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TROISIÈME LECON

I

Définition de la peste.

Des pestes frustes.

L'expression pestis ou pestilentia désignait autrefois toutes les maladies épidémiques donnant lieu à une mortalité considérable.

Aujourd'hui l'expression est limitée à la peste à

bubons.

La peste est une affection microbienne caractérisée symptomatiquement par le développement de bubons, de tumeurs charbonneuses et de pétéchies. Fauvel la définit, au point de vue sanitaire : « Une maladie accidentelle, se développant de préférence dans certaines contrées d'Orient sous forme d'épidémies plus ou moins prolongées, avec des intervalles nets, maladie susceptible de se transmettre par contagion. »

Dans le cours des épidémies, la peste est quelquefois réduite à des accidents légers, qui se dissipent spontanément dans l'espace de quelques heures ou de quelques jours. Ces formes atténuées, que l'on pourrait appeler des pestes frustes (1), ne présentent pas au fond de diffé

(1) En archéologie, on entend par inscription fruste celle dont une partie plus ou moins considérable est effacée, dont il ne reste qu'une ligne, qu'une lettre, ou même seulement un point.

Trousseau appelle une maladie fruste une maladie dans laquelle le

rences spécifiques avec des formes plus graves; ce ne sont que des manifestations plus ou moins intenses de la même maladie. La loi de la spécificité régit tous ces accidents, et les mêmes mesures sanitaires doivent être prescrites contre toutes les formes de la peste, quelles qu'elles soient.

II

HISTOIRE ET DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES ÉPIDÉMIES

DE PESTE.

Fausses pestes.

Pestes non buboniques.

L'épidémie qui l'année 430 avant Jésus-Christ ravagea l'Attique, au moment des guerres du Péloponèse, fut l'occasion, par un hasard singulier, du premier récit d'une épidémie se propageant par voie de contagion qui nous ait été transmis non par un médecin, mais par un historien.

La peste d'Athènes est le premier exemple connu de ces affections formidables qui, venues du dehors, s'abattent soudainement sur une population tout entière et frappent mortellement dans un court espace de temps. d'innombrables victimes.

Dans la marche de cette épidémie, la première dont l'histoire ait conservé le souvenir, nous retrouverons les principaux caractères qui, à diverses époques, se sont rencontrés dans d'autres affections de la même nature.

L'encombrement, la misère et la faim s'y montrent au nombre des causes prédisposantes qui, en tout temps, ont favorisé le développement de ces fléaux redoutables.

médecin ne lira qu'un mot de la phrase symptomatique et, avec ce mot, devra reconstruire la phrase tout entière, comme l'archéologue et le numismate retrouvent l'inscription effacée sous les lettres qui restent.

Mais les deux caractères vraiment essentiels, ceux qui impriment aux yeux du médecin un cachet vraiment spécial à ce genre de maladies, nous les retrouvons tous deux dans la peste d'Athènes.

Ce sont :

1° L'arrivée d'un germe morbifique venant du dehors; 2° La localisation de l'épidémie pendant un certain espace de temps dans un foyer circonscrit.

Ce serait en Égypte ou en Éthiopie, d'après Thucydide, que le mal aurait débuté. Il aurait gagné de proche en proche, la Perse, l'Asie Mineure et les îles de l'Archipel, et c'est au Pirée que les premiers cas de cette maladie auraient éclaté parmi les habitants d'Athènes, preuve évidente que la voie des communications maritimes, seule praticable dans une ville assiégée par terre, avait servi de porte d'entrée à l'épidémie.

Le récit de Thucydide est d'autant plus important pour nous qu'il a été lui-même témoin de tout ce qu'il décrit.

La précision avec laquelle il fait connaître les troubles nerveux, respiratoires, digestifs, les gangrènes, les éruptions, nous permet d'affirmer avec Hæser et Daremberg que s'il n'a pas parlé de bubons c'est que ceux-ci n'existaient pas.

Or la peste est caractérisée par un phénomène pathognomonique, le bubon. Sans bubon il n'y a pas de peste. Aussi l'épidémie décrite sous le nom de peste d'Athènes par Thucydide n'est pas la peste.

Le tableau de Thucydide est aussi simple qu'il est grand. Il a voulu nous conserver fidèlement le souvenir de la grande épreuve à laquelle sa patrie a été soumise. Son intelligence, émue au contact douloureux des misères humaines, y cherche la vérité dans les caractères extérieurs et matériels de ces misères mêmes.

C'est au cours de cette épidémie qu'Hippocrate refusa de se rendre à l'appel du roi de Perse, voulant se consacrer complètement à ses compatriotes.

L'épidémie qui ravagea l'Europe et l'Asie sous Marc-Aurèle se généralisa plus encore que la peste d'Athènes. Elle semblait suivre Lucius Verus de province en province. Après la guerre des Parthes (166 ans ap. J.-C.), Lucius Verus l'importa à Rome d'où elle s'étendit sur toute l'Italie. La mortalité fut considérable; les villes et les campagnes furent décimées; la maladie, d'après Galien, présenta des symptômes analogues à ceux décrits par Thucydide pour la peste d'Athènes; il y eut aussi absence de bubons. Ce n'est donc pas encore là une véritable peste.

Il en est de même de la pandémie dont saint Cyprien nous a laissé une description qui reproduit fidèlement celle de Thucydide; elle dura de 255 à 265 et ravagea l'Egypte, la côte d'Afrique, l'Italie et la Grèce.

III

Histoire des épidémies de peste bubonique. - De l'antiquité de la peste. Peste d'Orient. — Peste noire.

de Pali ou de l'Inde.

Peste

La peste était considérée jusqu'ici comme une maladie d'origine presque moderne, ayant pris naissance en Égypte vers le vers le vi siècle. Les recherches de Daremberg (1) et de Hirsch (2) ont modifié cette opinion, en

(1) Daremberg, Note sur l'antiquité et l'endémicité de la peste en Orient, et particulièrement en Égypte.

(2) A. Hirsch, Handbuch der historich-geographischen Pathologie. Erlangen, 1860.

démontrant que la première apparition de la peste remontait à l'antiquité.

Plusieurs preuves ont été citées à l'appui de cette dernière opinion.

On a invoqué d'abord la peste d'Athènes, restée si célèbre, et par les désastres qu'elle a causés, et par le nom de son historien. Mais Thucydide a méconnu le caractère médical du fléau. En effet, si sa nature est encore aujourd'hui discutée, si quelques-uns croient à l'existence d'une maladie dont on ne retrouverait plus de traces dans les temps modernes, si d'autres flottent entre la variole, le typhus, etc., il est du moins universellement reconnu que l'épidémie qui a désolé Athènes n'était point la peste.

On a voulu encore appuyer la démonstration de l'antiquité de la peste, de cette partie de l'Exode dans laquelle Moïse décrit les quatre plaies dont Dieu a frappé l'Égypte avant de lui envoyer la peste (1).

Ces plaies, selon l'auteur sacré, sont: 1° une corruption de toutes les eaux de l'Égypte, sorte de sanguinification de l'eau, laquelle fit mourir tous les poissons et mit le fleuve en effervescence; 2° l'apparition d'une multitude de grenouilles qui se répandirent dans toute l'Égypte et qui en mourant causèrent une grande putréfaction (putruit terra); 3° l'apparition de deux espèces de mouches qui attaquèrent les hommes et les animaux et ravagèrent les biens de la terre; 4° enfin le développement d'une épizootie terrible. A la suite de ces plaies, le fléau pestilentiel apparut.

Il serait impossible de formuler, d'après cette description, une opinion absolue. Le fléau qui a succédé aux

(1) Exode, chap. 1x, vers. 9 et 10.

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