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les deux parties. Cette juridiction serait exercée, non pas par des organes nationaux et au hasard, en faveur et selon le désir arbitraire de l'un ou de l'autre des belligérants, mais par des tribunaux d'organisation internationale et d'une manière régulière. En attendant cette réforme, et tant que la procédure de prise manque de garanties réelles d'impartialité, étant abandonnée au gré du belligérant intéressé, l'accès du territoire neutre avec recours aux tribunaux y établis doit être interdit aux capteurs. L'État neutre ne saurait permettre, que les belligérants se servissent de ses institutions judiciaires tout comme si celles-ci ressortissaient à leur domination : ces institutions relèvent de sa propre juridiction, ou bien d'une juridiction internationale où il entre comme membre. Toute prise non encore confirmée par un tribunal compétent siégeant hors du territoire neutre, conformément à la réglementation internationale 1, est donc considérée par l'État neutre comme appartenant à son propriétaire originaire; car les actes de prise eux-mêmes sont des hostilités, des actes de guerre, et le neutre doit rester étranger à ces actes tant qu'ils ne sont pas encore régularisés par quelque procédure qui leur confère le caractère international.

Ces principes sont de nos jours généralement reconnus, tant par les législations que par la doctrine. Ils ne diminuent en rien le droit de l'État neutre de faire examiner et juger par ses propres tribunaux l'illégalité du butin et des prises faits par un belligérant sur les territoires neutres en y violant la souveraineté. Alors, la juridiction s'exerce au nom du neutre lui-même et non pas à celui du belligérant. Loin de contribuer à une extension indue du droit de butin et de prise, elle contribue au contraire à en restreindre les abus. Elle ne s'ingère pas dans le droit de la guerre, elle ne fait que protéger le droit de la neutralité 3.

1 Selon elle, l'instruction et la première instance relèvent de la souveraineté belligérante (Règl. int. des prises, §§ 58, 63, 85).

2 V. G.-F. de Martens, §§ 317, 322; Wheaton, § 13; Heffter, § 147; Woolsey, § 169; Bulmerincq, § 92, p. 359.

Cp. Kent, p. 307; Heffter, § 172; Neumann, p. 135.

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CHAPITRE III

INGÉRENCE DANS LA GUERRE OU SES OPÉRATIONS

(HORS DU TERRITOIRE NEUTRE)

ARTICLE PREMIER

BLOCUS1

Aperçu historique

Pour trouver l'origine du blocus comme moyen de guerre, il faut remonter jusqu'à la haute antiquité. On le retrouve partout et à toutes les époques, employé par les belligérants et reconnu par les neutres. Ce qui a été contesté dans le blocus, ce n'est pas son principe, mais ses conditions et ses effets: à peine est-on aujourd'hui d'accord à ce sujet. Cependant, le droit de bloquer a toujours été censé impliquer celui d'empêcher aux tiers l'accès des lieux investis. Grotius raconte, que déjà environ trois siècles avant notre ère, le roi Demetrius bloqua Athènes pour forcer la ville à la reddition par la disette, et qu'il fit pendre le capitaine et le pilote d'un navire qui avaient tenté d'enfreindre le blocus pour approvisionner la ville (cap. I, § 5, 5).

Toutefois, le blocus antique se distingue essentiellement du blocus moderne. Dans l'antiquité, l'investissement semble n'avoir eu pour objet qu'un point, une place ou une ville, et avoir été plus ou moins uni au siège. Avant l'attaque ou l'assaut, le lieu assiégé fut réduit à l'extrémité au moyen du blocus. Dans cette forme primitive, le blocus paraît avoir été employé dans la plupart des guerres maritimes de tous les âges. Au con

1 Bien que les questions relatives au droit de blocus ne rentrent directement dans le sujet de ce chapitre que par rapport au devoir des neutres de le respecter et de ne pas s'ingérer dans l'opération, la connexion exige un exposé du blocus dans toutes les parties de la matière.

traire, comme moyen de guerre indépendant, sans connexion nécessaire avec les sièges, et appliqué dans le but spécial d'isoler une contrée ennemie, l'on ne le retrouve guère avant la naissance des flottes militaires au commencement de l'âge moderne et leur armement adapté aux stationnements. Un peu plus tard, vers l'époque de la guerre de Trente ans, il fut plus systématiquement développé. Alors, les belligérants s'en servent pour justifier leurs interdictions absolues de tout commerce entre les neutres et l'ennemi, en faisant surveiller les côtes de celui-ci par des croiseurs. En même temps, le droit de blocus devient l'objet d'une véritable réglementation juridique, propre à lui et indépendante des règles de siège. Les problèmes y relatifs sont posés et résolus en connexion avec les causes, devenues de plus en plus fréquentes, de fermeture de ports ennemis, pendant les violentes guerres maritimes de cette époque entre l'Angleterre, la Hollande et l'Espagne. Les Hollandais firent un usage avantageux du moyen de blocus pendant leur guerre d'indépendance contre l'Espagne, parce que des ports espagnols se trouvaient à leur proximité, très éloignés de la métropole. Le décret hollandais du 26 juin 1630, promulgué déjà avant l'indépendance, dans le but de régler un blocus des ports de Flandre relevant de la domination espagnole, est considéré comme la première législation nationale du blocus moderne. En effet, on y trouve ses premières règles définies.

Cependant, le droit de blocus resta encore longtemps à l'état vague, et quant à sa forme, et quant à ses moyens répressifs. L'action, réputée plus ou moins contraire à la neutralité, d'approvisionner une place bloquée, fut jugée d'après les circonstances, surtout d'après les chances du belligérant bloquant d'avoir pu autrement réduire l'ennemi par la famine, ses sacrifices voués à l'investissement, la probabilité de la capitulation, etc.; et la violation du blocus fut réprimée à raison du dommage causé par elle (ib., 3). Et ce qui fut un plus grand mal pour les neutres les exigences quant aux conditions que devait remplir le belligérant pour que le blocus fût réputé valable, n'étaient pas moins vagues. Déjà maintenant, quelques puissances commencent à se servir de simples déclarations de blocus, comme prétexte pour obstruer tout trafic quelconque entre les neutres et l'ennemi, que les côtes de celui-ci fussent en réalité bloquées ou non. Tantôt, elles étaient gardées seulement par quelques croiseurs allant de long en large, mais qui traitaient néanmoins de délinquant tout navire neutre surpris à destination ennemie. Tantôt, la côte entière fut déclarée fermée à tout trafic, quoiqu'en réalité elle n'était point du tout bloquée.

Ces abus manifestes du blocus, à l'aide desquels le commerce neutre fut pour ainsi dire supprimé, remplissent les pages de l'histoire des

guerres maritimes jusqu'à la campagne de Crimée. Alors, la France entraîna l'Angleterre à une démarche commune, visant à ne reconnaître que les blocus réels. Enfin, le Congrès de Paris adopta, en 1856, une disposition par laquelle les blocus ne doivent obliger les neutres qu'à la condition d'être assez complets pour que l'accès des lieux fermés soit en réalité empêché (v. infrà, sous § 129).

Il est vrai que, comme on le verra plus loin (ib.), même la règle de 1856, rédigée en termes qui prêtent à l'ambiguité, ne contient pas une garantie suffisante contre tous les abus. Il n'est que trop à craindre que les blocus, qui de tout temps étaient pour les marines militaires colossales un moyen d'écraser les marines marchandes rivales et de saisir l'occasion de la guerre pour favoriser certains intérêts matériels aux dépens des droits d'autres nations, ne puissent servir des desseins semblables encore à l'avenir, si l'occasion s'en présente et qu'une guerre maritime d'une certaine étendue en favorise l'application.

Malgré ces imperfections, le blocus, comme moyen pour un belligérant d'isoler son ennemi en lui coupant tout trafic et commerce, même le plus pacifique, avec le reste du monde du côté fermé, est positivement reconnu valable par le droit international moderne. Or, tant que dure cette reconnaissance sans des garanties suffisantes pour la qualité effective des blocus par une définition qui, mieux qu'à présent, puisse préciser ce qu'il faut entendre par une force bloquante, et tant que le maintien permanent et non interrompu de celle-ci devant les lieux fermés n'est point exigé en termes non équivoques, le droit de blocus demeure une menace contre le commerce pacifique des neutres, sans constituer pour le résultat de guerre quelque avantage qui pourrait compenser les inconvénients. Et, tandis que la loi de contrebande n'est qu'un empêchement à un commerce très spécial, le blocus est une obstruction. L'opinion d'aujourd'hui, s'appuyant sur l'incompatibilité d'une telle obstruction avec les exigences du commerce universel, qui ne souffre de restriction que pour telle exception, et avec le principe que la guerre doit respecter tout commerce neutre de nature pacifique, demande la suppression des blocus commerciaux contre les neutres. Mais c'est là une opinion qui, pour se faire valoir, aura besoin de preuves, qui ne peuvent être fournies que par les dévastations ruinantes des blocus d'une grande guerre contemporaine sur mer.

Littérature

La doctrine a dû chercher quelque fondement acceptable pour justifier, ou du moins excuser, un moyen de guerre aussi peu juridique que le blocus acte qui implique un reniement du droit, reconnu aux États entre

lesquels la paix n'est pas troublée, de faire, les uns avec les autres, du commerce qui n'a avec la guerre rien de commun. Ce fondement a été cherché diversement, mais surtout dans les deux prétendus droits de nécessité et de conquête.

1. Droit de nécessité.

Autrefois, ce soi-disant droit fut fréquemment allégué pour couvrir toutes sortes d'extravagances des belligérants, qui manquaient d'autres excuses. Le fait que, en ce qui concerne spécialement le blocus, il a fallu avoir recours à ce prétexte, qui fait taire d'avance tout raisonnement, prouve combien on a été embarrassé à trouver une justification. Cette échappatoire fut notamment employée par Grotius et Vattel, et par ceux qui, à leur exemple, ont considéré le règlement de la neutralité exclusivement du point de vue des belligérants. Encore de notre époque, quelques auteurs se sont rangés du même parti.

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Grotius prétend justifier le blocus par la nécessité « quand je ne puis » me défendre autrement ». Évidemment, sous le terme de « défense >> on entend ici ce que le belligérant lui-même considère comme telle. Grotius fait dériver le devoir imposé au neutre de respecter le blocus, non de quelque principe de neutralité, mais de la chance du belligérant de prendre une place ou de gagner autrement son but, et il fait dériver l'illégalité de la violation d'un blocus exclusivement de l'obstacle mis par là à l'exécution des desseins du belligérant. Bynkershoek répète ces motifs, à peu près. « Du moment qu'une place se trouve dans une situation pareille » (bloquée), « l'importation devient illégitime, puisque sans elle les bloqués » pourraient être contraints à la reddition. S'il était permis de leur fournir » des nécessités, le belligérant pourrait bien être forcé à supprimer le » blocus; cela pourrait lui nuire et serait par conséquent injuste. » Et comme personne ne peut connaître les besoins des bloqués, Bynkershoek pense qu'il vaut mieux que la loi défende tout trafic avec eux, « pour >> mettre une fin aux controverses ». Un droit de nécessité analogue est conféré au belligérant par ces mots de Vattel : « Quand je tiens une place » (assiégée, ou seulement) bloquée, je suis en droit d'empêcher que per» sonne n'y entre, et de traiter en ennemi quiconque entreprend d'y en» trer sans ma permission, ou d'y porter quoi que ce soit : car il s'oppose » à mon entreprise, il peut contribuer à la faire échouer... ».

On le voit, nulle part il n'est ici question de devoirs de neutre procédant de raisons puisées dans la nature juridique et dans les exigences de la neutralité elle-même comme telle; les raisons sont exclusivement rattachées aux convenances des belligérants. De nos jours, cette manière unilatérale de juger le blocus a été reprise par Twiss. Selon lui, lorsque le belligérant ferme tout accès de son ennemi, il ne fait que choisir une forme d'hostilités plus douce que celle qui consisterait dans l'attaque et

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