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Conférences de Venise et de Dresde, parce qu'il est onéreux et incertain; elles y ont substitué une nouvelle donnée scientifique.

Cette divergence de doctrine a fait décider par la Conférence de Paris de 1894 que le comité chargé d'appliquer les nouvelles méthodes de prophylaxie, bien que pris dans le sein du conseil supérieur, eût, sans entrer en conflit avec lui, un rôle et un travail distincts, car il aura à appliquer une doctrine scientifique différente.

Restait à fixer sa composition. On a réservé la faculté d'y avoir des délégués aux seuls États qui ont accepté les conclusions des Conférences de Venise et de Dresde. Les puissances qui n'ont pas encore adhéré aux Conventions de Venise et de Dresde, parce que les règlements qu'elles contiennent ne concordent pas avec leurs lois intérieures, n'auront qu'à modifier leur législation au point de vue sanitaire, pour exercer dans le comité les mêmes droits que les autres pays. On a voulu ainsi, par un désir très louable de conciliation et d'union, laisser la porte du comité entr'ouverte aux États qui se rallieront plus tard aux principes scientifiques des dernières Conférences. Ce désir a inspiré la rédaction définitive suivante, où les prérogatives d'usage ont été soigneusement stipulées en faveur de la Sublime Porte, sur le territoire de laquelle siégera le comité :

«La mise en pratique et la surveillance des mesures concernant les pèlerinages, arrêtées par la présente Conférence, sont confiées à un comité pris dans le sein du conseil supérieur de santé de Constantinople dans l'étendue de sa compétence. Ce comité est composé de trois des représentants de la Turquie dans ce conseil et des représentants dans ce conseil des puissances qui ont adhéré ou adhéreront aux Conventions de Venise, de Dresde et

de Paris. La présidence du comité est déférée à l'un de ses membres ottomans. En cas de partage des voix, le président aura voix prépondérante. »

Depuis 1894 la situation ne s'est pas modifiée.

L'Empire ottoman, qu'il s'agit cependant d'abord de protéger, comprend mal ses véritables intérêts et résiste encore aux justes demandes de l'Europe qui réclame toujours la création de cette commission issue du conseil supérieur de santé de Constantinople. Il rejette aussi la juridiction consulaire en matière d'amende.

Ce qui s'est passé depuis en Turquie ne montre pas que la Sublime Porte ait changé ses dispositions.

Dans une des séances du conseil sanitaire de Constantinople, il y a cinq mois environ, à la suite des massacres arméniens, M. le délégué de Russie avait demandé qu'une délégation du conseil supérieur de santé pût visiter les prisons de la ville dont l'encombrement et la mauvaise tenue étaient susceptibles de favoriser le développement des maladies épidémiques.

La Porte répondit par une fin de non-recevoir; le délégué russe insista. La Porte exprima de nouveau son refus par la communication au conseil de santé d'un teschéré viziriel donnant comme considérant l'incompétence du conseil de santé dans les questions d'ordre intérieur.

Le représentant de la France pensa qu'il ne convenait pas d'accepter sans protestation le teschéré ministériel qui constituerait un précédent que le gouvernement turc ne manquerait pas d'invoquer au détriment des privilèges légitimes des puissances européennes établis par les capitulations.

Il est curieux de rappeler que c'est à la suite d'une invasion de la peste en Turquie, sous le règne du

sultan Mahmoud, que furent établies les bases de l'institution sanitaire actuelle consacrée par des conventions internationales.

Or depuis quelque temps, ces principes sanitaires sont constamment mis en discussion par les membres ottomans du conseil, ainsi que par la Sublime Porte. C'est une tactique suivie depuis plusieurs années d'une façon systématique et qui se trouve encouragée par la faiblesse de résistance et l'indifférence en matière sanitaire d'un certain nombre de puissances, par l'appui occulte d'autres, qui visent à la désorganisation du système sanitaire jusqu'ici en vigueur.

J'ajouterai que la discussion du règlement pour le pèlerinage du Hedjaz de 1896 et 1897, discussion qui a traîné plus de trois mois, a été l'origine de compétitions inattendues, notamment de la part des membres musulmans du conseil réclamant que tous les postes sanitaires de la mer Rouge fussent confiés à des médecins musulmans. C'eût été assurer la désorganisation du service dans le présent et dans l'avenir.

Le délégué anglais avait appuyé cette proposition, demandant aussi qu'un médecin musulman indien fùt admis à faire partie de la commission médicale de Camaran. Ces propositions ont été heureusement écartées mais elles ont failli surprendre le conseil.

Nous espérons que la ratification de la Conférence de Paris de 1894 par le gouvernement ottoman, ratification dont a pris acte la Conférence de Venise de 1897, va modifier ces dispositions regrettables. Il y a urgence. Si les conseils sanitaires d'Orient méconnaissaient leurs devoirs et si par leur négligence nous étions exposés à de nouvelles invasions épidémiques, l'Europe devrait aviser.

SEIZIÈME LEÇON

PROPHYLAXIE EN EUROPE.

LES ANCIENNES QUARANTAINES.

Il me semble intéressant, avant d'exposer les règles conseillées aujourd'hui pour la prophylaxie de la peste, de rappeler à titre de curiosité historique quelques-unes des mesures qui étaient ordonnées autrefois par l'autorité à l'égard des individus atteints de la peste ou supposés

l'être.

Les citations suivantes se passent de commentaires (1).

Peste.

Le 15 novembre 1510, le Parlement demande à la Faculté de médecine six de ses docteurs, lesquels avec six barbiers donneraient leurs soins aux pestiférés de Paris.

Une ordonnance du prévôt de Paris, 16 novembre 1510, enjoint à ceux qui occupent des maisons infectées « de

-

(1) Voir Les ordonnances faictes et publiées à son de trompe par les carrefours de ceste ville de Paris pour éviter le danger de peste, 1531, précédées d'une étude sur les épidémies parisiennes, par Chereau. Paris, 1873. Annales des épidémies en Franche-Comté : Peste, par Perron. Besançon, 1862. - Hygiène internationale. Paris, 1873. Traité d'hygiène. Paris, 1877-1881. - La défense de l'Europe contre le cholera. Paris, 1892. Les nouvelles routes des grandes épidémies (Revue des Deux-Mondes, 1893). – L'orientation nouvelle de la politique sanitaire, par A. Proust. Paris,

1896.

mettre à l'une des fenêtres ou autres lieux plus apparents une botte de paille et de l'y laisser encore pendant deux mois après que la maladie aura cessé (1) ».

Le 14 avril 1519 la peste est encore à Paris; le prévôt demande si l'on peut sans danger permettre la représentation du Mystère de Notre-Seigneur dans le cimetière de Saint-Jean; la Faculté répond que les grandes agglomérations sont dangereuses et qu'on doit empêcher cette représentation.

Pendant la peste de 1531 et de 1533 le Parlement prescrit à la date du 26 août 1531 une ordonnance sur les mesures à prendre :

Les maisons infectées auront aux fenêtres et à leur principale porte une croix de bois.

Toute personne qui aura été malade, tout membre de sa famille, tout habitant même de la maison occupée par ce malade, ne pourront circuler dans la ville sans avoir à la main une baguette ou un bâton de couleur blanche.

Défense absolue de faire entrer dans Paris ou dans les faubourgs, ni lits, ni couvertures, courtepointes, draps de laine, serges, rideaux, «ne autres biens où la peste peult retenir »; la même défense s'applique aux objets à transporter d'une maison infectée dans une autre. Les fripiers, les priseurs, les couturiers, les revendeurs, ne pourront même plus continuer leur métier relativement à ces tissus, « où la peste et mauvais air se peult retenir ». Le Parisien n'aura plus le loisir d'aller aux étuves; les propriétaires de ces derniers établissements s'abstiendront jusqu'au prochain jour de Noël, c'est-à-dire pendant près de cinq mois,

(1) Delamare, liv. IV, tit. XIII, ch. 11.

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