Page images
PDF
EPUB

M. le baron Gérard, premier peintre du Roi n'a mis d'autre prix à son tableau que l'honneur de le voir placé à coté de celui de David, dont il fut l'élève.

Un autre tableau de Paulin Guérin représentant le dévouement du chevalier Rose durant l'épidémie de peste à Marseille a été acheté en 1826, 6000 francs. Le chevalier Rose enlève lui même les cadavres des pestiférés dans les rues étroites de la Tourette, inaccessibles aux voitures; il donne l'exemple aux forçats qui avaient refusé de le faire.

En 1841 acquisition du tableau de Tanneur (5000 francs), qui représente la peste à bord de la frégate la Justice venant de Constantinople et ayant la peste à bord, l'an IV de la République. Les officiers et les soldats de marine jettent en mer un cadavre enveloppé d'un suaire et ayant un boulet ramé aux pieds.

Voici l'histoire pathologique de ce navire:

Notice sur la frégate la Justice, à bord de laquelle se manifestèrent plusieurs accidents de peste à son retour de Constantinople en 1796.

La frégate française la Justice, commandée par M. d'Albarade, capitaine de vaisseau, partit de Constantinople le 11 prairial an IV de la République, avec un équipage de 329 personnes et 113 marins provenant de la corvette française Rossignol, désarmée dans ce port pour cause de vétusté. La santé des deux équipages était excellente, celle de Constantinople était douteuse, à cause du décès de trois personnes que l'on croyait être mortes de la peste.

Quelques jours après le départ, du 1er au 19 messidor, dix cas de peste se produisent successivement et plusieurs succombent en présentant des symptômes graves que l'on remarque dans la peste.

Le 19 messidor, la frégate la Justice, chassée par la flotte anglaise qui croisait sur nos côtes, se réfugia et vint mouiller dans la baie de Bandol. Le 23, on permit à son commandant de prendre possession d'une petite île inhabitée et sur laquelle il fut immédiatement établi des tentes pour les malades et convalescents de la frégate; quinze malades furent déposés séparément; le 20 un malade du bord succomba; le 2 thermidor deux hommes, déposés sur l'ile, périrent

de la peste, un troisième décès sur l'ile, dû à la même maladie, fut encore constaté le 7 thermidor; le 8, il n'existait que douze malades. Toutes les hardes des morts, depuis le départ de la frégate de Constantinople, ainsi que celles des infirmiers qui les ont soignés pendant leur maladie, sont brûlées sur l'île de Bandol.

Le 13 thermidor au matin, un pinque de l'État, parti la veille après midi de la baie de Bandol, sous l'escorte de plusieurs avisos et canonnières, arrive sur rade du lazaret de Toulon, apportant 109 marins de l'équipage du Rossignol, qui furent logés dans cet établissement sanitaire. Le même jour, quinze convalescents avaient été évacués de l'ile de Bandol sur le lazaret de Toulon.

Le 27, à huit heures du soir, la frégate la Justice, escortée des felouques la Charlotte et la Sentinelle, quitta la baie de Bandol, et vint mouiller à trois heures et demie du matin dans les eaux du lazaret.

Douze convalescents qu'elle avait laissés sur l'ile furent transportés au lazaret, le 4 vendémiaire an V, par un pinque de l'État.

Aucune des affections alors régnantes parmi les malades ne présentant des symptômes dangereux, la quarantaine des équipages de la Justice et du Rossignol fut réglée à quatre-vingts jours, à compter du 14 fructidor an IV. Ils furent, en conséquence, admis à la libre pratique, le 1er frimaire an V, après quatre mois et dix-sept jours de quarantaine.

Pendant le séjour forcé de la frégate la Justice dans la baie de Bandol, elle était surveillée par un vaisseau et une frégate anglaise qui croisaient du Bec-de-l'Aigle à l'ile des Embiers; une chaloupe canonnière fut placée en observation à quelque distance de la frégate, afin d'empêcher les communications illicites; une garde militaire surveillait les bords du rivage.

Nicolas Poussin a peint aussi une Peste de Marseille qui se trouve à Vienne, dans la galerie Czernin. Mais son chef-d'œuvre est la Peste des Philistins, placée au musée du Louvre.

Le principal épisode semble avoir été inspiré par un récit véridique d'Ambroise Paré. Il représente une mère, depuis peu trépassée, dont l'enfant cherche à sucer le sein refroidi, tandis qu'un homme écarte le petit être pour le préserver de la contagion, s'il en est temps encore. Non loin de là, un jeune homme agonise à côté

d'un vieillard; plus loin gît le cadavre d'un nouveau-né;

[graphic]

le fléau n'épargne aucun âge. Les survivants pleurent,

La Peste d'Épire (d'après le tableau de Pierre Mignard).

(Gravure extraite de la Nature.)

se lamentent, invoquent le ciel ou, perdant tout espoir, s'abandonnent à la fatalité.

Quelques-uns s'efforcent de transporter au loin les morts; la plupart se bouchent le nez pour ne pas respirer l'odeur épouvantable qui s'en dégage, car la putréfaction des pestiférés commence presque aussitôt après la

mort.

Un détail est à remarquer: ce sont les rats, que Poussin a figurés dans son tableau, et qui, dans toutes les épidémies de peste, sont les premiers atteints par la maladie.

Une des plus belles compositions qu'aient inspirées les épidémies de peste a été exécutée par Pierre Mignard. Elle représente la Peste d'Épire.

La scène qui se passe au premier plan est particulièrement impressionnante; elle a aussi un grand intérêt médical que Charcot et Paul Richer ont bien fait ressortir: un médecin vient d'ouvrir, avec une lancette, un bubon de l'aisselle, dont l'origine pestilentielle n'est pas douteuse, et dont la figuration est conforme à la réalité. Mais à peine a-t-il pratiqué l'incision que, frappé soudainement par le mal qu'il cherche à guérir, le courageux opérateur sent ses forces l'abandonner, laisse tomber son bistouri, sa palette à saignée, et s'affaisse sur lui-même, victime du devoir professionnel.

Enfin, dans notre siècle, le tableau bien connu de Gros, au musée du Louvre, représentant les Pestiférés de Jaffa, offre aussi un intérêt médical :

Le général Bonaparte est figuré touchant du doigt l'aisselle d'un pestiféré. On peut rappeler à ce propos que les rois de France faisaient autrefois un geste analogue pour guérir les écrouelles.

Charcot et Paul Richer ont insisté sur ce fait que le

PROUST.

Peste.

5

peintre avait voulu préciser la nature du mal, en indi

[graphic][subsumed][merged small]

La Peste des Philistins (d'après le tableau de Nicolas Poussin). (Gravure extraite de la Nature.)

« PreviousContinue »