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la police, et mettre les détenus à l'abri des vexations des geoliers. C'est dans l'enceinte des villes, auprès des tribunaux et des municipalités, que les maisons d'arrêt doivent être placées; on ne conçoit pas comment le corps municipal de Paris est allé choisir Vincennes, tandis qu'il avoit tant de couvents à sa disposition qui n'auroient pas eu l'inconvénient de présenter au peuple l'aspect révoltant d'une prison d'état, dévouée naguère aux vengeances du despotisme. Faut-il donc qu'une maison d'arrêt, pour être sûre, soit une forteresse? Devoit-on réparer les ponts-le-vis? Ne pouvoit on, sans cette précaution, s'assurer des détenus ?

Le bon sens du peuple vaut mieux cent fois que toute la suffisance de ceux qui le gouvernent. Il a senti, ce peuple, qu'une citadelle placée à une demi-lieue de la capitale, auprès d'une forêt considérable, pouvoit être dangereuse pour le succès de la révolution. Qui empêche en effet qu'un corps de troupes formé des ennemis de la liberté, ne s'empare du fort, du bois qui l'environne, et ne vienne ensuite inquiéter la capitale et ses environs? Les aristocrates qui jusqu'à présent n'ont pu s'emparer du roi, ne peuvent-ils pas le conduire à Vinceunes, et protéger sa fuite à l'aide d'une batterie de canons qui foudroieroit depuis la plateforme le faubourg Saint Antoine, et tout ce qui paroltroit dans l'avenue qui y aboutit? Quelle facilité n'auroient pas ensuite les conducteurs du roi pour le mener d'une forêt à l'autre jusqu'à Bruxelles ? Alors il ne seroit plus temps de réparer la sottise municipale, et la guerre civile seroit inévitable. Calculons donc toutes ces probabilités funestes, et convenons que le peuple est bien excusable d'avoir voulu éviter de grands maux par une légère insurrection, sur-tout lorsqu'il est excité par des ennemis dont il ignore les ruses. Qu'on ne dise pas que cette fuite est impraticable; l'histoire nous offre l'exemple d'entreprises moins dif

ficiles suivies du succès; et de nos jours encore la fuite de Stanislas, roi de Pologne, traversant deux fois trois armées ennemies, a quelque chose de bien plus étonnant. Pour nous, qui nous plaisons à voir comme le peuple, nous ne pouvons nous empêcher de frénir en songeant que ce donjon, de sinistre augure, peut, en moins de huit jours, devenir l'instrument de notre ruine, et le boulevard des ennemis de la patrie.

Dans tous les pays libres, jamais on ne laissa de forteresses dans l'intérieur de l'état, c'est bien assez d'en avoir sur les frontières. Elles ne peuvent servir que de point de raliment aux factieux ou de retraite au despotisme. Louis XIV qui, certes, étoit un grand maitre dans l'art d'asservir les peuples, avoit soin de faire raser les donjons des grands vassaux en même temps qu'il faisoit construire ou réparer les citadelles des villes conquises pour contenir les habitans révoltés contre le joug de fer qu'il leur imposoit (1). Aujourd'hui que la France est peuplée de factieux, que Paris recèle dans ses murs plus de 30,000 brigands à la solde des aristocrates, rien ne leur sera plus facile que de s'emparer des forts, même après les avoir laissés fortifier par les patriotes.

Lundi dernier, on y a laissé deux pièces de canons; les aristocrates ne peuvent-ils pas exciter encore une ou deux insurrections? ne peuvent ils pas faire donner de fausses alarmes à la garde du château, qui demandera alors de nouveaux canous pour se niettre à l'abri de toute attaque? et lorsqu'ils verront le fort en état de défense, l'instant

(1) On lisoit sur la principale porte du fort SaintJean de Marseille, ces mots, à jamais instructifs pour les nations bres: LOUIS XIV A FAIT RÉPARER LE FORT SAINT JEAN POUR CONTENIR LES HABITANS DE LA VILLE DE MARSEILLE, DONT L'ESPRIT EST TROP RÉPUBLICAIN.

favorable

favorable no se présentera que trop de s'en saisir par le moyen d'une surprise. Citoyens! songez qu'ils ont des poignards pour armes, et des brigands pour soldats; avec de pareilles machines, un coup de main est bientôt fait. Pour prévenir ces affreux malheurs, il n'y a point d'autre parti à prendre que de raser le fort de Vincennes. C'est au directoire du département à prévenir les vœux des habitans de Paris sur cet objet. S'il est animé de quelque patriotisme, il ne doit pas hésiter de signaler l'aurore de son administration par la destruction totale de cet horrible monument du despotisme. C'est une satisfaction à donner au peuple, et une espèce d'amende honorable à faire à la liberté.

Quant aux 64 prisonniers déposés à la conciergerie par la garde nationale de Paris, ils doivent avoir leur liberté provisoire. Leur action ne doit pas être jugée selon la rigueur des loix; le motif en est pur, et l'effet eût été un service rendu à la patrie,

De la discussion sur les émigrations.

L'évasion des tantes du roi a jeté l'alarme parmi le peuple. On a cru voir dans cette fuite les préliminaires de la désertion de la famille royale et de l'enlèvement du roi. A ces considérations plus qu'impératives, se joignoient de justes murmures sur l'exportation évidente du numéraire, et sur la consommation externe d'une bonne partie de la liste civile affectée à l'entretien de Mesdames; d'autre part, une foule de créanciers de Mesdames s'indignoit qu'en emportant, les LOUIS D'on, elles ne songeassent pas néanmoins à payer leurs dettes. Tant de motifs étoient certainement suffisans pour autoriser le peuple à demander qu'il fût fait une lei en vertu de laquelle les individus de la maison N°. 86.

B

royale (1) ne pussent sortir du royaume, sans de justes causes et sans congé.

La preuve que la demande du peuple est juste, c'est que ce projet de loi a fort alarmné les fuyards présomptifs, et plus que la raison ne comporte.

(1) On ne comprend pas trop pourquoi, dans la question dont il s'agit, on s'est aheurté à nommer la famille royale, DYNASTIE; jamais terme ne fut plus mal einployé. En voulant se mêler d'expliquer ce terme, un député, en pleine tribune, s'est avisé de dire que dynastie étoit un mot chinois, tandis qu'il est un dérivé du grec. Nous avons cherché d'où pouvoit provenir la balourdise du député glossateur, et nous avons découvert que Voltaire dans sa préface de l'Orphelin de la Chine, se sert du terme dynastie, jusque là peu familier dans notre langue, mais dans sa vraie acception, relativement à la révolution opérée par Gengis Kam, dans l'empire de la Chine; d'où le député, sans autres façons, a conclu que dynastie étoit un mot chinois. Nous le répétons, il est grec et composé, il signifie, non pas famille royale; mais suite de rois d'une même famille; c'est à-dire, qu'il peut signifier race dans le sens de notre histoire, ou bien portion de race dans une suite de rois: c'est ainsi qu'en comptant depuis François I jusqu'à Henri III, on peut dire la dynastie des Valois; c'est de là qu'on appeloit dynaste un souverain tributaire d'un grand empire, semblable à nos hospodars d'Europe, lequel n'occupoit son trône par droit d'hérédité, qu'en vertu d'un contrat fait avec ses suzerains, et qu'autant que régnoit la famille, c'est-àdire la dynastie de l'empire suzerain, qui avoit contracté avec le dynaste..

Ainsi donc en se servant du mot dynastie, dans sa plus grande latitude, ce sera la dynastie des Capets qui occupe le trône; en appliquant ce terme à la division de la race, ce sera la dynastie des Bourbons, et en subdivisant, si l'extinction de la ligne directe avort lieu, et en supposant que la couronne vint à écheoir au fils de M. d'Artois, ce seroit a dynastie d'Angoulême, etc. de sorte que dans cetre dernière acception, la dynastie change chaque fois que la couronne passe à la branche collatérale, et prend le nom du titre de cette branche.

De grands mouvemens ont eu lieu tout-à-coup pour faire diverger l'opinion et la tenacité populaire. La double arrestation de Mesdames (1) a été suivie de certains tumultes, de certaines scènes qui, bien qu'étrangères en apparence au fait des tantes royales, n'y sont que plus relatifs. Nous ne sommes pas à nous appercevoir, que lorsqu'il s'agit de trancher dans le vif les projets combinés et clandestins des contre-révolutionnaires, il ne manque pas de survenir des émeutes soudaines et trèsimprévues, et si nos ALCIBIADES ne sont pas aussi experts et aussi francs qu'ils voudroient le faire croire, on ne peut du moins disconvenir qu'ils ne soient très-adroits à couper la queue à leur chien (2).

Tandis que l'on travailloit le peuple d'une part, les rominagrobis de l'assemblée nationale se sont

(1) Les tantes du roi sont encore à Arnay-le-Duc; MM. les commissaires du département ont écrit à l'assemblée nationale, que les jeunes gens des villages voisins d'Arnay-le-Duc composent autour de Mesdames une garde d'élite, et que maintenant qu'ils savent qu'elies doivent partir, ils ont demandé et obtenu d'elles de les accompagner jusqu'à Dijon, quand elles partiront.

(2) Note pour le peuple qui ne sait pas l'histoire grecque. Alcibiade étoit un athénien fort ambitieux, mais très-petit maître, fort dameret, toujours parfumé et tiré à quatre épingles. Son grand talent étoit la dissimulation; il vouloit asservir le peuple, et néanmoins s'en faire aimer. Une fois qu'il étoit occupé d'un projet, il craignit que le peuple ne le devinât, il tenta de détourner ses regards: que fit Alcibiade? Il avoit un chien blanc, fort bean, qu'il aimoit beaucoup, et promenoit par-tout; il coupa la queue de ce chien. Aussi-tôt voilà les Athéniens, peuple très-léger, qui perdant de vue la chose publique, et le point capital de cette chose, se mettent à raisonner sur le chien et sur sa queue. Je le savois bien, dit Alcibiade, il faut les amuser avec ma bête pour les ôter de mon chemin.

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