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périal a eu au moins un mérite, c'est de réparer un mal qu'il n'avait fait et de relever en Orient la fortune de la France, que d'autres, dit-on, y avaient gâtée.

pas

Le gouvernement impérial se recommande à un autre point de vue, sur lequel il n'est pas sans intérêt d'appeler l'attention. A d'autres époques, l'opposition, absorbée par des critiques journalières et des débats souvent misérables, négligeait les aperçus élevés sur le gouvernement et l'état de la société. Que reste-t-il de ces questions éphémères qui agitaient autrefois les esprits? Des articles de journaux qu'on ne lit plus, et des discours que regrettent peut-être ceux qui les ont prononcés. Nos institutions actuelles, en limitant l'action de la presse quotidienne, ont élevé de beaucoup le niveau des idées de l'opposition. M. de Montalembert, M. de Rémusat, M. de Tocqueville ont écrit, depuis quelque temps, des ouvrages qui ne passeront pas aussi vite. Nous avons essayé de faire, dans ces livres, la part des exagérations, de l'injustice et de l'esprit de parti; mais nous sommes loin de méconnaître ce qu'ils contiennent, à d'autres points de vue, d'idées généreuses et élevées. Ces livres ne s'adressent pas à un public vulgaire et font réfléchir ceux mêmes qui ne les approuvent pas; la modération du langage en eût augmenté le mérite. Les hommes politiques qui ont vu échouer leur navire peuvent, sans déshonneur et sans regret, observer un pilote plus habile, qui, après avoir sauvé l'équipage, a ressaisi le gouvernail et continue la traverséc.

AD. DE FORCADE LA ROQUEtte.

DE

LA COLONISATION

ET DE

L'ADMINISTRATION EN ALGÉRIE

Rapport à l'Empereur sur la colonisation de l'Algérie, au point de vue pratique, par M. de BONNAL. In-8°.

Une chose nous frappe, c'est le goût que les esprits d'élite conservent pour l'Algérie. Ce pays a du charme. Est-ce dans l'air, dans le climat, dans l'aspect des lieux? on ne sait, mais le fait existe. Selon Homère, les étrangers qui mangeaient le doux fruit du lotus oubliaient leur pays. Le lotus ne croît plus dans le nord de l'Afrique, et la rue des Lotophages, à Alger, n'est qu'un souvenir historique ou fabuleux; mais il faut, en vérité, que les émanations du lotus lui aient survécu, puisque ce pays conserve un tel attrait. Nous avons toujours été convaincu, pour notre compte, que cette séduction, de quelque part qu'elle vienne, serait pour beaucoup dans le peuplement et la prospérité future de la colonie.

Pendant dix années et plus, nous avons vu passer, dans ce pays, une bonne partie des hommes distingués dont s'honore la France ; nous n'en avons pas retrouvé un seul qui n'ait conservé un reconnaissant souvenir de ce sol opulent, de ces horizons magiques, de ce

ciel aux hivers cléments, de ce luxe de la nature qui s'étale partout en Algérie. Les femmes surtout aiment la colonie algérienne : cet éloge en vaut bien un autre.

Il ne faut pas s'étonner qu'un pays qui séduit l'imagination, en même temps qu'il donne à réfléchir à l'esprit, ait provoqué tant de publications de la part de ceux qui l'ont vu... ou entrevu. Chacun a voulu exprimer sa pensée ou son impression sur un sujet si intéressant. Mais, parmi ces publications, si l'on en excepte un petit nombre, on chercherait vainement une idée largement applicable, et même une appréciation exacte de ce qui a été fait. Cela vient, en grande partie, de ce que ceux qui pratiquent et qui savent ont rarement le loisir de produire leurs idées en leur donnant un certain développement. Une fois ou deux, le maréchal Bugeaud a lancé quelques mots, empreints de l'éloquence de l'homme d'action, sur cette question d'Afrique qu'il connaissait aussi bien que la guerre. C'étaient des lueurs qui éclairaient les esprits élevés, mais qui éblouissaient le public. Pour comprendre une question toute neuve, la masse a besoin qu'on la lui présente avec certaines précautions oratoires.

Cependant, un nouveau travail vient de se produire. Il mérite, à plusieurs égards, d'être distingué de ce qui a été écrit jusqu'à ce jour. En ce qui nous concerne personnellement, comme il expose nos idées sur la colonisation et l'administration de l'Algérie, nous avons un intérêt particulier à l'examiner. Cet examen nous fournira, en effet, l'occasion de compléter un exposé nécessairement un peu sommaire, de discuter quelques objections, et de présenter, en définitive, l'état complet de la question. L'auteur, M. de Bonnal, ancien employé de l'administration algérienne, où il s'était fait promptement une place distinguée, appelé à Paris par le directeur de l'administration centrale, qui avait remarqué son aptitude, est un écrivain logicien, scrutateur, net et hardi. Un pareil esprit, possédant des notions positives, ayant pratiqué les hommes qui se sont le plus occupés de l'Algérie, devait produire une œuvre remarquable à plus d'un titre, et c'est, en effet, ce qui est arrivé.

Une lettre à l'empereur, d'un style ferme, et où l'indépendance des principes s'allie à la sagesse des vues, forme la préface de ce travail. Vient ensuite un exposé des principes économiques sous l'empire desquels l'Algérie doit développer d'abord son agriculture, ensuite son industrie, et, en troisième lieu, son commerce. Là, les idées sont larges et caractérisent un esprit investigateur. M. de Bonnal examine, plus loin, les divers systèmes de colonisation qui ont été appliqués ou proposés. Ces systèmes sont au nombre de quatre colonisation militaire, par le maréchal Bugeaud; colonisa

tion par les capitalistes, d'après le général de Lamoricière; colonisation civile pratique, par M. le comte Guyot, directeur de l'intérieur; colonisation générale, d'après nos propres idées. Un dernier chapitre, consacré à l'administration, reproduit in extenso un rapport préparé par nous en 1850, et qui devient le programme de l'auteur pour l'organisation du gouvernement et de l'administration de l'Algérie.

Nous allons passer en revue les diverses parties du travail de M. de Bonnal; nous y trouverons l'occasion de compléter l'exposition de nos propres idées sur les questions qui en font l'objet.

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L'illustre et à jamais regrettable maréchal duc d'Isly était convaincu que, pour arriver au peuplement de l'Algérie, et à sa mise en culture par l'élément européen, il fallait commencer par employer l'armée à la colonisation. L'expérience des efforts peu fructueux et fort lents de la colonisation civile, avait chez lui fortifié cette conviction. En effet, les villages créés dans les environs d'Alger végétaient péniblement, malgré de grands sacrifices, malgré la bonne volonté parfaite et la persévérance de l'administration chargée, sous son autorité, de pourvoir à leur création.

Il essaya d'abord d'un système mixte qui consistait à faire construire des maisons par la main-d'œuvre économique des condamnés militaires, et à y placer des soldats libérés qui, sur l'appel fait dans les corps, avaient demandé à devenir colons. Ces colons restaient placés sous le commandement d'un officier, et étaient assujettis au régime militaire.

L'essai ne réussit pas. Des soldats qui, à l'expiration de leur temps de service, consentent à rester éloignés de leurs familles, ne sont pas en général des cultivateurs. Il fallut trouver des femmes à ces colons; on en fit venir. Mais des mariages contractés dans ces conditions anormales ne devaient pas prospérer. La paix cessa bientôt d'exister dans les ménages. D'un autre côté, le joug militaire parut lourd à ces nouvelles familles. On pétitionna auprès du gouverneur général, on lui demanda d'être rendu à la vie civile. Le maréchal, avec son grand sens et cette admirable bonne foi qui le portait à modifier ses idées suivant les faits, reconnut que le système était défectueux, et il chargea un auditeur au conseil d'Etat. attaché à son gouvernement, d'aller faire la remise du village de Fouka à M. le comte Guyot, directeur de l'intérieur. Cela se passait

en 1843. La petite colonie devint civile, et depuis, par le cours du temps et grâce aux changements qui se sont produits dans son personnel, elle a fini par se créer une situation assez satisfaisante.

C'est, du reste, un fait digne de remarque, et qui prouve, plus que tout ce qu'on pourrait dire en faveur de l'avenir de la colonisation de l'Algérie, qu'il n'est pas un point de la colonie où des habitants, une fois installés, n'aient fini par prendre racine. Ils ont éprouvé des vicissitudes, ils ont souffert, ils ont été décimés par la fièvre, mais le village, le hameau, la ferme s'est fondée, le noyau s'est développé, l'implantation est devenue définitive.

Le maréchal conçut un autre système, ou plutôt, il donna à ses idées sur la colonisation par l'armée leur formule logique et leur extension naturelle. Il choisit dans les corps des militaires ayant encore trois ans de service à faire, les prit, autant que possible, parmi les cultivateurs et les ouvriers exerçant des professions appropriées à cette destination, et les appliqua à la fondation de colonies agricoles. Bien dirigés, de pareils éléments devaient former d'excellents ateliers de colonisation. La colonie de Beni-Mered, citée par M. de Bonnal, fut créée de la sorte. M. de Bonnal trouve qu'elle a coûté cher; mais ce qui réussit, quand il s'agit d'un essai, ne coûte jamais trop cher, et Beni-Mered a parfaitement réussi.

Cependant, il faut reconnaître que la réussite n'a pas eu lieu comme colonie militaire, mais comme colonisation par le travail de l'armée. Les soldats, auxquels étaient destinées les maisons bâties, les terres défrichées par eux pendant qu'ils étaient encore liés au service, n'ont pas tous été aussi séduits par de tels avantages que par l'attrait du pays natal, et plusieurs d'entre eux ont quitté la colonie au moment de leur libération, abandonnant maison et jardin pour retourner là où ils avaient laissé leurs affections. Ce n'est point précisément, en effet, sur le soldat sous les drapeaux que s'exerce le charme de l'Algérie. Apparemment, il ne mange pas de lotus. Mais le travail était fait; des colons véritables ont pris leur place, avec femmes et enfants. Ceux qui restaient ont épousé les filles de ceux qui sont venus; les terres ayant acquis de la valeur, d'autres colons ont bàti à leurs frais sur les emplacements laissés libres dans cette prévision, et ont augmenté la population de ce village. Remis à l'administration civile bientôt après son achèvement, il est devenu, en très peu de temps, un des plus florissants de l'Algérie.

Le maréchal avait atteint son but; car, qu'on ne s'y trompe pas, ce que voulait le gouverneur général, ce n'était pas des colonies militaires à perpétuité. L'exemple des colonies de ce genre, fondées par l'Autriche sur les frontières de la Croatie et dont le duc de Raguse fait un si lugubre tableau, aurait suffi pour lui en

TOME XXIX.

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