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dehors de l'action que le microbe de la peste pouvait avoir sur ces animaux et que par conséquent l'expérience ne pouvait être concluante.

Le D' Hankin remplit les fonctions de médecin légiste à Agra, où il est chargé principalement de rechercher les traces d'empoisonnements criminels qui sont, paraît-il, nombreux dans ces régions des Indes, et il a été appelé à Bombay après l'éclosion de l'épidémie de peste.

Il serait utile que ces expériences fussent contrôlées par d'autres recherches.

En admettant que le résultat des expériences du Dr Hankin soit confirmé et qu'il soit prouvé scientifiquement que le microbe de la peste ne peut subsister vivant dans les grains ni dans leur enveloppe plus de treize jours, en résulterait-il pour cela que les grains provenant d'une région contaminée pourraient être exportés sans danger dans un autre pays à la condition que le voyage de transport dure au minimum treize jours? C'est la conclusion qu'on semble admettre aux Indes comme indiscutable et peut-être dans le but de ne pas porter de préjudice au commerce d'exportation des grains.

D'un autre côté, on a exprimé la crainte que les rats vivants qui se trouvent toujours à bord des navires transportant des grains, surtout du blé, ne se transmettent l'épidémie de l'un à l'autre pendant la traversée, et on en a conclu que même si les expériences de laboratoire du Dr Hankin étaient confirmées scientifiquement, cela ne voudrait pas dire que, dans la pratique, le transport des grains ne présente aucun danger.

Ces craintes nous semblent tout à fait excessives.

V

Rôle du sol, des eaux et de l'air dans la transmission de la peste.

La présence du contage dans les grands milieux, notamment dans le sol, constitue un des faits les plus intéressants dont la science épidémiologique est redevable aux observations récentes. Ce fait nous rend compte des influences locales depuis longtemps constatées. Il nous explique pourquoi la peste se répand difficilement, tandis que le choléra, comme l'a dit notre collègue à la Conférence de Venise, M. Thorne, se propage le long des voies de communication humaine, et surtout le long des voies fluviales, avec une rapidité qui souvent échappe à tout contrôle.

Attaché au sol souillé des habitations dépourvues do pavé, de plancher, le microbe semble perdre sa virulence quand il vit en saprophyte. On peut hésiter, dès lors, à considérer comme dangereux ou suspects des ballots de marchandises qui auraient séjourné sur les quais loin des quartiers infectés.

Ce peu de résistance du microbe est en opposition avec certains faits. Ainsi Trincavelli rapporte qu'un domestique mourut de la peste après avoir tiré d'un coffre des cordes qui avaient servi à enterrer des pestiférés vingt ans avant. Ce décès fut le point de départ d'une épidémie qui coûta la vie à 10 000 personnes.

Sumert rapporte que la peste fut communiquée à Breslau en 1553 par des hardes qui étaient renfermées depuis onze ans. Mais ces objets étaient enfermés à l'abri

de l'air.

D'autre part, il n'a pas été démontré jusqu'ici que les eaux aient servi à la dissémination du germe de la maladie.

D'après Hodges, pendant l'épidémie de Londres. de 1665, 10 000 personnes environ restèrent à bord des navires et des barques à l'ancre dans la Tamise sans qu'il y eût un cas de peste parmi elles.

En 1813, les bateaux amarrés dans le port de la Valette restèrent à l'abri du fléau qui régnait à Malte.

A Pakhoi, il y a eu très peu de cas dans la rue qui longe la mer.

A Canton, en 1894, il n'y eut aucun cas de peste sur 80 000 Chinois environ habitant les bateaux et les pon

tons.

La Conférence de Venise a jugé néanmoins prudent de recommander une surveillance rigoureuse sur l'eau potable, puisque la longue persistance du bacille y semble prouvée par certaines expériences.

Enfin, les observations récentes et anciennes montrent que le principe générateur de la peste perd rapidement à l'air son activité morbifique. Elle ne se transmet donc pas à de longues distances par les courants atmosphériques et la contagion ne paraît agir que dans un rayon limité. La faible résistance du germe à la dessiccation, aux actions germicides en général, démontrée par les expériences de laboratoire, vient confirmer ces données depuis longtemps admises par les épidémiologistes.

On a raconté que les pharmaciens du grand hôpital du Caire qui se préservaient avec une grande prudence de tout contact suspect lorsqu'ils se rendaient dans les salles pour y faire leur service, ont été atteints de la peste dans une proportion très considérable (1835). La transmission dans ce cas pouvait avoir lieu par l'air chargé de

germes pestilentiels; mais est-il bien certain qu'il n'y avait aucun contact avec les matières pesteuses et que tous les soins de propreté étaient pris. Il n'y avait aussi aucune désinfection. Les maisons voisines de l'hôpital ne furent pas plus affectées que les autres.

Quoi qu'il en soit, la transmission par l'air ne s'exerce que dans un rayon limité. Desgenettes se montrait très sceptique à l'endroit de la contagion par l'air. «< Un simple fossé arrête la contagion », dit-il dans ses relations. On peut affirmer en effet que la peste ne passe jamais d'un pays à un autre sans qu'il existe un agent intermédiaire saisissable. La peste s'attache aux pas des voyageurs; l'homme est son principal agent de transmission. Mertens a bien apprécié ce côté de la question, quand il a dit que l'air libre ne devient jamais contagieux, sinon dans le voisinage des places où plusieurs cadavres d'hommes restent sans sépulture et pourrissent; il a ajouté que l'air renfermé et chargé d'exhalaisons épaisses qui sortent du corps de malades entassés dans une même chambre, peut infecter les gens sains qui y entrent.

Lorsqu'un grand nombre de personnes malades de la peste sont réunies dans un local, elles semblent, dit le D' Laidlaw, créer une atmosphère pestilentielle. Quand un cas de peste a existé dans une maison, tous ses habitants courent le plus grand risque d'être atteints par la peste s'ils continuent à y résider. N'est-ce pas là une de ces épidémies de maison que nous avons observées à Bombay. Dans le court espace de deux mois, dit Grassi, je vis en 1835 sortir 57 morts de la maison Hingiosman. L'ancien bey de Titeri, retiré à Alexandrie, a perdu la même année 35 personnes composant sa mai

son.

Les germes pesteux dégagés dans l'appartement du

malade exercent leur action sur les personnes saines, et la peste compte souvent autant de victimes qu'il y a d'habitants dans la maison. Mais est-ce toujours par l'air?

La durée de l'action, c'est-à-dire le temps pendant lequel on s'expose aux émanations productrices de la maladie, a en effet une grande importance. Le D' Rigaud, mourant à Alexandrie de la peste, en 1835, disait à de Lesseps qui le visitait « Venez me voir vingt fois par jour si vous le pouvez, mais ne restez jamais plus de cinq minutes dans ma chambre. »

Desgenettes remarque également qu'un long séjour dans les hôpitaux était une cause de contagion; mais je ne veux pas insister sur tous ces faits; cette action, d'ailleurs, a été parfaitement comprise par la plupart des médecins à Constantinople et en Égypte. Cette opi

nion a même été la base de mesures sanitaires extrêmement sages dans différents pays, en Italie et en Turquie.

A Rome, pendant la peste de 1657, le cardinal Gastaldy avait interdit à tous pestiférés et même à toutes personnes de santé suspecte de rester dans leurs maisons. On les transportait promptement dans l'hôpital bâti dans l'île qui divise le Tibre. Quant à ceux qui avaient habité la même maison, on les plaçait dans d'autres hôpitaux à portée de la ville, d'où on les faisait passer dans l'ile quand la maladie s'était déclarée. Pendant ce temps le cardinal avait grand soin de faire sortir de la maison infectée tous les meubles, de les exposer à l'air libre et de laisser les appartements ouverts afin de les purifier. Mais ce qui mérite le plus d'attention, dit Mead (1), c'est qu'on avait positivement observé, avant ces règlements, que la maladie ne se décla

(1) Mead, Traité de la peste, Paris, 1801, p. 207.

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