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20 R255 Cert

of 29,

UNIVERSITY LIBRARY

1878, June 27. Minot Sund.

LE

GOUVERNEMENT IMPÉRIAL

ET

L'OPPOSITION NOUVELLE

L'ancien Régime et la Révolution, par Alexis DE TOCQUEVILLE. Michel Lévy frères, L'Angleterre au XVIIIe siècle, par Charles DE RÉMUSAT, Didier,

éditeurs. éditeur.

Les gouvernements nouveaux qui s'élèvent au lendemain des révolutions ont une grande mission et souvent de pénibles devoirs à remplir; personne ne pouvait se tromper sur ceux que les circonstances imposaient au gouvernement impérial. Le premier de ces devoirs était de rassurer et de raffermir la société profondément ébranlée, non-seulement par les agitations récentes de la place publique, mais surtout par la propagande de ces doctrines folles ou coupables que nos pères n'avaient pas connues, même aux plus mauvais jours de la Terreur. Etranger aux fautes et aux malheurs qui avaient amené la révolution de 1848, le prince Louis-Napoléon fut appelé par le pays à dominer la situation que cette révolution avait fait naître. Tel fut le sens de l'élection du 10 décembre 1848; les républicains le comprirent bien, et les plus clairvoyants y aperçurent la ruine de leurs espérances. En effet, trois ans plus tard, le prince trouvait, dans l'appui de l'opinion, cette force invincible qui

assure le succès des coups d'Etat nécessaires, et trois élections successives et presque unanimes l'élevèrent de la présidence à l'empire.

Le désordre matériel disparut promptement sous un gouvernement réparateur, mais il était évident qu'après trois années d'anarchie et de prédications démagogiques, le désordre moral n'avait pu disparaître sous une dictature de quelques jours. «Il faut à la France quinze ans de silence, » disait à cette époque un orateur éminent, qui se récrie aujourd'hui contre un prétendu despotisme. En effet, la société devait rester agitée dans ses profondeurs longtemps après que le calme aurait reparu à la surface. A la suite de la révolution de 1830, si courte et si promptement ramenée dans des voies régulières, l'émeute gronda plusieurs années sur la place publique. Trois fois en cinq ans, elle ensanglanta la capitale. La France, en 1852, ne cherchait pas sans doute dans le gouvernement impérial un pouvoir amoindri et contesté, incapable d'empêcher les factions de préluder, par la guerre des émeutes, à des révolutions nouvelles. Lorsqu'un jour l'histoire impartiale fera le récit des événements au milieu desquels s'est établi le gouvernement impérial, elle reconnaîtra que ce gouvernement comprit sa mission et sut l'accomplir avec une énergie que tempéra souvent la clémence, et qu'il ne méconnut pas, en les exagérant, les conditions nécessaires de son pouvoir.

Cependant, après chacune des grandes crises politiques qui se sont produites en France depuis cinquante ans, on a vu certains hommes s'attaquer au gouvernement nouveau, afficher le découragement politique et s'écrier que la Révolution française a manqué son but parce qu'elle a échappé à leur direction. Les esprits les plus distingués n'ont pas toujours su se défendre de ce sentiment si naturel à la vanité comme à la faiblesse humaine. Où va la Révolution française, se demanda-t-on alors avec amertume? Quand s'arrêtera ce drapeau qui tournoie sans cesse? Nul n'entend s'accuser lui-même, bien peu reconnaissent les fautes de leur parti et font un retour sur la valeur de leurs idées et de leurs systèmes. On se plaint du pays, on désespère de son avenir. Cet esprit de dénigrement, appliqué à la situation de la France, se retrouve dans un certain nombre de publications récentes; il revêt d'ailleurs des formes très diverses. Les uns, en racontant les souvenirs de leur jeunesse, s'ef

forcent, autant que possible, de replacer le public sous ces impressions patriotiques, à l'aide desquelles, en 1814 et 1815, on représentait l'empereur Napoléon comme l'ogre de Corse ou le héros des petites maisons; d'autres écrivent des histoires contre l'empire après en avoir écrit pour la révolution. Ceux qui se croient érudits, ont pris à tâche de refaire l'histoire romaine, et, s'acharnent, tantôt sur César, tantôt sur Auguste, avec. un amour pour la science et un respect pour la vérité, qui ne peut manquer d'édifier beaucoup la postérité. Il y en a enfin qui ont été saisis d'un tel accès d'enthousiasme pour l'Angleterre, que les Anglais eux-mêmes se sont pris à sourire. Nous avons remarqué surtout des traces fréquentes de cet esprit nouveau d'opposition dans les deux ouvrages qui ont été récemment publiés par M. de Rémusat et par M. de Tocqueville.

L'ouvrage de M. de Rémusat est consacré à des études sur l'Angleterre et à quelques portraits de personnages politiques qui ont joué un rôle important dans ce pays au XVIIIe siècle. Il est précédé d'une introduction qui résume la pensée de l'auteur, et contient une suite de rapprochements entre l'Angleterre et la France : « Le parallèle est dans tous les esprits, dit M. de Rémusat; pour moi, je veux bien l'avouer, voici le rêve de ma vie, le gouvernement anglais dans la société française. » Un peu plus loin, l'auteur ajoute : « Ce rêve, la France l'a vu, l'a cru réalisé et il est évanoui. Un édifice élevé sur le plan du monument britannique s'est écroulé sous nos yeux. Le jour de 1688 a lui sur nos têtes et il s'est éteint dans la nuit. Comment ne pas se poser la question redoutable: Nous serions-nous trompés?» Avons-nous besoin de dire que M. de Rémusat n'a pas écrit son livre pour reconnaître qu'il se soit en effet trompé.

M. de Tocqueville, au contraire, a vu avec douleur l'avènement de la monarchie de 1830 et n'a jamais cru à sa durée; du moins il l'affirmait en 1848 dans une préface nouvelle ajoutée à son livre sur la démocratie en Amérique. Il citait, à cette occasion, quelques lignes que l'événement, disait-il, avait rendues prophétiques et qui semblaient en effet prédire la chute de cette monarchie. Aujourd'hui encore, M. de Tocqueville voit, dans l'état de la société française plutôt que dans la faute des hommes ou les accidents de la politique, la cause permanente des révolutions qui ont agité notre pays. Il résume ainsi ses idées dans son nouvel ouvrage sur l'ancien régime et la révolution : «Quand l'amour des Français pour la liberté politique se réveilla, ils avaient déjà conçu, en matière de gouvernement, un certain nombre de notions, qui non-seulement ne s'accordaient pas facilement avec l'existence d'institutions libres, mais qui y étaient presque contraires. Ils avaient adinis, comme idéa

d'une société, un peuple sans autre aristocratie que celle des fonctionnaires publics, une administration unique et toute-puissante, directrice de l'Etat, tutrice des particuliers.... C'est ce désir d'introduire la liberté politique au milieu d'institutions et d'idées qui lui étaient étrangères ou contraires, mais dont nous avions déjà contracté l'habitude ou conçu par avance le goût, qui, depuis soixante ans, a produit tant de vains essais de gouvernements libres, suivis de si funestes révolutions.... » Ailleurs, il revient sur la même idée avec plus d'énergie en disant : «Toutes les fois qu'on a voulu abattre le pouvoir absolu, on s'est contenté de placer la tête de la liberté sur un corps servile. »

On voit que la différence est profonde entre le point de vue des deux auteurs. Il y a dans le livre de M. de Tocqueville beaucoup d'idées et d'aperçus qui rappellent les écrits politiques de M. de Chateaubriand et les discours de M. de Villèle. L'auteur est beaucoup moins prévenu contre la révolution que les hommes d'Etat de la Restauration, mais il apprécie comme eux les avantages de l'ancien régime au point de vue de la liberté, les dangers de la centralisation et les destinées des sociétés démocratiques. M. de Rémusat a été élevé dans une autre école politique; il aime et il défend la société française sortie de la révolution, il ne veut de l'Angleterre que son gouvernement. Il est de ceux, enfin, que M. de Tocqueville prétend avoir jugés d'un mot, en disant qu'ils ont voulu placer « la tête de la liberté sur un corps servile. » M. de Rémusat et M. de Tocqueville ne se rencontrent guère que dans les jugements qu'ils portent sur la situation actuelle de la France. Tous deux s'accordent à la présenter sous de sombres couleurs et à critiquer les institutions du pays. C'est à ce point de vue surtout que nous nous proposons d'apprécier leurs nouveaux ouvrages.

II

Le livre de M. de Tocqueville nous reporte à l'ancien régime, mais sans nous éloigner de la polémique contemporaine autant qu'on pourrait le supposer au premier abord. Il ne faut pas en effet remonter jusqu'au moyen âge pour trouver cet ancien régime dont les souvenirs ont soulevé, sous la Restauration, de si vives controverses; on peut le considérer comme une période de transition entre la société féodale et la société au sein de laquelle nous vivons aujourd'hui. Cette période a duré environ deux siècles. Chacun sait comment, au moyen âge, le pouvoir royal avait préparé peu à peu la

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