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ONZIÈME LEÇON

PERSE.

Au mois d'août 1894 M. le Dr Schneider, [médecin français, attaché à la légation de France à Téhéran et médecin de Sa Majesté le Chah, faisait adopter par ce souverain un règlement de police sanitaire ayant pour but de protéger le territoire de la Perse contre l'invasion éventuelle de la peste régnant dans certains ports de la Chine.

Ce travail avait été préparé sur la demande de divers États, notamment de la Russie et de l'Autriche-Hongrie, justement inquiets de la marche possible de l'épidémie à travers la Perse.

M. Schneider a obtenu du Chah l'adoption de règles d'hygiène et de prophylaxie conformes à la science moderne, sans cependant trop contrarier les préjugés administratifs et religieux de la population persane qui est, en presque totalité, musulmane schiite.

Les prescriptions du règlement ont d'ailleurs été établies d'après une lettre au grand vizir (Sadreazame) suivant les principes de la Convention de Paris du 3 avril 1894 contre l'invasion du choléra.

Le règlement est précédé des considérations suivantes : 1° La peste, étant un fléau plus cruel encore que le choléra, il importe que les gouverneurs et les médecins.

sanitaires fassent tout leur possible chacun dans sa sphère d'action pour s'opposer à l'invasion de cette terrible maladie, qui actuellement ravage les ports de la Chine, et pourrait par conséquent être apportée de là dans ceux du golfe Persique et sur tout le territoire de l'Empire.

2o En raison de la nature des relations commerciales de la Perse avec la Chine, ce sont le port de Bender Abbas et les villes de Yezd, Sabzvar et Mesched qui paraissent tout d'abord devoir être surveillés, et protégés, puisque c'est par ce port et ces villes que débarquent et cheminent ordinairement les marchandises chinoises et notamment le thé, destinés au Turkestan, au Koraçan ainsi qu'aux provinces russes transcaspiennes.

Mais il a été reconnu indispensable d'appliquer les mêmes mesures de défense à tous les ports du golfe Persique et aux villes par lesquelles pourraient passer les caravanes de pénétration, afin d'éviter les fraudes et d'empêcher que les bateaux fuyant les ports protégés ne débarquent leurs marchandises sur d'autres points de la côte (1).

Le règlement renferme une série de dispositions d'ordre technique sur le détail desquelles je n'ai pas à entrer ici, il est précédé des lignes suivantes :

« Sa Majesté Impériale Nasser Eddine Chah, roi de Perse, dans le but de protéger son Empire et par suite les pays voisins, contre l'invasion du fléau de la Peste, ordonne, à la date d'aujourd'hui vingt-quatrième jour du mois de Moharrem de l'année 1312 de l'Hégire, à tous les gouverneurs des provinces, des villes ou des ports de la Perse, ainsi qu'aux médecins sanitaires, d'observer eux

(1) Voir la leçon consacrée à la défense du golfe Persique.

mêmes et de faire observer strictement les règles d'hygiène et de prophylaxie suivantes... »

Ainsi que nous l'avons vu, la Perse peut être envahie, et par la voie de terre Hérat et Meched au nord, et par le golfe Persique au sud.

:

M. le Dr Tholozan dans un rapport adressé au roi de Perse en 1869 s'exprimait ainsi :

((

L'esprit des Persans depuis mille ans jusqu'aujourd'hui est coulé dans le même moule.

<«< Leur médecine, leur hygiène est la même qu'on enseignait en Europe il y a trois cents ans. Comment s'étonner que la Perse se montre aussi réfractaire aux connaissances et aux principes scientifiques nouveaux? »

En effet, l'habitude d'universelle obéissance a laissé dans la Perse comme dans tout l'Orient une civilisation immuable.<«< Les vêtements, dit Montesquieu, y sont tels qu'il y a mille ans. Les mœurs n'y sont pas plus changeantes. » Dans toutes les grandes choses qui constituent la vie des peuples, le génie oriental est resté en arrière des besoins et des destinées du genre humain.

Certains usages, certains préceptes populaires, qui sont en rapport avec les climats et les mœurs du pays, subsistent en Perse ainsi, l'habitude de l'émigration annuelle vers les montagnes aux approches de la saison chaude. le soin ingénieux que les Persans mettent à pourvoir à la conservation et au bon marché de la glace. Mais à côté de ces quelques pratiques heureuses, que de funestes coutumes, et quelles lacunes dans l'hygiène!

L'eau est amenée dans les villes par un système de canalisation nommé Khanats. Le point d'origine étant pris ordinairement au pied de la montagne et relié par une galerie avec une série de puits creusés verticalement jusqu'à la pénétration en ville, il n'existe guère d'eau

potable distincte de cette eau qui circule à ciel ouvert ; c'est dans ces canaux que les habitants viennent laver leur linge, leurs hardes, etc.

Une boue noire composée d'argile et de matières organiques en décomposition se rencontre au fond des rares réservoirs d'eau potable.

Il existe bien en Perse un certain nombre de bassins qui procurent une fraîcheur délicieuse, bassins avec bordure en marbre, d'une grande élégance, dont l'eau, d'une transparence limpide, se renouvelle incessamment. Mais ces réservoirs placés au milieu de jardins magnifiques sont le privilège exclusif des palais du Chah.

A la séance du 23 février 1891 du Conseil sanitaire de Téhéran le Dr Basil lut un projet de Règlement sanitaire pour la ville de Téhéran, destiné à être soumis à l'approbation du Roi.

Ce projet prévoit la création d'un Ministère de la Santé publique! et ayant sous son autorité un médecin Inspecteur en chef et un Ingénieur, ainsi que 6 médecins Inspecteurs, un par division de Police, chargés de surveiller l'exécution des mesures sanitaires dans la ville. Le projet de règlement demande, en outre, la protection de l'eau potable, la création de lavoirs, l'emploi d'abattoirs spéciaux, de latrines publiques, la surveillance des bains, l'enlèvement des boues et immondices des rues, la déclaration des naissances, des décès, des maladies contagieuses, etc. Le Conseil de Santé approuve à l'unanimité le principe de ce règlement, mais, ce qui était sage, il décide qu'en raison de l'imminence du danger et sans attendre la création et le fonctionnement du Ministère de la Santé publique, il y a lieu de demander au gouvernement persan

de prescrire d'urgence les mesures sanitaires suivantes: 1° Nettoyage fréquent et complet des rues.

2o Fourniture de bonne eau dans les bassins, abambars et seqqàkhane, après nettoyage de ces récipients. Protection de cette eau potable contre les pollutions et notamment contre le lavage du linge. Les abambars publics ne devront pas être remplis avec l'eau du ruisseau, mais être alimentés par un conduit spécial.

3° Surveillance de la propreté des bains publics, et renouvellement fréquent de l'eau.

4° Défense de tuer les animaux de boucherie, ailleurs que dans les abattoirs publics pour éviter l'infection du sol de toutes les rues par le sang et les débris de toutes

sortes.

Cette délibération adressée le 23 février par le Conseil de Santé au gouvernement persan a été approuvée par Sa Majesté le Chah, en Conseil des ministres, et des ordres vont être donnés pour mettre à exécution les mesures sanitaires qui y étaient proposées, notamment pour l'assainissement de Téhéran et des autres villes.

A cette occasion un membre signale un terrain vague situé vis-à-vis la maison de M. X, qu'il a visité le matin même, à la demande de plusieurs personnes, et où il a constaté la présence de 4 cadavres nouveaux de chevaux morts de la morve, sans compter nombre de carcasses anciennes de chevaux et de chiens. L'enclos sert, en outre, d'abattoir libre où l'on tue plus de 40 moutons par jour. Ce terrain constitue un vrai danger pour la santé publique, et il est urgent d'en interdire l'entrée.

Le Président répond que ce fait a été signalé la veille au Conseil des ministres, et qu'on a décidé l'interdiction et la fermeture de l'enclos.

Le Conseil de Santé insiste de nouveau sur la nécessité

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