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avaient donné les chambres de réunion, et ceux qu'il avait conquis pendant la guerre, Charleroy, Ath, Courtray, Mont-Royal, même Luxembourg. << Les Impériaux déclarèrent que, si cette place, qui sert de communication entre l'Empire et les PaysBas, et de barrière aux provinces situées entre la Meuse, la Moselle et le Rhin, était cédée à la France, il en résulterait pour eux un dommage incomparable. » Il renonça, en quelque sorte, à intervenir dans l'Empire, en cédant toutes les forteresses qu'il avait sur la rive droite du Rhin, la tête de pont de Huningue, Fribourg, Vieux-Brisach, Kehl, Philipsbourg. I rendit la Lorraine, mais en gardant le droit de passage sur son territoire, qui d'ailleurs, était contenu par les Trois-Évêchés et par les places de Marsal, de Sarrelouis et de Longwy. Enfin, pour donner un nouveau témoignage de ses résolutions pacifiques, de son renoncement à toute conquête extérieure, il rendit Casal au duc de Mantoue, et céda au duc de Savoie, Pignerol avec les forts voisins, à la condition qu'ils seraient démolis; de sorte que l'influence française en Italie se trouva annulée.

Toutes ces restitutions excitèrent un vif mécontentement, surtout dans l'armée on y disait hautement que Louis XIV allait trop loin dans ses renonciations, et que si Louvois eût été là, il l'en

eût empêché; on y qualifiait de déshonorantes les conditions de la paix, et la paix elle-même d'infâme. Non-seulement Louvois n'était plus là, mais Vauban, Chamlay et les autres créateurs de nos frontières n'étaient point écoutés1: Louis XIV n'entendait plus que le cri de détresse de ses peuples qui demandaient la paix à tout prix, et il se recueillait pour se préparer à une nouvelle lutte qu'il pré

1 Vauban fut l'un de ceux qui blâmèrent le plus violemment et le plus injustement les conditions du traité de Ryswick. Il écrivit à ce sujet une lettre très-remarquable, avant la signature de la paix, et quand il était question, disait-on, de rendre non-seulement Luxembourg, mais Strasbourg, ce qui le transportait d'indignation.

« Je n'ai pas plutôt été arrivé ici, que j'ai trouvé Paris rempli des bruits de paix que les ministres étrangers y font courir à des conditions très-déshonorantes pour nous, car, entre autres choses, ils écrivent que nous avons offert en dernier lieu Strasbourg et Luxembourg en l'état qu'ils sont, outre et par-dessus les offres précédentes qu'on avoit faites; qu'ils ne doutent pas que ces offres ne soient acceptées, mais qu'ils s'étonnent fort qu'on ne les ait pas faites, il y a deux ans, puisque si on les avoit faites en ce temps-là, nous aurions eu la paix. Si cela est, nous fournissons à nos ennemis de quoi bien nous donner les étrivières. Un pont sur le Rhin et une place de la grandeur et de la force de Strasbourg, qui vaut mieux elle seule que le reste de l'Alsace, cela s'appelle donner aux Allemands le plus beau et le plus sur magasin de l'Europe pour les secours de M. de Lorraine et pour porter la guerre en France. Luxembourg, de sa part, fera le même effet à l'égard de la Lorraine, de la Champagne et des Évêchés. Nous n'avons après cela qu'à donner de l'inquiétude à M. de Lorraine le voilà en état d'être soutenu à merveille. Je ne veux pas parler des autres places que nous

voyait, qu'il redoutait, celle que devait engendrer la succession d'Espagne.

Dans cette lutte, la frontière artificielle de la France, établie définitivement par le traité de Rys

devons rendre je ne vous ai paru que trop outré là-dessus : il vaut mieux me taire de peur d'en trop dire. Ce qu'il y a de certain, c'est que ceux qui ont donné ces conseils au roi ne servent pas mal ses ennemis.

« Ces deux dernières places sont les meilleures de l'Europe, il n'y avoit qu'à les garder: il est certain qu'aucune puissance n'auroit pu nous les ôter. Nous perdons avec elles, pour jamais, l'occasion de nous borner par le Rhin; nous n'y reviendrons plus; et la France, après s'être ruinée et avoir consommé un million d'hommes pour s'élargir et se faire une frontière, quand tout est fait et qu'il n'y a plus qu'à se donner un peu de patience pour sortir glorieusement d'affaire, tombe tout à coup sans aucune nécessité; et tout ce qu'elle a fait depuis quarante ans ne servira qu'à fournir à ses ennemis de quoi achever de la perdre. Que dira-t-on de nous présentement? Quelle réputation aurons-nous dans les pays étrangers, et à quel mépris n'allonsnous pas être exposés ? Est-on assez peu instruit, dans le conseil du roi, pour ne pas savoir que les États se maintiennent plus par la réputation que par la force? Si nous la perdons une fois, nous allons devenir l'objet du mépris de nos voisins, comme nous sommes celui de leur adversion. On nous va marcher sur le ventre et nous n'oserons souffler. Voyez où nous en sommes. Je vous pose en fait qu'il n'y aura pas un petit prince dans l'empire qui d'ici en avant ne se veuille mesurer avec le roi, qui de son côté peut s'attendre que la paix ne durera qu'autant de temps que ses ennemis en emploieront à se remettre en état, après qu'ils auront fait la paix avec le Turc. Nous le donnons trop beau à l'Empereur pour manquer à s'en prévaloir.

« De la manière enfin qu'on nous promet la paix générale, je la tiens plus infàme que celle de Cateau-Cambrésis qui désho

wick, et qui ne devait plus être modifiée (sauf en ce qui regarde la Lorraine) pendant près d'un siècle, allait subir une épreuve, terrible, complète, et en sortir triomphante.

nora Henri II, et qui a toujours été considérée comme la plus honteuse qui ait jamais été faite. Si nous avions perdu cinq ou six batailles, l'une sur l'autre, et une grande partie de notre pays, que l'Etat fût dans un péril évident, à n'en pouvoir relever sans une paix, on y trouveroit encore à redire, la faisant comme nous voulons la faire. Mais il n'est pas question de rien de tout cela, et on peut dire que nous sommes encore dans tous nos avantages. Nous avons gagné un terrain considérable sur l'ennemi; nous lui avons pris de grandes et bonnes places; nous l'avons toujours battu; nous vivons tous les ans à ses dépens; nous sommes en bien meilleur état qu'au commencement de la guerre, et au bout de tout cela, nous faisons une paix qui déshonore le roi et toute la nation. Je n'ai point de termes pour expliquer une si extraordinaire conduite; et quand j'en aurois, je me donnerois bien garde de les exposer à une telle lettre. Brûlez, s'il vous plaît. » (Abrégé des services du maréchal de Vauban, par Augoyat; 1839.)

CHAPITRE VI

On sait que la population de l'Europe se partage en trois races principales: la race celtique ou latine qui, après avoir formé les peuples les plus civilisės de l'antiquité, occupe aujourd'hui la Gaule avec les péninsules hispanique et italique; la race germanique qui a formé le monde féodal et qui occupe principalement l'Allemagne avec la Scandinavie et les iles Britanniques; la race slave, dont le rôle historique est tout récent, et qui occupe l'Europe septentrionale et orientale. La race celtique, conquise par l'invasion germanique dans les premiers siècles de l'ère chrétienne, absorba rapidement les vainqueurs et s'efforça de garder la suprématie qu'elle avait dans l'antiquité; de là une lutte de plusieurs siècles qui est principalement représentée par l'antagonisme de la France, tantôt contre l'Allemagne, tantôt contre l'Angleterre. Au seizième siècle, la race germanique l'emporte au moyen de

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