur une ligne qui lie deux stations militaires, armées, flottes ou autorités officielles d'un belligérant, que sur une ligne entre deux de ses ports ordinaires; la responsabilité est plus grande où il y a lieu de présumer des hostilités dans le voisinage, que sur des routes très éloignées des opérations, etc.

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CHAPITRE II

ABUS DE TERRITOIRE NEUTRE

§ 112 Devoir de l'État

L'État neutre doit défendre et réprimer tout acte par lequel son territoire servirait de base aux opérations ou autrement de moyen aux buts de la guerre1.

Les transgressions de la neutralité traitées dans le chapitre précédent consistaient généralement à apporter, transporter ou fournir à un belligérant, ou pour son compte, des personnes ou des choses réputées secours de guerre. Au contraire, les transgressions traitées dans ce chapitre sont celles qui consistent à ouvrir ou céder le territoire neutre pour être employé à quelque fin qui favoriserait les hostilités. Là, c'étaient non seulement les gouvernements mais encore et surtout les particuliers qui figuraient comme transgresseurs, et le rôle du neutre contrevenant était essentiellement actif. Ici, ce rôle est plutôt passif, et, règle générale, c'est le gouvernement qui est le coupable. En effet, c'est lui qui dispose des places et points, sur lesquels la souveraineté de l'État s'exerce et dont la concession impliquerait une grande partie des fautes ici en question; c'est lui qui domine sur le territoire et les eaux, dont les abus en constitueraient l'autre partie; et il lui appartient, à lui et non aux particuliers, de veiller à ce que les possessions de l'État restent intactes des hostilités et en dehors des desseins de la guerre. Rarement, par exception seulement (par exemple en concédant aux belligérants le droit de tenir des dépôts de munitions sur des places neutres), ces sortes de devoirs d'abstention peuvent être rompus aussi par les particuliers. Mais encore dans ces cas, le gouvernement en

1 Cp. Tabl. gén., p. 162, I.

est responsable en dernier lieu, notamment envers l'étranger et les belligérants. Car, c'est au gouvernement de tenir les sujets à l'observation de la neutralité sur le territoire, d'empêcher et réprimer les abus de celui-ci. Cela d'autant, que la partie lésée dans la guerre ne peut pas, quand il s'agit de délits de neutralité qui se passent dans l'intérieur du pays neutre, se rendre la justice elle-même en attaquant les contrevenants, comme cela se pratique à l'occasion des aides et renforts actifs (faits de contrebande, services de transport, etc.) qui ont lieu et peuvent être réprimés dans la haute mer ou sur le théâtre de la guerre, et que l'extradition ne peut pas, non plus, être demandée par un belligérant lésé pour des délits commis par un neutre dans son propre pays. Le territoire neutre étant fermé aux belligérants, ils sont obligés de s'adresser à l'État neutre pour l'exécution et la réparation. Cet État répond alors, non seulement de sa propre négligence, mais encore de la rupture de neutralité qui s'est effectuée chez lui, que l'agent coupable soit un ressortissant ou la partie adverse dans la guerre.

Les devoirs d'abstention de cette catégorie sont fondés sur le principe que la guerre et les actions y relatives ne doivent pas être portées en pays neutre, et que la jouissance des avantages de la neutralité suppose la condition que les États neutres tiennent les dites actions éloignées de leur domaine, ce qu'ils ne feraient pas s'ils permettaient que leurs territoires fussent employés au but d'appuyer les opérations, les hostilités ou autres actes relevant du droit de la guerre.

Presque chaque guerre place plusieurs États neutres, par suite de leur situation géographique, dans une position où ils pourraient facilement aider les belligérants ou l'un d'eux, s'ils leur permettaient de traverser les territoires neutres, y occuper des places, s'y retirer devant l'ennemi, y organiser des dépôts, utiliser les ports, etc. Il est évident que tout État neutre, qui offrirait ainsi à un belligérant un refuge chez lui contre les attaques de l'ennemi, pour en sortir et opérer à loisir ou après s'être renforcé sous l'égide du territoire inviolable, en se servant de celui-ci pour surprendre l'ennemi aux moments les plus favorables, cesserait d'être neutre, et cela, indépendamment de tout traité, usage, ou concession bilatérale '. Convenir de telles faveurs, fùt-ce encore d'avance, ce serait

1 Cp. Heffter, § 147; Bluntschli, §§ 769, 777; Calvo, § 1073; Field, § 964, 3; Hall, § 221.

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